Au Festival international du documentaire de Marseille, des jurés aux Baumettes
Depuis 2011, le Festival international du film documentaire de Marseille (FID) et l'association Lieux Fictifs - qui propose depuis 20 ans de former et de sensibiliser les détenus à l'image et au cinéma - permet à un panel de prisonniers de devenir jury pendant toute la durée du festival (du 30 juin au 6 juillet). Les jurés visionnent plusieurs films issus de la sélection officielle (huit cette année), rencontrent les réalisateurs et remettent un prix : le prix Renaud Victor, du nom du premier cinéaste à avoir réalisé un documentaire aux Baumettes : "De jour comme de nuit" (1991).
Une projection particulière
Dans une salle surchauffée de la maison d'arrêt des Baumettes, à Marseille , trois ventilateurs soufflent à plein régime pour rafraîchir la vingtaine de détenus qui assistent à une projection spéciale du Festival international du documentaire (FID). Les lumières s'éteignent, le rétroprojecteur se lance : la séance de ces jurés d'un type singulier peut commencer."Ça fait plaisir, ça change de la routine de la prison, y'a rien aux Baumettes", se désole Magid, un détenu, la vingtaine bien entamée et la coupe de cheveux impeccable.
L'administration nuance ce constat : "Il y a eu un concert la semaine dernière, il y a des ateliers, on a des activités à proposer", conteste Chloé Louvel, directrice de la communication des administrations pénitentiaires de la région, avant de concéder : "Les Baumettes c'est 155% de surpopulation carcérale, ce n'est pas toujours simple d'informer tous les détenus des activités proposées".
Depuis les attentats du 7 janvier et les nouvelles mesures prises pour lutter contre la radicalisation en prison, des budgets ont été débloqués pour des activités supplémentaires.
Des abattoirs d'Alger à la prison des Baumettes
Ce jour-là, le réalisateur algérien Hassen Ferhani diffuse pour la première fois son documentaire : "Dans ma tête, un Rond point". Le cinéaste s'est plongé pendant deux mois dans les abattoirs d'Alger, les plus vieux d'Afrique, et ses 800 ouvriers, tous y vivent sur place. A plusieurs égards, le lieu ressemble à une prison. Le documentaire fait le portrait d'Algériens, jeunes et vieux, venus de tout le pays pour y gagner moins de 200 euros par mois et parfois y rester toute une vie.Dans le film, ils parlent d'amour, de rêve, de musique, de poésie ou de politique ; de tout sauf de leur métier. Certains font ça de père en fils depuis plusieurs générations, d'autres travaillent simplement, résignés. Dans la salle, certains détenus discutent ou rigolent discrètement entre eux, mais la grande majorité est attentive durant toute la durée du film. En survêtement ou en jean, en baskets ou en espadrilles assis sur des bancs face à cette toile blanche où est projetée le film, ils réagissent, rient, s'exclament ou se taisent selon les séquences du documentaire .
Pour participer, volontariat et bonne conduite de rigueur
Parfois, un détenu à l'extérieur crie à travers les barreaux de la porte de la salle, gardée par un seul surveillant. Les prisonniers-spectateurs sont là sur la base du volontariat et de leur bon comportement. "Comme partout ici, tout repose sur la bonne conduite", relève Saïd, la quarantaine, grand sourire aux lèvres, détenu lui aussi.Le réalisateur répond ensuite aux questions. D'abord rares, les interrogations se multiplient, l'échange se fait plus naturel. "As-tu des nouvelles de ces employés ?" ; "Ton film sera-t-il diffusé sur une télévision algérienne ?" ; "Pourquoi avoir choisit le thème de l'amour ?". Tous le félicitent pour son film et paraissent réellement touchés et intéressés par le documentaire .
Saïd, qui est Franco-Algérien, reconnaît les bienfaits de ce dispositif : "Ça nous sort de l'ordinaire, je suis vraiment content de participer à cette activité". "Ils se sentent pleinement intégrés dans un événement culturel majeur de la ville, et puis ils découvrent aussi que le cinéma est un art", explique Pierre Poncelet, responsable à l'association Lieux Fictifs.
Les détenus participants sont visiblement ravis, le réalisateur aussi : "C'est vraiment chouette, ils n'ont pas ces grilles de lecture cinématographiques qu'ont les critiques et c'est tant mieux ! L'échange est vraiment naturel et honnête", se réjouit Hassen Ferhani. Ce dernier a obtenu lundi soir le premier prix de la compétition française pour son film "Dans ma tête un rond-point".
Palmarès et remise des prix
Lundi soir, Karim, prisonnier aux Baumettes, est sorti exceptionnellement pour la soirée de remise des prix qui se déroulait au Mucem. Il a tenu à "saluer le FID pour avoir donné (aux détenus jurés) l'occasion de s'évader de l'univers carcéral durant une semaine".Le premier prix de la compétition internationale du festival a été remis au cinéaste colombien Ricardo Giaconni pour son film "Entrelazado Entangled". Il met en scène un marionnettiste, un medium, un tailleur et une scientifique à Cali, en Colombie, pour s'interesser aux liens invisibles qui peuvent relier des personnes sans contacts apparents.
Cette année, c'était aussi la grande première du prix décerné par de lycéens. Ils ont salué le travail de Nicolas Boone pour son documentaire "Psaume", qui a également obtenu le prix du Centre National des Arts Plastiques (CNAP).
Dix autres longs métrages signés par des réalisateurs venus des États-Unis, d'Allemagne, de Syrie, du Liban ou d'Argentine ont été primés.
Le FID Marseille
Du 30 juin au 6 juillet
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