Cannes 2017 : bilan d'une 70e course à la Palme en demi-teinte
Le concert des nations étant à cette heure plutôt dissonant, pas étonnant que celui des films s’en fasse l’écho. Quand le monde va mal, il est logique que les films en témoignent : on a le cinéma qu’on mérite. L’heure est au bilan sur la programmation cannoise, au jour le jour, dans l’ordre de projection des films.
Retrouvez notre tableau de cotation en bas de pages.
Jeudi 18 mai. Après le film d’ouverture hors compétition “Les Fantômes d’Ismaël“ d’Arnaud Desplechin, projeté la veille, le premier long métrage de la compétition donnait le ton : "Faute d’amour" du russe Andrey Zvyaghintsev ("Leviathan", prix du scénario en 2015). Le titre est parlant et prémonitoire. Cette métaphore des plus sombres sur l’état d’une Fédération de Russie de plus en plus tiraillée - à travers le divorce houleux d’un couple alors que le fils disparaît - peut s’élargir aux tensions internationales. Très bien accueilli par la critique, Zvyaghintsev signe un des films majeurs de la sélection comme prétendant à la Palme d’or. Mais le palmarès de la critique et celui du jury vont rarement de concert.
Vendredi 19 mai. "Okja", du Sud-coréen Bong Joon Ho, première des deux productions Netflix qui ont fait tant parler, allait dans le même sens. Même si plus sombre que "Le Musée des merveilles", sur l’amitié entre une fillette et un monstre géant produit de manipulations génétiques mercantiles, le message de rédemption passe par une critique du pouvoir économique et de la manipulation de masse, dénoncés par la sincérité des sentiments et de l’amour que syncrétise l’enfance.
Avec "La Lune de Jupiter" du roumain Komêl Mundruczo, le mode métaphorique perdure. Avec son migrant syrien fraîchement débarqué en Europe mystérieusement investi du pouvoir de lévitation, le film introduit le thème des mouvements migratoires qui touchent la planète. Un sujet majeur contemporain qui traverse toutes les sélections confondues du festival. Mais le film ne convainc guère. Hormis ses magnifiques scènes de lévitation, son écriture bancale le fait verser dans un thriller mal ficelé et hésitant qui le vide de substance.
Samedi 20 mai. La programmation reprend de la tenue avec "120 Battements par minute", premier film français de la compétition, de Robin Campillo ("Les Revenants"), sur l’action de l’association Act Up contre le sida, au début des années 1990. C’est le véritable grand choc du festival. Extrêmement bien documenté et fidèle à l’esprit frondeur et provocateur du mouvement animé par des malades eux-mêmes, magnifiquement interprété par une distribution chorale, porté par une émotion constante, avec de nombreuses idées de mise en scène, même si le film aurait gagné à être un peu ramassé, le film a bouleversé la critique qui, en partie, lui décerne d’ores et déjà la Palme. Un sérieux prétendant à la récompense ultime et prix françois Chalais qui récompense un film en phase avec l’actualité.
"The Square" du Suédois Ruben Ostlund ("Snow Therapy") est également très bien accueilli par la critique et révèle l’acteur britannique Dominic West comme le premier prétendant au Prix d’interprétation masculine. Il y joue le conservateur d’un musée d’art contemporain dont l’exposition d’une installation va provoquer la polémique, suite à une communication mal gérée. Pamphlet sur le monde de l’art, de ses artistes, et de la société mondaine qui gravite autour, "The Square" est un petit bijou de mise en scène, Prix qu’il pourrait bien rafler au passage. Tout comme celui du scénario, tant son écriture est ciselée, avec un humour pince-sans rire efficace, sur un sujet original et inattendu. Bien vu.
Dimanche 21 mai. On revient sur Terre avec "The Meyerowitz Stories" de l’Américain Noah Baumbach, deuxième film Netflix de la sélection. Sans précédent marquant dans sa filmographie, le jeune metteur en scène n’acquerra pas plus de notoriété avec ce film plaisant, mais sans plus. Sa principale valeur repose sur le retour de Dustin Hoffman dans un premier rôle, qu’il tient à bout de bras, mais qu’il serait étonnant de voir au palmarès. Ben Stiller y est par ailleurs excellent. Le film traite du sujet persistant dans le cinéma américain des déboires d’une famille, avec tendresse et humour. Principal défaut : une photographie plate et un cadrage qui dénote d’emblée sa destination à la télévision, Netflix oblige. La présence du film en compétition à Cannes est des plus injustifiées.
"Le Redoutable" de Michel Hazanavicius ("The Artist") est autrement plus réussi, sur le sujet inattendu et risqué de la conversion de Jean-Luc Godard au maoïsme en 1967, et le tournant que va en subir sa carrière comme frondeur de la Nouvelle vague. Le film développe à merveille son propos avec un regard très en retrait, bourré d’humour et respectueux de son modèle, en en exposant toutes les facettes complexes, notamment dans la position "godardienne" et le rôle du réalisateur suisse dans les événements de 68. Louis Garrell en Godard est irrésistible, mais le film, malgré ses nombreuses qualités, notamment dans l’image et la reconstitution, ne peut prétendre au palmarès.
Dimanche 22 mai. "Mise à mort du cerf sacré" du Grec Yorgos Lanthimos ("The Lobster", en compétition en 2015) est le premier film à véritablement diviser la critique. Sur un étrange scénario démarqué de la tragédie grecque, le film impressionne en premier lieu par le duo Collin Farrell – Nicole Kidman, qui se retrouveront plus tard dans "Les Proies" de Sofia Coppola, une curiosité et une première dans les annales du Festival. Modèle de transposition du modèle classique pour les uns, fatras tarabiscoté d’écriture pour les autres, le film n’est pas moins pourvu de qualités de mise en scène sur lesquelles beaucoup s’accordent. Il poursuit la thématique de l’enfance de la compétition dans le sacrifice rédhibitoire d’un fils pour racheter une faute commise par son père, et ainsi sauver sa famille de l’anéantissement total.
"Happy End" de Michael Haneke (Palme d’or avec "Le Ruban blanc" en 2008 et "Amour" en 2014) fut plus consensuel dans la reconnaissance d’un film mineur dans la carrière du cinéaste autrichien. Il aborde en filigrane le thème des migrants en traitant de la décadence d’une famille de la haute bourgeoisie calaisienne, ignorante de la misère du monde à sa porte. L’enfance y est également présente avec une fillette cruelle, thème récurrent du réalisateur. La performance remarquablement subtile de Jean-Louis Trintignant mériterait d’être distinguée au palmarès.
Troisième film en compétition ce dimanche, "Le Jour d’après" voit le retour du sud-coréen Hong Sang-soo ("Ha Ha Ha", "Another Country") sur la Croisette. Film sur les déboires adultérins d’un homme veule mais sentimental, il a d’ores et déjà remporté le Prix FIPRESCI de la critique internationale. En noir et blanc et formellement ascétique, il n’a pourtant pas convaincu tout le monde, avec des avis partagés. Sa présence au palmarès serait une surprise.
Lundi 23 mai. Un seul film est en compétition ce jour, la soirée étant consacrée aux commémorations du 70e Festival de Cannes. C’est néanmoins une habituée de la Croisette qui est distinguée, la Japonaise Naomie Kawase ("Les Délices de Tokyo", "Still Waters"), avec "Vers la lumière". C’est sans doute le film le plus abordable de cette cinéaste sensible, préoccupée par les rapports de l’homme avec la nature, à la poésie constante dans ses sujets et ses traitements. Elle penche ici en faveur du romanesque dans l’histoire de la rencontre entre une adaptatrice de films pour les non-voyants et d’un photographe qui perd la vue. Très beau film, l’actrice Ayame Misake y est resplendissante de beauté et l’acteur Masatoshi Nagase remarquable, dans un rôle qui aurait gagné à être plus creusé. Si elle ne néglige pas ses personnages, c’est toutefois le thème de la transcription verbale de la beauté qui habite le cœur du film.
Mardi 24 mai. Journée chargée avec deux poids lourds de la sélection. En premier lieu, "Les Proies", d’une autre habituée de Cannes, Sofia Coppola ("Marie-Antoinette", "The Bling Ring"), la fille de son père, deuxième film avec en tête de distribution Collin Farrell et Nicole Kidman. Deuxième adaptation du roman éponyme de Thomas P. Cullinan, elle souffre de la comparaison incontournable avec celle de Don Siegel en 1971, avec Clint Eastwood, plus dérangeante, malgré de vrais atouts techniques dans la plastique du film. Comme l’ont relevé beaucoup, le film, trop "endimanché", ne devrait pas se retrouver au palmarès. Le thème de l'enfance y est encore abordé, dans un pensionnat de jeunes filles pendant la guerre de Sécession qui recueille un soldat blessé. L’on y retrouve trois âges de la femme face à la virilité : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte.
Très attendu, "Rodin", avec Vincent Lindon dans un rôle-titre pour lequel il s’est totalement investi, voit le retour de Jacques Doillon au terme de 16 ans d’absence à Cannes, après "La Drolesse" et "La Pirate". Beau film sur la dualité entre l’artiste et sa personnalité, le processus de création et ses motivations, le film convainc à moitié. Paradoxalement un peu froid au regard de la stature et de la réputation passionnée de l’artiste, à la vie sentimentale tumultueuse, le film pèche par ailleurs d'un défaut, relevé par beaucoup, des dialogues marmonnés par des acteurs par ailleurs physiquement investis. Sa présence au palmarès est peu probable.
Jeudi 25 mai. Bonne surprise, avec la projection de "Good Time", des frères américains Benny et Josh Safdie ("Mad Love in New York"). Thriller autour d’un braquage qui a mal tourné, le film se distingue par son appartenance à un genre codifié, en parvenant à le transcender au profit du portrait d’une génération déconnectée des réalités, déchirée entre superficialité et des ambitions plus nobles. Un véritable talent d’écriture et de mise en scène s’en dégage, dans la lignée de "Drive", Prix de la mise en scène en 2011. Avec à la clé les performances du coréalisateur Benny Safdie dans la peau d’un demeuré, et surtout de Robert Pattinson, en paumé flamboyant qui fait l’unanimité comme prétendant favori au Prix d’interprétation masculine.
On déchante nettement avec "Une femme douce" de l’Ukrainien Sergei Loznitza, dont c’est avec trois films à son actif, la troisième sélection en compétition, après "My Joy" (2010) et "Dans la brume" (2012). C’est dire si l’on connaît le phénomène, aux films interminables et lents (ici 2h23), aux scènes de violences paroxystiques et aux enjeux ténébreux. Adulé par les uns, honni par les autres, "Une femme douce", deuxième adaptation de la nouvelle de Dostoïevski "La Douce", après celle de Robert Bresson en 1969 qui révéla Dominique Sanda, confirme l’approche radicale d’un cinéma qui vérifie l’adage selon lequel ce qui est excessif est insignifiant.
Vendredi 26 mai. "In the Fade" de l’Allemand Fath Akin ("De l’autre côté", prix du jury en 2007) redonne de l’espoir sur la fin d’une sélection jusque là en deçà des attentes. Dans la lignée ténébreuse de la compétition, traitant d’un attentat néo-nazi inspiré d’une histoire vraie, alors que le drame de Manchester (22morts, 60 blessés lundi 23 mai) a endeuillé le Festival. Le film a été diversement apprécié, provoquant une adhésion spontanée, ou un rejet d’une part de la critique. Celle-ci l’a trouvé en deçà des ambitions du cinéaste, trop simple dans le traitement de son sujet. Partisan d’un cinéma politique, Fath Akin voulait coller à cette veine quand il conçoit son projet. Puis il décide de se diriger sur la voie d’un traitement plus accessible, en plaquant son scénario sur les codes du thriller et du film de procès. Ce à quoi il parvient de manière magistrale. Le manichéisme que lui reprochent ses détracteurs est à côté de la plaque, la vengeance de cette mère de famille qui voit son mari et son fils tués dans un attentat, est des plus ambigüe. De l’art de faire passer des choses profondes sous une forme faussement "divertissante". Diane Kruger qui l’interprète fait l’unanimité comme Prix de la meilleure actrice. Pas mieux.
Troisième film français de la compétition, "L’amant double" de François Ozon, réalisateur de "Frantz" et habitué de Cannes avec "Jeune et Jolie", "Swimming Pool", divise également la critique. Très esthétique, sans être esthétisant, mais sophistiqué dans sa forme et son scénario, hommage au thriller psychologique qu’il aime (Hitchcock, Brian De Palma, David Cronenberg, voire Orson Welles), "L’amant double" enchante ou révulse pour ses forts partis pris de mise en scène, une constante du cinéaste qui reste fidèle à lui-même, comme amoureux de cinéma et de son métier de réalisateur. Il offre du même coup une double prestation à Jérémie Renier qui peut prétendre au prix du meilleur acteur, et surtout à Marine Vacht qu’Ozon avait découvert pour "Jeune et jolie", et sérieuse challenger de Diane Kruger pour le Prix de la meilleure interprète féminine.
Samedi 27 mai. Dernier film de la compétition officielle, "You Were Never Really Here" marque également le retour de la britannique Lynne Ramsay, déjà en lice pour la Palme en 2011 avec "We Need to Talk About Kevin". Film difficile et torturé, à la facture violente et chaotique dans le récit d’un homme traumatisé qui se voue au sauvetage d’une préadolescente aux mains d’un réseau de prostitution à destination de hauts hommes politique, on est en plein du côté obscur de la sélection et du thème récurrent de l’enfance. Très partagée, la critique vante l’inventivité de la construction éclatée du récit, la radicalisation de sa violence justifiée, et la performance de Joaquim Phoenix, comme sérieux prétendant au Prix d’interprétation.
Dimanche 28 mai. C’est ce soir que l’on connaîtra les heureux lauréats d’une sélection globalement qualifiée de "moyenne" par les observateurs. A l’occasion de cette 70e cérémonie seront également remis La Caméra d’or, compétition transversale de toutes sélections, et qui récompense un premier film, ainsi que le Prix du court-métrage. Un nouveau venu, très pertinent, a été rajouté cette année : le Prix de la meilleure création sonore pour un film, qui ne se limite pas à la musique, mais à l’ensemble de la dimension auditive d’un long métrage.
Résultats des courses à partir de 19h00, avec dans la foulée, en clôture du Festival, la projection de la Palme d’or 2017, 70e du nom.
Film par film : la cote Culturebox
* * * * * La Palme (aucune Palme décernée)
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* * Bon
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