E-mails insultants, "désaccords politiques"... Act Up se déchire depuis le film "120 battements par minute"
Le succès du film, sorti l'été dernier, a attiré des militants dans l'association de lutte contre le sida. Les nouveaux venus, "beaucoup trop politisés" selon les anciens, ont souhaité faire de la question des migrants une priorité. Après des échanges tendus, l'équipe dirigeante a claqué la porte samedi.
Rémy Hamai n'est pas resté longtemps dans les locaux de la Bourse du Travail, à Paris, samedi 31 mars. "Le temps de procéder au vote, et je suis parti", raconte à franceinfo le désormais ex-coprésident d'Act Up dans la capitale. Il faut dire qu'il juge l'ambiance "exécrable" depuis plusieurs mois au sein de l'association de lutte contre le sida. Au point que lui et les autres membres du conseil d'administration ont officiellement démissionné lors de cette assemblée générale extraordinaire. Dans un communiqué, ils dénoncent la "transition brutale" liée au succès du film 120 battements par minute.
'Où lutterons-nous maintenant contre le sida ? Certainement plus à Act-Up Paris' les deux anciens présidents d'Act Up-Paris, l'ancien porte parole et des nouveauxELLES militantEs expliquent leur écœurement suite à l'AG extraordinaire tenue en raison de leur démission #combat pic.twitter.com/Et02Kzk4UN
— Mikael Zenouda (@MikaelZenouda) 1 avril 2018
La sortie en août dernier du film de Robin Campillo a "complètement bouleversé le fonctionnement de l'association", estime Rémy Hamai. De nouvelles personnes sont alors venues frapper à la porte d'Act-Up pour proposer leurs services. "Ce regain militant, au début, c'était positif pour l'association, c'était motivant, ça faisait du bien."
C'était comme un nouveau souffle. Ça se voyait dans les réunions hebdomadaires le jeudi soir. Avant, on était dix, là on était cinquante.
Rémi Hamaià franceinfo
Mais l'idylle est de courte durée. A l'automne, des divergences commencent à apparaître entre l'équipe dirigeante et certains nouveaux arrivants. Sur le fond, comme sur la forme.
"Ce n'était plus possible de travailler"
Les membres du conseil d'administration reprochent aux derniers arrivés de vouloir s'imposer trop vite. Ils dénoncent "l'entrisme" de ces militants. Majoritairement issus de la lutte antiraciste, ils souhaitent donner davantage de place à la question des migrants. "Pour eux, le combat contre le sida n'est plus une priorité", regrette Rémy Hamai.
Interrogés par franceinfo, les intéressés se défendent. "Je trouve ça génial de voir des jeunes qui réussissent à voir les liens qu'il peut y avoir entre les questions du VIH, des migrations ou de la précarité, lâche Pierre Dauphin, passé à Act Up Paris entre 2010 et 2014, avant d'y revenir en septembre dernier. Ce sont des problèmes complémentaires, pas concurrents."
Autre divergence entre anciens et nouveaux : les modes d'action. Exaltés par le film 120 battements par minute, qui décrit la lutte contre le sida dans les années 1990, certains ne se retrouvent pas dans l'association de 2018. Ils lui reprochent d'être trop "institutionnelle". Act Up Paris est "une association activiste", "avec des actions publiques", assume Pierre Dauphin. Il prend l'exemple du "faux sang" jeté sur les adversaires politiques. Lui l'a déjà fait "trois ou quatre fois."
Il faut des associations institutionnelles, mais il faut aussi des poils à gratter.
Pierre Dauphinà franceinfo
Selon Pierre Dauphin, l'équipe en place "avait peur des représailles judiciaires et faisait en sorte qu'on ne puisse pas faire ce type d'actions".
"Ce n'était plus possible de travailler"
La situation "pourrit" de jour en jour, et l'activité militante est reléguée au second plan. "Il y avait des critiques permanentes de l'action du Conseil d'administration", se souvient Mikaël Zenouda, qui était coprésident d'Act-Up il y a encore quelques jours.
On pouvait recevoir cinquante mails en deux jours.
Rémy Hamaià franceinfo
Rémy Hamai affirme que beaucoup de ces e-mails l'attaquaient personnellement. "Ils me trouvaient trop à droite, misogyne, raciste... C'était insupportable." Le point de rupture a lieu en janvier dernier, au moment de concevoir le visuel d'une soirée. Des membres de l'association reprochent au bureau d'avoir travaillé dans son coin. "On a encore eu des critiques répétées, ce n'était plus possible de travailler, dénonce Mikaël Zenouda. Interrogés par franceinfo, d'autres militants parlent plutôt de "petits accrochages" dus à des "guerres d'ego", de "désaccords politiques et de fonctionnement", mais "rien d'excessif." L'ambiance générale délétère pousse malgré tout plusieurs militants de base à quitter l'association. Certains venaient pourtant juste d'arriver.
Samedi 31 mars, lors de l'assemblée générale extraordinaire, c'est une équipe mixte entre anciens et nouveaux qui est élue. Parmi eux, Drisse Atek, qui s'est engagé dans l'association en février. Lui assume ce changement de cap. "Avec les années, Act Up a un peu perdu son âme, estime-t-il. On doit revenir dans la rue de manière visible. Les gens ont besoin de savoir qu'Act Up se bat et qu'on n'arrêtera pas."
Des propos qui ne vont pas rassurer Mikaël Zenouda, qui a déjà fait ses cartons. Il se dit "inquiet" pour l'avenir de l'association au sein de laquelle il a milité pendant cinq ans. "On a le sentiment que certains dossiers vont être prioritaires sur d'autres. Il y aura forcément d'autres départs. Combien ?" De son côté, Rémy Hamai, "atteint physiquement et moralement" par ces six mois de tension, ne pense pas encore au futur. "Je vais continuer à militer contre le sida, mais autre part, et sous d'autres formes. En tout cas, Act Up, c'est fini."
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