Comme Spielberg ou Tarantino, faut-il forcément être cinéphile quand on est cinéaste ?
Le cinéaste cinéphile est à la mode en ce moment, entre le livre de Quentin Tarantino Cinema Speculations, sorti il y a quelques jours, qui évoque sa jeunesse et les films qui l'ont nourri, et le film autobiographique The Fabelmans de Steven Spielberg, sur la même thématique.
Mais faut-il forcément être cinéphile (au sens amateur de films, puisque le terme peut aussi être synonyme d'élitisme), pour réaliser des films ? En tous cas, selon Emmanuel Mouret, auteur de onze longs-métrages depuis 2000, la réponse est oui : "Moi si j'ai eu envie de faire des films, c'est parce que j'en avais vus et aimés. Et parce que je crois que le désir de cinéma se nourrit du cinéma, et que les films sont une source d'inspiration, beaucoup plus que ne l'est la vie en général. Et cette envie de faire des films qui soient à la hauteur de ce plaisir de cinéma. Le cinéma c'est d'abord du cinéma, ce n'est pas la vie. Alors ça peut y faire penser, ça peut l'évoquer, mais c'est avant tout du cinéma."
"Un dédoublement du cerveau"
Lorsqu'on passe de l'autre côté, et qu'on devient soi-même cinéaste, est-ce qu'on regarde des films de la même façon, en simple spectateur qui se laisse porter par l'histoire et l'œuvre, ou avec un œil de technicien, plus professionnel ? Pour Coralie Fargeat, réalisatrice du thriller Revenge en 2018, c'est un peu des deux : "Malheureusement, une fois qu'on fait des films, on perd un peu ce pur plaisir de spectateur qui fait qu'on est à 100% plongé dans le film qu'on regarde. Il y a une petite part du cerveau, plus ou moins grosse, qui se met en coulisses, du côté de l'analyse, par exemple 'Ce plan-là est super, la photo est géniale, j'adore la musique'. Il y a un dédoublement du cerveau, en effet, qui par moments peut être embêtant. Parce que je pense que tout ce qu'on voit, à tout âge, nourrit ce qu'on fait, et il y a une forme d'absorption pendant qu'on regarde, qui a aussi des vertus agréables."
Mélanger ses influences
Quand on travaille sur un film, ce qui prend généralement au mieux deux à trois ans, ce n'est pas forcément facile d'en regarder d'autres au même moment, si l'on en croit Caroline Vignal, dont la comédie Antoinette dans les Cévennes a fait près de 800.000 entrées.
"Si je dois être tout à fait honnête, je dirais que quand je fais un film, les films des autres c'est un peu comme les enfants des autres, je ne les aime pas !"
La réalisatrice Caroline Vignalà franceinfo
"J'ai même une espèce de truc un peu tendu, et surtout pour être franche avec des films français, je me dis 'Est-ce que il ou elle fait mieux que moi ?' donc je n'ai pas un rapport très sain aux films des autres quand je suis en train d'en faire un, mais je ne devrais peut-être pas le dire comme ça !"
Aimer d'autres films, d'autres auteurs, certains genres de cinéma, c'est aussi avoir des références, qu'on cite ou pas dans ses films. On a demandé à Matthieu Turi, réalisateur de Méandre, une des belles surprises de la réouverture des cinémas en 2021, comment il incorporait ses influences dans son cinéma : "Je pense que le fait de citer ses références permet au contraire de dire 'Je ne me compare pas à, mais je m'y réfère', ce qui n'est pas la même chose. Quand Julia Ducournau (Titane) fait ses films et qu'elle parle de Cronenberg, on sait très bien que c'est une influence et que ça l'a marquée, donc évidemment on le retrouve dans son cinéma. Alors que si elle l'avait contesté ou dit l'inverse, les gens auraient dit 'OK c'est de la copie pure et simple'. Je pense que la solution c'est tout simplement de mélanger ces influences, comme le font d'ailleurs Tarantino et beaucoup de réalisateurs. Et pourquoi pas aussi aller chercher des choses en dehors du cinéma, moi par exemple je m'inspire pas mal de Lovecraft pour mon nouveau film (Gueules noires). Ce mélange crée quelque chose de nouveau."
"Il existe peut-être des cinéastes qui ont leur propre voie tout de suite, mais je crois plutôt qu'avec plus de 100 ans de cinéma derrière nous, tout le monde est un peu influencé par tout le monde."
Matthieu Turià franceinfo
Et les quatre cinéastes interrogés dans cet article sont justement tous en train de mettre la dernière main à leur prochain film.
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