Au Festival du film d'Angoulême, les futures sorties françaises se dévoilent au public

En août, cinéphilie rime souvent avec Angoulême qui accueille depuis plus d'une quinzaine d'années un festival francophone dont l'ambition a été de démarrer "en français la saison cinéma". Reportage.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 12 min
Entre deux séances, des participants du Festival du film francophone d'Angoulême flanent devant les salles de cinéma du groupe CGR, où plusieurs films de la programmation sont projetés, le 29 août à Angoulême. (FG/FRANCEINFO)

C’est un jeune festival de 17 ans qui rime avec rentrée pour le cinéma français grâce à sa programmation et au public qu’il draine depuis sa création en 2008 par ses délégués généraux, Marie-France Brière et Dominique Besnehard. Cinéphiles, acteurs, comédiennes et cinéastes se côtoient de nouveau depuis le 27 août dans les salles de cinéma pour l'édition 2024 du Festival du film francophone d’Angoulême (FFA). Et les futurs succès du cinéma français comme le sont aujourd'hui Un p'tit truc en plus ou Le Comte de Monte-Cristo font peut-être leurs premiers pas au Nil, au Cinéma de la Cité, dans les salles CGR ou encore à l'espace Franquin qui accueillent les projections. Comme à son habitude, le public angoumoisin est au rendez-vous.

A son lancement, le festival avait déjà vendu 3 600 pass – 10 places à 25 euros -, soit une centaine de plus qu’à la fin de l’édition précédente. Agathe, 70 ans, s’en est offert pas moins de trois. Angoumoisine pendant 23 ans, elle a quitté la ville quand elle a pris sa retraite, il y a quelques années. Mais pour rien au monde, elle ne raterait ce rendez-vous cinéphile et festif qu’elle partage avec son compagnon et une bande d’amis à la fin de l’été. Depuis 2016, Céline vient elle aussi de sa Bretagne natale pour profiter de la programmation du FFA. "C’est pour ce genre d’émotion qu’on est là", lance Agathe à la sortie de la deuxième projection, mercredi 28 août, du premier film réalisé par Hassan Guerrar, Barbès, little Alger présenté en compétition et qu'elle a "adoré". Elle n’a pas manqué de le dire à l’équipe du film qui échange avec le public de cette salle de la Cité internationale de la bande dessinée d’Angoulême.

Le long métrage raconte quelques semaines de la vie de Malek, incarné par Sofiane Zermani alias Fianso, un jeune Franco-Algérien qui accueille son neveu dans son appartement à Montmartre pendant la pandémie de Covid en 2020. Le quotidien du quarantenaire, émaillé de joies simples et de moments moins réjouissants, est une fenêtre sur le vécu et la vie dans un quartier où se côtoient des personnes qui ont en commun l'Algérie de leurs origines.

Cette histoire de familles, celle que l’on a et celle qu’on se choisit, est à sa "place exacte" à Angoulême, festival "à taille humaine, intimiste" dont l’ambiance familiale est touchante, note Sofiane Zermani, fier et ému de son "premier premier rôle au cinéma". Une émotion qu’il partage avec son metteur en scène, Hassan Guerrar, connu jusque-là pour son métier d’attaché de presse de cinéma.

"Banc d’essai" de la rentrée cinéma

"Je suis extrêmement touché parce que je fais partie des premières personnes qui sont venues dans ce festival, où il n'y avait au départ pas beaucoup de monde. La générosité débordante de Dominique et de Marie-France fait que tout le monde vient désormais. J’ai 57 ans et je connais Dominique depuis l’âge de 16 ans. Le fait qu'il ait pris le film et qu'il fasse partie des gens de l’autre époque avec moi [Dominique Besnehard a été l’agent de plusieurs stars françaises comme Nathalie Baye] me procurent un vrai sentiment de fierté."

La place d’Angoulême dans le secteur cinématographique, c'est-à-dire le festival où le cinéma français fait sa rentrée, le président par intérim du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) l’a rappelé à la cérémonie d’ouverture. "Depuis seize ans que nous le soutenons, c’est devenu (…) un lieu phare pour montrer la création francophone et en même temps, c’est un petit peu le banc d’essai, le galop d’essai de la rentrée cinématographique, a déclaré Olivier Henrard. 

C’est là où les professionnels inquiets viennent tester sur le public les films qui vont sortir dans les prochaines semaines."

Olivier Henrard

Cérémonie d'ouverture du Festival d'Angoulême

Même son de cloche chez Sarah Chazelle, cofondatrice de la maison de distribution Jour2Fête, mise à l’honneur durant cette édition. "C’est un superbe festival de pré-rentrée. Pour nous, les professionnels, c’est vraiment l’occasion de montrer à un public très large, très divers (…) les films qu’on va présenter dans les mois à venir", a affirmé la distributrice durant la soirée.   

Le festival qui tombe à pic

Le statut acquis au fil des ans par le FFA, qui dévoile une nouvelle version de son logo durant cette édition, est d’abord affaire de timing. Il se déroule à "la fin des vacances", confie malicieusement Marie-France Brière. "Notre obsession, c’était Deauville à l’époque où il ne passait que des films américains". Plus question de "démarrer la saison par un festival américain alors qu’on était en France", le FFA la fera démarrer "avec un festival francophone". Pour sa déléguée générale, qui a appris le français en Argentine,"l’apport de pays étrangers qui nous font l’honneur de parler français" est particulièrement intéressant.

"C’était Marie-France qui avait envie de faire un festival, raconte à Franceinfo Culture Dominique Besnehard. Je quittais le métier d’agent, j’étais donc disponible. J’ai toujours eu envie de partager, de transmettre ce que les gens m’avaient donné au cours d’une carrière professionnelle qui m’a permis d’être tellement heureux". "Au début, poursuit-il, on se disait : pourvu que les gens viennent. Dès la première année, on a eu du monde : les acteurs sont venus. Les films sont venus. J’étais dans ce métier depuis longtemps et les gens avaient envie de me faire plaisir. Mais comme à l’époque, c’était Ségolène Royal qui était présidente de la région [Poitou Charente], il y a aussi beaucoup d’amis qui ne sont pas venus en se disant : quand est-ce qu’il va arrêter avec Ségolène Royal ? Ensuite, on s’est un peu séparés d’elle. Le Festival a toujours depuis évolué en prenant de l’importance. On gagne en amplitude chaque année".

Accessible pour un public cinéphile

Résultat, "l’année dernière 58 000 places ont été vendues", dit Dominique Besnehard. "Cette année, on va peut-être arriver à 70 000". Une perspective qui fait écho aux bons chiffres actuels du cinéma français. En les évoquant lors de la cérémonie d'ouverture, Philippe Bouty, président du département de la Charente prédisait aussi que des records de fréquentation seraient battus à Angoulême. "Ce franc succès, estimait-il, on le doit surtout à la qualité de la programmation dans nos salles, qu'elles soient rurales ou non. Dans la Charente du FFA, cet amour du cinéma prend un sens singulier"

L’attractivité de l'évènement culturel tient à un public fidèle qui témoigne d'une cinéphilie souvent collective, comme l'expérimente Elise, 17 ans, Angoumoisine accompagnée de ses cousines parisiennes avec qui elle profite du festival. Chez elle, on regarde les films et on s’échange les avis en famille. "On est un gros groupe. Ma maman regarde aussi des films. Du coup, on regarde tous des films différents et on en parle. C’est une fête le FFA et moi j’adore". Tout comme Murielle, 67 ans, Angoumoisine également. 

Les festivaliers font la queue devant le complexe CGR à Angoulême, le 29 août, pour une séance du Festival du film d'Angoulême. (FG/FRANCEINFO)

La sexagénaire navigue de salle en salle, avec sa copine Véronique. "Je viens depuis le début. Chaque année, l’organisation s’améliore. On faisait des queues de 2-3 heures et arrivés presque à l’entrée, on nous disait que c’était complet", se remémore-t-elle dans un grand éclat de rire comme pour effacer ce mauvais souvenir.

La cinéphile se réjouit désormais de ce "système de carte sur Internet" qui lui a permis de voir le "très beau film" de John Wax, En tongs aux pieds de l’Himalaya, en compétition. "Ce film sur l’autisme, ça touche", poursuit Murielle. "C’est profond et plein d’humour", ajoute Véronique. "Il faut accéder à ce type de scénarios car c'est la vie", conclut Murielle. C’est une autre tranche de vie sur grand écran qui a fait d’Angoulême une référence en 2011 lors de sa troisième édition.

"Nous avons constaté que le public d'Angoulême était formidable quand on a passé "Intouchables"

Marie-France Brière

Franceinfo Culture

"Intouchables sortait en novembre et il a été donc présenté à Angoulême en août, se souvient Marie-France Brière. À la fin du film, toute la salle s’est levée et a fait une standing ovation pendant dix minutes. Il ne s’est pas trompé". Le long métrage d'Eric Toledano et d'Olivier Nakache passe la barre des 17 millions d'entrées en janvier 2012 et établit un nouveau record au box-office français. "Par ailleurs, fait remarquer Marie-France Brière, le prix du public correspond toujours à un film qui marche". Tout comme le FFA aura été décisif, indique Dominique Besnehard, pour La Guerre est déclarée de Valérie Donzelli, à qui le festival consacre cette année une rétrospective. "Il y a eu beaucoup de films qui sont partis d'Angoulême, poursuit le délégué général qui pense à La Douleur d'Emmanuel Finkiel. "Il a fait la clôture et le film a très bien marché ensuite"

Angoulême, c’est "un festival populaire de qualité", analyse Marie Carrot, coordinatrice de la programmation et des équipes de films au FFA. "Il y a énormément de public. Et un public cinéphile. Je crois que c’est la grosse différence [avec d'autres festivals]". Le prix des places à 2,5 euros constitue un atout majeur pour ce rendez-vous cinématographique. Une tarification rendue possible grâce au CNC, rappelle Marie-France Brière. "Sans (son) soutien, nous ne pourrions pas maintenir ce tarif. Dès que le festival a été connu et apprécié, les exploitants de salles ont essayé de revoir les prix à la hausse. Ce que nous ne voulions pas. Pour ne pas avoir de pression, nous sommes allés nous mettre sous les ailes du CNC qui nous aide énormément."

Là où "les films du milieu" se font une place

"Nous n’avons pas envie d’augmenter les prix parce que nous voulons que ce festival reste populaire et élégant", renchérit Dominique Besnehard. "Le public d'Angoulême est bien le baromètre de la France. C’est Nathalie Baye qui a dit un jour que la ville était le thermomètre du cinéma. En avant-premières, fin août, on voit un peu ce que les gens ont envie d’aller voir. Quelques fois, il y a eu des succès à Angoulême parce que les acteurs peuvent gonfler la participation du public. N’empêche que souvent, cela correspond au goût profond des spectateurs parce que nous sommes dans la diversité et nous avons les meilleurs de chaque catégorie, aussi bien du côté des comédies que des films d’auteur. C'est aussi les films du milieu. On sent qu’ils auront une place chez le spectateur".

La programmation du FFA s'apparente à un savant mélange de flair, une qualité que Marie-France Brière balaie souvent avec sa malice habituelle, et d'une machine bien huilée de collecte d’informations. C’est Marie Carrot "qui organise tout, elle sélectionne les films qu’on va voir", explique Dominique Besnehard. La productrice est cette personne "d’une autre génération qui nous guide un peu de temps en temps", souligne le délégué général du FFA. "C’est bien d’être bousculé d’autant qu’on n’a pas la science infuse". "Nous découvrons ainsi de jeunes metteurs en scène."

"Le Festival respire notre société, nos angoisses."

Dominique Besnehard

Franceinfo Culture

"Marie connaît le cinéma sur le bout des ongles, note encore Marie-France Brière. "C’est ma dauphine. Dominique n’a pas encore trouvé", ajoute-t-elle, en se moquant gentiment de lui. "Nous effectuons un travail de recherche en amont pour savoir quels films vont sortir à la rentrée et dans les mois à venir, précise Marie Carrot. Les alertes de la presse professionnelle comme Ecran Total ou Le Film français sont précieuses.

"Nous sommes en lien avec beaucoup de producteurs de distributeurs. Nous sommes ainsi au courant de ce qui se tourne. Nous avons également pas mal d’amis acteurs qui nous parlent de leurs tournages", indique la coordinatrice de la programmation du FFA. "Nous avons la particularité de regarder énormément de films, ceux que l’on a sourcés et ceux que l’on nous propose. Plus de 100 longs métrages ont été vus entre le Festival de Cannes et début juillet pour décider de la sélection 2024, à raison "de 4 à 5 films par jour" découverts "sur place". "Ça veut dire que l’on peut tomber sur deux daubes d’affilée", lance Marie-France Brière pince-sans-rire.

La logique du coup de cœur

Le critère qui prévaut aux choix des œuvres par le duo Besnehard-Brière est simple."On aime ou on n’aime pas, dit Marie-France Brière. Il n’y a aucune logique". "C’est vraiment un choix de cœur souvent, insiste Marie Carrot. Il y a des années, par exemple, où l’on a eu plus de réalisatrices que de réalisateurs dans la compétition. Les gens nous ont demandé s'il y avait une volonté de programmation. Mais nous nous en étions rendu compte après coup. C’est le fait que l’on n’ait jamais vraiment calculé qui fait que ça fonctionne", conclut Marie Carrot. "Nous avons tous les trois des goûts et des parcours très différents. Et quand on est d’accord tous les trois, c’est un bon indice". Il n'y aurait donc pas de formule magique pour expliquer "l’engouement d’Angoulême", nouveau leitmotiv lancé par l’équipe du festival. Mais Marie-France Brière admet tout de même qu'il y un "secret". Celui d'un renouvellement perpétuel. "Si on ne s'épate nous-mêmes... Stagner, c'est tomber".

Pour la 17e édition, 37 longs métrages répartis en 6 sections composent la sélection inédite du festival. "Ce qui m’a frappée dans la sélection de cette année, confie Marie-France Brière, c’est le fait que tous les réalisateurs sont très jeunes. Et c’est beaucoup de réalisatrices". Dix films sont en lice pour pour le Valois de diamant qui sera décerné par le jury présidé par la comédienne Kristin Scott Thomas.

Liste non exhaustive de la sélection de la 17e édition du FFA 

La Compétition 

À Bicyclette ! de Mathias Mlekuz
Barbès, little Algérie‎ ‎de Hassan Guerrar ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ 
Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois
L'Effacement de Karim Moussaoui
En tongs au pied de l'Himalaya de John Wax
Lads‎‎ de Julien Menanteau‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎
Le Procès du chien‎ ‎de Laetitia Dosch ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎
Rabia‎ de Mareike Engelhardt
Une vie rêvée de Morgan Simon‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎
Vingt Dieux‎ de Louise Courvoisier

Les Avant-premières
Les Barbares de Julie Delpy (film d'ouverture)
À L'ancienne de Hervé Mimran
À toute allure de Lucas Bernard
Drone de Simon Bouisson
Everybody loves Touda de Nabil Ayouch
Fêlés de Christophe Duthuron
Hôtel Silence de Léa Pool
La Vallée des fous de Xavier Beauvois
Le Choix du pianiste‎ de Jacques Otmezguine‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎
Le Système Victoria de Sylvain Desclous
Magma de Cyprien Vial
Mikado de Baya Kasmi
Nos Belles-soeurs de René Richard Cyr
Prodigieuses de Frédéric et Valentin Potier
Vivre, Mourir, Renaître de Gaël Morel
Sarah Bernhardt, la Divine de Guillaume Nicloux (film de clôture)
Challenger de Varante Soudjian (Méga-séance à Carat)

Ciné & Concerts 
En Fanfare d'Emmanuel Courcol 

Les Flamboyants
L'Histoire de Souleymane
de Boris Lojkine
Le Quatrième mur
de David Oelhoffen
Les Enfants
de Rodolphe Marconi

Les Premiers rendez-vous
Erratum de Giulio Gallegari (court métrage)
Fario de Lucie Prost
Jus d'orange de Alexandre Athané (court métrage)
Kidnapping Inc. de Bruno Mourral
L'Oncle de Maëva Leïla Youbi (court métrage)
Ollie de Antoine Besse

Les Nouveaux regards
Dans l'ombre de Marlow de Aurélien Harzoune et Bertrand Mineur
Dors près de moi de Sophie Boyer (court métrage)
Hors-Jeu de Paolo Mattei (court métrage)
La Voix de garage de Pierre-Loup Rajot
Martel en tête de Frédéric Pelle‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎ ‎
Nos loyautés de Alexia Portal (court métrage)

Les coups de cœur
Au revoir de Ronni Castillo
Marilú, rencontre avec une femme remarquable de Sandrine Dumas

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