Cannes 2016 : "Exil" de Rithy Panh, le poème de l'indicible cambodgien
C'est un trait commun à tous les génocides : un peuple qu'on a voulu exterminer ressort de l'épreuve sans mots pour le dire. Ce fut le cas pour celui du peuple juif, ce le fut aussi pour celui des Cambodgiens. En 1975, alors que le monde entier évoquait la "libération" de Phnom-Penh, le pays tombait en servitude, victimes et bourreaux issus du même peuple.
Rithy Panh a onze ans quand la terreur s'abat sur son pays. Après quatre années passées dans les camps de travail des Khmers rouges, il en sort vivant ce qui n'est pas le cas de ses parents et d'une partie de sa famille. Un an après la chute des tortionnaires renversés en janvier 1979 par les voisins vietnamiens, il arrive en France. Devenu cinéaste, il n'aura de cesse de tenter de faire comprendre, de faire ressentir ce que furent ces années de cauchemar. De tenter aussi, d'arracher à l'oubli le souvenir de tous ceux qui sont tombés dans l'anonymat des rizières et sous la torture dans les nombreux centres de détention. Mais comme tous, Panh se heurte à l'indicible. Les mots sont insuffisants, les images incomplètes. Comment expliquer ce que l'on ne peut comprendre ?
"La révolution n'est pas un dîner de gala" (Mao Zedong)
Alors, Rithy Panh a réalisé des documentaires, imaginé des fictions, animé des personnages de terre à modeler. Aussi réussis soient ses films, aucun n'avait encore su assouvir son besoin de témoigner. Avec "Exil", il semble toucher au but. Accompagnés par les mots de personnages aussi différents que René Char, Mao Zedong ou Robespierre, il a imaginé un film tenant à la fois de l'oeuvre de création, de la chorégraphie, du théâtre et du documentaire. Et, enfin, entre les lignes, entre les séquences, en évoquant des rêves, il touche quasiment au but : faire ressentir au spectateur un millionnième de cette horreur dont il est sorti "mort et vif". Il l'a dit entre les mots lors de sa rencontre avec le public cannois "un jour je ferai d'autres films". Et même s'il l'a déjà fait, c'est son engagement pour sauver la mémoire de son peuple massacré que retiennent principalement ceux qui connaissent son oeuvre."La pureté c'est la terreur"
Rithy Panh est nostalgique. Il évoque son pays d'avant 1975 comme un paradis perdu. On pouvait y danser le cha cha cha, les femmes étaient élégantes et la tradition des danseuses apsara rappelait que ce pays avait une histoire. Toutes choses que les fanatiques maoïstes ont tenté de gommer par la terreur et l'assassinat de masse. En ranimant ce passé avec de vieilles images d'époque, en noir et blanc, ou grâce à des voix de chanteuses éteintes depuis longtemps, il signifie aux tortionnaires, Pol Pot, Khieu Samphân, ou Duch, qu'ils ont échoué, qu'il n'ont pas tué la mémoire des disparus. De film en film, le cinéaste accomplit ainsi une oeuvre de préservation, fidèle et pleine d'amour pour les siens.Mais comme il le dit lui-même "Dés qu'on prononce le mot 'exil' c'est trop tard... Alors il y a la nostalgie"...
La fiche
Exil - film documentaire français de Rithy Panh - Randal Douc (narrateur) et Sang Nan - durée : 1h18
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