Comment Hollywood a tué les Schtroumpfs, il y a trente ans
Les Schtroumpfs boudinés du cinéma vous hérissent ? Rappelez-vous les dessins animés des années 80.
Dans Les Schtroumpfs 2, qui sort en salles mercredi 31 juillet, on voit notamment Gargamel, le méchant sorcier de la série, se produire à l'opéra Garnier (Paris) et créer des anti-Schtroumpfs marron qui rotent. Voilà ce qu'est devenue l'œuvre de Peyo, née dans les pages du journal Spirou voilà près d'un demi-siècle. Le premier film, qui a cartonné au box-office en 2011 avec plus de 560 millions d'euros de recettes, n'est pas seul à blâmer. Hollywood s'emploie à affadir l'univers des petits lutins bleus depuis les années 80.
Comme Tintin ou Astérix, la notoriété des Schtroumpfs aurait pu rester confinée à l'Europe. Il s'en est fallu d'une peluche. Fred Silverman, grand patron de NBC entre 1978 et 1981, se rend à Honolulu avec sa petite-fille. Celle-ci s'entiche alors d'une peluche Schtroumpf, achetée à l'aéroport, et refuse de s'en séparer pendant des jours entiers. Impressionné, Silverman contacte dans la foulée le studio de dessins animés Hanna-Barbera (Tom et Jerry, Scooby Doo, Les Pierrafeu) pour mettre en chantier la série. Voilà pour la légende.
En réalité, Silverman a déjà un dossier Schtroumpf dans ses tiroirs, avec un épisode pilote commandé par les éditions Dupuis pour vendre la série à l'international. Diffusée de 1981 à 1989 sur NBC, elle compte 252 épisodes et fait jusqu'à 42% de part d'audience le samedi matin. Mieux que Dallas, relève le Los Angeles Times (en anglais). Un critique, cité par le site britannique Television Heaven, la qualifie de "cocaïne pour gamins". Ce sont les mêmes dessins animés que les petits Français ont suivi grâce à "Récré A2" dans les années 1980.
"Les Schtroumpfs ne mâchent pas de chewing-gum"
"La seule chose que j'ai tenue à préciser tout de suite, c'est que les Schtroumpfs ne mâchent pas de chewing-gum et qu'ils ne boivent pas de Coca-Cola", explique Peyo, cité dans le livre Peyo l'Enchanteur, du journaliste Hugues Dayez. "Je ne tenais pas à ce qu'on américanise mes personnages, et j'ai obtenu gain de cause sur ce point."
Oui, mais en partie, seulement. Le contrat octroie bien un droit de regard au créateur des Schtroumpfs sur chaque scénario. Mais le temps qu'il renvoie ses corrections au studio américain, les animateurs ont déjà réalisé l'épisode. "Peyo a fini par laisser faire quelques horreurs", reconnaît Yvan Delporte, ancien rédacteur en chef du Journal de Spirou, qui assistait l'auteur belge lors des négociations.
Les Marx Brothers chez les Schtroumpfs
NBC trouve par exemple que les Schtroumpfs se ressemblent tous. Les studios américains proposent de créer un Schtroumpf à moustache, un Schtroumpf costaud vêtu d'une peau de bête et un Schtroumpf farceur, lointain clone des Marx Brothers. Dans un premier temps, ils essuient un refus côté belge. Finalement en panne d'inspiration, Peyo finira par incorporer les personnages créés par les Américains dans ses albums pour ne pas désarçonner le public international. L'album Le Bébé Schtroumpf, un des plus fades de la série, connaît un succès phénoménal grâce à la popularité du dessin animé. François Walthéry, un des dessinateurs qui a travaillé sur l'album pour Peyo, alors accaparé par l'aspect merchandising de sa création, se souvient, dans Peyo l'Enchanteur : "Quand nous le tournions en bourrique, il menaçait de nous enfermer dans sa cave et de nous infliger l'intégrale des dessins animés de Hanna-Barbera !"
C'est aussi dans les dessins animés de NBC qu'ont disparu les coups de maillet sur la tête du Schtroumpf à lunettes. Le network était effrayé à l'idée qu'un enfant puisse assommer ses parents après avoir vu un épisode. Dans la même veine, les potions élaborées par Grand Schtroumpf dans son laboratoire ne sont plus à base de liquides qui mijotent dans une marmite (à ne pas reproduire à la maison, on vous dit !), mais contiennent de la poudre étoilée qui vole dans le ciel.
Les Schtroumpfs à la Maison Blanche
Pire, NBC vole aussi au secours du président Reagan. Quand son épouse, Nancy, lance une croisade contre la drogue chez les jeunes, NBC demande à Hanna-Barbera d'utiliser les Schtroumpfs pour relayer ce message, contre l'avis de Peyo. Les Américains passent outre, l'administration Reagan est ravie. Ecœuré, Peyo refuse de valider les scénarios suivants, mais finit par accepter une invitation à la Maison Blanche, où il serre la main de la Première dame, en 1983. Un Emmy Award du meilleur dessin animé jeunesse suit quelques mois plus tard.
Passant outre l'avertissement initial de Peyo, Hanna-Barbera finit par faire vivre aux Schtroumpfs (qui vivent dans un Moyen-Age fantasmé) des aventures spatio-temporelles. Au casting de la dernière saison du dessin animé figure un dinosaure ou un charmeur de serpents. Le mal est fait : pour nombre de téléspectateurs des années 80, les Schtroumpfs n'ont plus grand-chose à voir avec les 99 lutins bleus identiques dirigés par Grand Schtroumpf dans les premiers albums.
Faut-il s'étonner, trente ans plus tard, que les scénaristes des Schtroumpfs version long-métrage n'aient qu'une lointaine réminiscence de l'univers de Peyo ? Dans le premier film, les lutins bleus sont envoyés dans le New York d'aujourd'hui grâce à un passage spatio-temporel. On y découvre, entre autres, un Schtroumpf écossais en kilt. Le nom de Peyo n'est cité que lors du passage des Schtroumpfs dans une librairie : il apparaît comme l'auteur d'un livre sur leur histoire. Pas sûr que leur papa ait plus d'influence sur le parc d'attractions dédié aux lutins bleus qui doit ouvrir ses portes dans quelques années, à Dubaï.
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