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Cannes 2018. Prix de la création sonore : et si on apprenait à écouter un film ?

Un cinéaste, Régis Wargnier, un chef d’orchestre, Jean-Claude Casadesus, une spécialiste des médias, Janine Langlois-Glandier, une phoniatre, Claude Fugain et un acousticien, Christian Hugonnet. A Cannes, ils ne voient pas seulement les films. Ils les écoutent. Jurés du "Prix de la meilleure création sonore" de la sélection Un certain regard, ils nous expliquent comment on fait.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le jury du prix de la création sonore à Cannes . En partant de la droite : Christian Hugonnet,  Jean-Claude Casadesus, Régis Wargnier, Claude Fugain et  Janine Langlois-Glandier. 
 (Christian Hugonnet)

Pourquoi dit-on toujours qu’on voit un film et jamais qu’on l’entend ? Les deux sens sont pourtant en même temps à l’affût. Comment "écouter" alors une pellicule ? Nous avons posé la question aux jurés du Prix de la meilleure création sonore réunis un après-midi ensoleillé sur une plage de la Croisette. Seule la comédienne Aloïse Sauvage, également membre du jury n’a pas pu être des nôtres.

Le film est un tout

Régis Wargnier : je suis trop cinéphile, depuis toujours, pour faire le tri. Même ici où on a une mission autour du son, je ne reçois le film que dans son ensemble : son histoire, son image, ses acteurs, son style et puis peu à peu je suis imprégné du récit et aussi du son. Si je me concentrais uniquement sur le son, je sais que je me désintéresserais du film. Et puis, à un moment donné du film que je vois, je ressens la qualité d’un acteur, d’une prise de son, d’un effet. Prenez le film "Hostiles" sorti cette année : la bande son fait partie intégrante de ce film. Les chevaux, la nature, le silence le désert, le danger, les coups de feu glaçants.

Claude Fugain : j’ai un peu de mal à détacher le son du reste du film, de mon sentiment général, si le film me touche ou pas. En revanche je suis plus intéressée par les voix parce que c’est mon travail, le timbre. "Dombass", un film que nous avons vu dans notre sélection, a une certaine violence : les voix y sont très métalliques, très articulées, puissantes, avec des impacts très forts.

On construit l’image avec la bande son

Christian Hugonnet : l’idée de base est que l’on voit à travers le son. L’idée de ce prix est d’amener à comprendre que ce que l’on voit est aussi déterminant et déterminé par ce que l’on entend. Donc la construction du sonore qui amène la personne à voir et à discerner et à mieux comprendre ce qui se passe, c’est quelque chose de fondamental. Mais pour aller plus loin : connaissant le travail de fond d’un mixeur, d’un musicien, on sait qu’à travers toute la bande son on construit l’image en permanence et on construit toute la situation narrative. Le son a une dimension de création au sens large, artistique.

Janine Langlois-Glandier : Qu’est-ce qui compte ? C’est un ensemble : aussi bien ce qu’on appelle les bruits, que les voix, que la musique. C’est cet ensemble qui doit être cohérent. En télévision, et au cinéma, j’ai toujours été sensible au son. Une excellente qualité sonore, avec de la création, ça peut être magique. On a fait des progrès sur l’image, que ce soit au cinéma ou en télévision, En revanche sur le son, je crois que les producteurs doivent faire un effort de réflexion sur l’évolution des métiers compte tenu de l’évolution technologique.

Regarder par l’oreille

Claude Fugain : Les qualités requises pour une bonne création sonore ? C’est la voix qui se superpose bien à l’image. Pour un film qui était extrêmement violent, j’étais très sensible à la sonorisation très douce. C’est le décalage qui m’intéresse. De même, on ne juge pas le comédien pour sa qualité de voix, mais le réalisateur : comment a-t-il choisi ce son-là, pour cette image-là.

Jean-Claude Casadesus : Il y a plusieurs dimensions qui me frappent dans un film : il y a l’image, le son, la musique des mots, la poésie des notes et enfin les silences habités. Le film qui m’intéresse est la synthèse entre cette musique des mots (ou des sons, des borborygmes, des murmures souvent inaudibles) et puis le son de la vie. Et alors quand ces sons qui nous entourent prennent le pas sur la tentative d’expression des mots, c'est dérangeant. Il y a cet équilibre-là qui est difficile à maîtriser mais qui est important pour le monteur et le réalisateur.

Régis Wargnier : Pour moi le plus important c’est le ressenti. Je ne veux surtout pas analyser, je ressens.

Christian Hugonnet : Regarder un film par l’oreille peut signifier également aller chercher dans la phrase et dans la structure même du film les éléments qui vont permettre précisément de mieux voir ou d’avoir l’œil qui va être accroché par ça ou par ça. C’est le petit son, si fragile qu’il soit, qui va vous amener à dire ah, tiens ! C’est là que le réalisateur va vous faire aller. De la respiration à la musique. Et c’est là qu’on est guidés. Dans la vie on est guidé tous les jours par le sonore. J’entends et je porte mon regard sur ce que je viens d’entendre. C’est comme ça qu’on vit, ce n’est pas l’inverse !

Jean-Claude Casadesus : quand je parle de la poésie de la musique et de la musique des mots c’est quelque chose qui pour moi a un sens.

Régis Wargnier : Les sons des gens, la voix de la femme qui arrive dans l’image, les sons off, les cris, les coups dans l’estomac, ce n’est pas neutre. Une bande son totalement au service du film.

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