"C'est un film profondément féministe" : Maïmouna Doucouré sort "Mignonnes" qui ausculte la vie des préadolescentes
Avec son premier film "Mignonnes", la réalisatrice franco-sénégalaise Maïmouna Doucouré interroge, entre autres, l'hypersexualisation de jeunes filles de onze ans. Rencontre.
Recompensée en 2017 par le César du meilleur court-métrage pour Maman(s), Maïmouna Doucouré signe cette année Mignonnes, son premier film, à retrouver en salles le 19 août. Le long-métrage suit l'histoire d'Amy, une jeune fille de onze chamboulée quand elle apprend que son père va rentrer du Sénégal avec une nouvelle femme. À la quête d'une nouvelle liberté, Amy va se lier d'amitié avec un groupe de filles, "les Mignonnes". Entre chorégraphies sensuelles et likes sur les réseaux sociaux, Amy va vouloir trouver sa place. Criant de réalisme, Mignonnes est un premier film réussi. Rencontre avec sa réalisatrice, qui décrit cette oeuvre comme son "bébé".
franceinfo Culture : Mignonnes reprend la trame de votre court-métrage primé Maman(s)¸ sur une jeune fille confrontée à la polygamie dans sa famille. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir à cette histoire ?
Maïmouna Doucouré : Le cadre familial que je dépeins dans Maman(s) est d’une certaine façon le même que celui de Mignonnes mais je n’ai pas l’impression de raconter la même histoire. Le point commun entre les deux oeuvres est mon enfance. J’ai grandi à Paris, dans une famille polygame : c’est cet univers que j’ai choisi de faire découvrir.
Avec Mignonnes, vous abordez aussi l’hypersexualisation des pré-adolescentes. Encore un sujet que l’on voit très peu dans le cinéma français. Vous aimez vous attaquer à des sujets qui dérangent ?
Je ne pense pas que ce soit des sujets qui dérangent mais c’est vrai que cet âge particulier n’est pas beaucoup traité. Ces sujets sont surtout très représentatifs de ce qui se passe dans la réalité et sont peut-être difficiles à admettre. Ensuite, faire un casting de préadolescentes signifie prendre le risque de les voir se transformer trois mois plus tard, étant donné qu’elles sont dans une phase de croissance assez importante.
Le film est effectivement très moderne. Vous avez fait beaucoup de recherches avant d’écrire le scénario, notamment sur les problèmes auxquels est confrontée la jeunesse d'aujourd’hui ?
En tant que réalisatrice, je me devais d’être au plus près de la vérité. Pour faire le film, j’ai réalisé une enquête de plus d’un an lors de laquelle j’ai rencontré de nombreuses petites filles entre onze et douze ans. Elles m’ont raconté leurs histoires, la façon dont elles se situent en tant que jeunes filles et futures femmes, mais aussi la manière dont elles se construisent avec leur famille et leurs amis, à l’heure des réseaux sociaux. Toutes ces histoires ont nourri le scénario.
Peut-on dire que Mignonnes est un film qui dénonce ?
Mignonnes est un film profondément féministe. Il était important pour moi de trouver l’angle idéal pour parler de mon héroïne, Amy, qui est tiraillée entre deux modèles de femmes. D’un côté, celui de sa mère, qui subit une certaine forme d'oppression et celui qu’elle va aller chercher à l’extérieur, à travers ce groupe de copines qui est pour elle, une forme de libération. Mignonnes questionne la place de la femme dans la société et les outils que l’on donne à nos jeunes filles pour se construire. Avec ce film, j’interroge la notion de choix quand on est une femme.
Est-ce qu’on peut vraiment choisir le costume qu’on a envie de porter, pas celui imposé par une tradition ou la société ?
Maïmouna Doucouré
Il était aussi important pour vous de montrer le choc des cultures entre l’univers familial d’Amy et ses nouvelles amies ?
C’est une part de moi-même que je mets dans ce film, ayant grandi entre deux cultures – celle de mes parents d’origine sénégalaise et la culture occidentale. J’ai eu beaucoup d’interrogations, enfant, sur ma place en tant que jeune fille. Certaines injustices que pouvaient vivre les femmes m'ont révoltée. Je me suis toujours dit que je voulais trouver une forme de liberté, que je refuserais certaines choses. Cela m’a beaucoup animé dans la création.
Comment s’est passé le tournage avec les jeunes actrices ? Est-il vrai que vous aviez un psychologue sur place ?
Pour le casting, j’ai vu 700 petites filles pour au final, trouver les cinq actrices. J’ai dû adapter ma manière de travailler pour qu’elles soient le plus naturelles possible. Pendant les répétitions, leur personnage était associé à un animal, pour qu’elles trouvent la bonne énergie. Angelica (Medina El Aidi) était un serpent, Amy (Fathia Youssouf), un chat qui se transforme en panthère. Cela les a aidées pendant les scènes de danse. J’ai aussi créé un champ lexical autour de la nourriture qui m’a permis de communiquer avec elles. "Hamburger" voulait dire "action", "chips" était "couper", "pastèque" quand j’avais besoin de plus d’énergie.
Je trouvais cela important d’avoir un psychologue pour les suivre avant, pendant et après le tournage. Cette exposition soudaine au cinéma, quand on est un enfant, peut être perturbante. Par rapport au thème du film, j’ai beaucoup échangé avec les jeunes actrices et leurs parents au préalable, sur la raison pour laquelle on faisait le film et l’engagement que l’on prenait à travers ce récit.
Vous avez reçu plusieurs prix à l’étranger pour Mignonnes, notamment au festival américain Sundance et à la Berlinale. On voit pendant votre discours à Sundance en février, que vous êtes émue. Que signifient pour vous ces reconnaissances internationales ?
J’ai eu de la chance d’avoir pu faire ces festivals car avec le coronavirus, un mois plus tard, ça n’aurait pas été possible. J’ai une histoire avec Sundance, mon court-métrage Maman(s) y avait été récompensé. Cette année, les sélectionneurs ont eu un coup de cœur pour Mignonnes. Quand j’ai rencontré les membres du Jury qui m’ont donné la meilleure réalisation, ce qu’ils m’ont dit m’a vraiment touché : le film les avait bouleversés. Ils m’ont donné confiance en moi. Je débute dans ce métier, c’est mon premier long-métrage, et le fait d’avoir ces prix à Sundance et à Berlin, ça galvanise.
Dans vos discours, par exemple aux César en 2017, vous critiquez le manque de diversité dans le cinéma français. Je pense à la création du collectif 50/50, au discours d’Aissa Maïga aux César. La direction de l'Académie des César a démissionné cette année... Sentez-vous un vent de changement dans le cinéma français ?
Il y a une volonté de changement qui est assez importante avec le collectif 50/50 et même dans certains films. L’année dernière a été assez riche avec Les Misérables (de Ladj Ly), Atlantique (de Mati Diop), Papicha (de Mounia Meddour)… Il y a une réelle volonté de colorer la fiction française. Mais avons-nous déjà réussi ? Il y a encore du travail. Je rejoins le discours d’Aïssa Maïga aux César : il faut encore mener une vraie action politique pour faire tomber les barrières. Pour avoir plus de diversité à l’écran, il faut plus de diversité à la production, au sein des réalisateurs, des scénaristes, des directeurs de chaînes, des distributeurs, des commissions d’aides budgétaires pour les films, bref, aux postes de décision. Pour moi, les César sont simplement les résultats. Quand on y arrive, c’est déjà trop tard. Il faut changer les choses en amont.
C’est important pour vous d’utiliser votre "plateforme" pour parler de sujets sociétaux, plus récemment la question du racisme et des violences policières ?
Pour l’instant, j’ai une petite plateforme. Mais plateforme ou non, tout le monde doit s’engager contre le racisme. Adèle Haenel ne se dit pas, "j’y vais parce que j’ai une plateforme". C’est plus personnel, viscéral et urgent. Quand on se retrouve au milieu de 120 000 personnes, tout le monde est sur le même piédestal. On est tous là ensemble pour une cause unique : la justice.
Pas de justice. Pas de paix. #justicepouradama @aissamaiga @adelehaenel @celine_sciamma @isabelleboniclaverie @awalymusic @arianderson8685 @nadegebeaussondiagne @rokhayadiallo
Publiée par Maimouna Doucouré sur Samedi 13 juin 2020
Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on assiste à un réel tournant dans l’histoire, avec la mort de George Floyd qui a un écho retentissant avec celle d’Adama Traoré. Ce sont les mêmes mots qui ont été utilisés : "Je n’arrive plus à respirer." On a tous été meurtris par les images de George Floyd et j’aimerais que l’on puisse entendre cette voix si près de nous, qui malheureusement a disparu à cause des violences policières. Celle d’Adama Traoré.
Pour revenir au cinéma, y a-t-il des réalisatrices qui vous inspirent ?
Evidemment Ava Duvernay, mais aussi Andrea Arnold. En France, j’admire beaucoup Céline Sciamma, Alice Winocour, Houda Benyamina, Maiwenn. Récemment, j’ai vu Papicha qui était incroyable, un film féministe signé Mounia Meddour.
Quels sont vos projets ?
Je suis actuellement sur les scénarios de deux films. Donc en pleine écriture en même temps que je sors mon premier film !
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