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Deux magnifiques films de Pasolini restaurés en DVD/Blu-ray : incontournables

Alors que l'exposition "Pasolini Roma" bat son plein à la Cinémathèque, plusieurs de ses films sont repris en salles et sortent en vidéo. Parmi ces derniers : "L’Évangile selon Saint-Matthieu" (1965), le plus beau film sur le Christ, et "Médée" (1969), la seule production dans laquelle joue Maria Callas. Le premier est en sobre noir et blanc, le second dans des couleurs chatoyantes : mythiques.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Pier Paolo Pasolini sur le tournage de "Médée" 
 (ARCHIVES DU 7EME ART / PHOTO12)
L'Evangile selon Saint-Matthieu
Quand Pasolini tourne "L'Evangile selon Saint-Matthieu", il sort de trois films ancrés dans la banlieue romaine, à caractère social et psychologique, dont le dernier "La Riccota" lui a valu un de ses nombreux procès. Il délaisse alors cette veine et s'oriente vers des sujets en lien avec la religion et la mythologie.
Athée depuis l'âge de 15 ans, éduqué dans un catholicisme traditionnel en Italie, il décide d'adapter une Evangile de la Bible, celle de Saint-Matthieu, la plus connue et lue dans les églises. Ce choix est étonnant et paradoxal chez un homme qui se dit incroyant. Il va pourtant adapter le texte à la lettre, avec une extrême sobriété de ton qui participe de l'impact incroyable qu'a ce film encore aujourd'hui, dans sa cinématographie et son rapport au texte.

Aucun acteur connu, pas de figuration pharaonique, noir et blanc, tout va à l'encontre des poncifs des films bibliques qui lui sont peu ou prou contemporains ("La plus belle histoire jamais conté", "La Bible"...), des projets hollywoodiens saint-sulpiciens, à l'encontre du cinéma de Pasolini. Lui, revient aux sources et créé un récit d'un impact implacable, où toute la philosophie du texte irradie du film. Ce qui l'intéresse n'est pas de croire ou nom, mais le texte, rien que le texte
Enrique Irazoqui, interprète du Christ dans "L'Evangile selon Saint-Matthieu" de Pier Paolo Pasolini
 (Carlotta Films)
Pasolini en tire toute la substantifique moelle, en images sublimes. Ce qui lui vaudra la reconnaissance des plus hautes instances liturgiques romaines de l'époque. Paradoxal pour un marxiste et homosexuel revendiqué. A noté que le rôle de la vierge Marie lors de la crucifixion est interprété par la mère, très croyante, de Pasolini, ce qui ne veut pas rien dire. Chef-d’œuvre.

Les compléments de cette version restaurée sont non moins passionnants, avec notamment les commentaires du Père Virgilo Fantuzzi qui a rencontré Pasolini et expose ses rapports avec l'Eglise. Egalement inédites, les retrouvailles avec l'interprète du Christ dans le film, Enrique Irazoqui, un jeune étudiant espagnol venu voir Pasolini à Rome pour des raisons politiques et qui s'est retrouvé embarqué dans une aventure inattendue. Les lumières de l'historien du cinéma Hervé-Joubert Laurencin explorent "Un religieux sans foi" en Pasolini. Mais c'est surtout le documentaire sur les "Repérages en Palestine" réalisé par Pasolini qui chapeautent ces bonus. Où le cinéaste ne cesse de s'émerveiller des paysages de la vie du Christ et de s'en décevoir par mains aspects, ne cessant de répéter qu'il trouvera les équivalents, sinon mieux, dans les Pouilles calabraises, où finalement il tournera "L'Evangile selon Saint-Mattieu". 

L'Evangile selon Saint-Mattieu
De Pier Paolo Pasolini (1965), Italie/France
Avec : Enrique Irazoqui, Margherita Caruso, Susanna Pasolini - 2h17
Editions : Carlotta Films

Médée
Sorti en 1969, "Médée" suit plusieurs films importants de Pasolini : "Des Oiseaux petits et grands" (1966), "Oedipe roi" (1967) et surtout "Théorème" (1968). Le réalisateur ne cesse de tourner et trouve de plus en plus sa voie, affine sa forme, en se confirmant totalement atypique dans le paysage cinématographie ambiant, affirmant sa singularité, tant sur le plan formel que du sens.
"Médée" recoupe sa volonté de (re)visiter les mythes, s'attaquant à la légende antique de la toison d'or, où le prince déchu de Tessalie, Jason, doit trouver un trésor mythique, la Toison d'or, afin de reconquérir son royaume. Pour ce faire, il se rend en Colchide (Mésopotamie) et y rencontre la magicienne Médée qui l'aide et l'aime. Ils vivront un amour véritable, et auront des enfants. Mais Jason lui préfère Glaucé. Médée folle de jalouise l'assassine, ainsi que ses enfants. Jason se retrouve seul, mais reconquière son royaume.

Comme tous les mythes grecs, Médée et Jason sont d'une extrême complexité a démêler. Pasolini s'y attaque en prenant le point de vue de Médée, tenue pour sorcière, gardienne de la toison d'or, mais éprise de celui qui vient la subtiliser à son royaume, alors qu'elle est garante de sa prospérité grâce à elle. La trahison de Jason avec Glaucé justifie alors le parti-pris du cinéaste pour la magicienne. Est-ce si sûr ? La cruauté de Médée envers ses enfants et sa rivale sont autant d'anathèmes que dénonce Pasolini, épris de liberté, notamment sexuelle. D'où une dramaturgie tragique d'un lyrisme rarement rendue à l'écran.
L'affiche de "Médée" de Pier Paolo Pasolini : Maria Callas
 (Carlotta Films)
Pasolini met en scène le mythe dans des images sublimes, où son usage de la couleur, par les costumes, les bijoux et accessoires, rend compte d'un rare talent visionnaire. Le choix de Maria Callas pour interpréter Médée s’avère des plus judicieux, la Diva donnant une dimension dramatique à son rôle que seules les postures lyriques, issues de l'Opéra, pouvaient pourvoir. N'oublions pas le centaure Chiron qui éduque Jason et le remet plus tard sur le droit chemin, rôle tenu par Laurent Terzieff, sous des traits et un costume non moins judicieux.

Dans cette continuité, aucune référence historique n'est à chercher dans ce conte mythologique hors du temps. Les emprunts et inventions sont constants, comme la musique aux résonnances antiques, multiples et internationales, notamment japonaises, tibétaines, tribales..., toujours en phase et oniriques. Comme les paysages incroyables, traversés avec une primalité qui renvoient à des récits de fantasy, tel, plus tard en bande-dessinée, « Vuzz » de Philippe Druillet. De fait, seul compte une cohérence imaginaire.

 Les compléments sont essentiellement composés de scènes coupées au montage, puis de lectures de textes de Pasolini, où le cinéaste évoque les différentes scènes de son futur film. La plupart ne seront pas réalisées mais donnent des pistes sur sa vision du film encore en gestation. Egalement très approfondie, la restauration du film, qui en avait bien besoin pour en restituer toute la beauté visuelle.

Médée
De Pier Paolo Pasolini (1969) Italie/France/Allemagne -1h50
Avec : Maria Callas, Massimo Girotti, Laurent Terzieff 
Editions M6 Vidéo

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