Cannes 2013 : "Borgman", traité de démonologie ordinaire
De Alex Van Warmerdam (Pays-Bas), avec : Annet Malherbe, Eva van de Wijdeven, Pieter-Bas de Waard - 1h58 - Sortie : non déterminée
Synopsis : Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou l’incarnation bien réelle de nos peurs ?
« Borgman » creuse encore plus ce qui construit la particularisme d’Alex van Warmerdam comme auteur véritablement à part de la production lambda. Il pourrait être identifié à un Apichatpong Weerasethakul (« Oncle Boonmee ») néerlandais, qui aurait troqué le contemplatif asiatique pour le surréalisme européen. « Les Habitants » traitait d’un imbroglio de voisinage, où chacun épie l’autre pour lui empoisonner la vie, sur un ton tout en référence à Tati et au surréalisme nordique. « Borgman » met à plat une même ignominie sur un mode métaphysique, avec un humour d’une rare noirceur.
Le carton introductif, « Ils descendirent du ciel parce qu’ils n’étaient pas assez nombreux sur Terre » renvoie à la chute des anges de l’Ancien testament. La référence évoque la peinture flamande du XVe siècle qui traita abondamment le sujet, et influença profondément le surréalisme, source majeur de van Warmerdam. S’ensuit une chasse menée par un prêtre dans les bois à la recherche de quelque créature cachée sous le sol même de la forêt. Découverts, elles s’avèrent des hommes hirsutes. Désignés comme issus du dessous de la terre, telluriques, ils viennent donc de l’Enfer. La suite le confirmera.
Les poisons à l’oeuvre
A la tête de ces démons, Camiel, dont la phonétique renvoie à la tradition biblique, comme un inverse du prophète Ezéchiel (Dieu rendra fort). Avec comme patronyme Borgman, il renvoie au Bogeyman anglo-saxon, notre croquemitaine national. Il conduit une phalange démoniaque qui a pour but de convertir par maints poisons de nouvelles recrues, se consacrant à répandre partout où il s’incruste la zizanie, la destruction et la mort. Alex van Warmerdam inscrit dans le quotidien cette machine de guerre à l’œuvre, comme la fonction de jardinier prise par Camiel pour s’incruster dans une famille. Dès lors, il s’évertue à détruire le parc fleuri, image d’un jardin d’Eden, réduit à néant.
Le cinéaste créé des images d’une force inouïe, tel l’effondrement du sol sous lequel se cache Camiel, son accroupissement sur le corps endormi de Marina – comme dans le tableau de Füssli « Le Cauchemar » - pour lui inspirer des songes qui la monteront contre son mari, et cette trouvaille ahurissante des corps assassinés, disposés tête bêche au fond de l’eau renvoyant à « La Nuit du Chasseur ».
Métaphore sur l’avidité de l’homme sur son prochain, magnifiquement mis en images et en scène, « Borgman », ne pourra que se trouver à une place ou l’autre du palmarès. Pour sa beauté fantasmagorique, son script dément et son sens pénétrant. Avis que partageaient nombre de festivaliers à l’issue de sa projection.
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