"La résistance respire", un documentaire-témoignage sur la lutte de Sivens
"Je ne connaissais pas ce mouvement. J'étais militante dans l'âme mais jamais sur le terrain. Je n'avais jamais manifesté mais je sentais que les choses devaient changer. La Zad (zone à défendre, ndlr) a été un déclic pour moi".
En février 2014, Roxane Tchegini, 31 ans, amène ses jeunes enfants faire de la balançoire à la Maison de la forêt de Sivens, non loin du site du chantier du barrage contesté, où des zadistes campaient depuis octobre 2013.
"J'ai vu des gens. J'étais curieuse. Ils m'ont expliqué ce qu'ils faisaient. Je me suis dit : 'La révolution, elle est là'".
Le soir même, elle revenait, puis tous les jours quasiment jusqu'à l'évacuation de la Zad (Zone à défendre), le 6 mars 2015. Elle y aurait également dormi, si elle n'avait pas eu deux jeunes enfants.
Dire "regardez ce qui se passe"
Vidéaste amateur, Roxane Tchegini a "tout de suite eu envie de filmer" la Zad "de l'intérieur". "C'est un milieu que les gens de l'extérieur ne comprennent pas, du fait de l'apparence de certains : les crêtes, les dreads... Mon but était de dire : regardez ce qui se passe, ce ne sont pas des terroristes. Je voulais montrer le visage humain. Ce sont des gens qui croient en un idéal."En mai 2014, elle diffuse un court-métrage, "La Lutte de Sivens". Le film est vu 18.000 fois dès sa sortie sur YouTube, faisant découvrir une occupation jusqu'alors peu connue.
"Elle est devenue l'une des nôtres", se souvient un zadiste historique de Sivens. "Fais la suite maintenant", lui demandent alors les occupants. Et Roxane continue.
Mais l'ambiance était "bien différente" par rapport au premier film. "On était dans une sorte de guerre." Les expulsions et affrontements se succédaient sur la Zad, Roxane se souvenant en particulier de celle du 27 août 2014.
Après la Zad bucolique, l'angoisse et la violence
"Ca s'est mis à tirer dans tous les sens, les flash-balls, les grenades. Les gens criaient au secours... Je me suis réfugiée à la Maison de la forêt. Des familles pique-niquaient avec des enfants sur une balançoire. Il y avait un tel fossé. C'étaient deux mondes différents."Fini la Zad bucolique, nichée dans une magnifique vallée entre forêt et ruisseau. "Au début, je filmais pour montrer la bonne énergie, le partage d'idées, mais, après, je filmais l'angoisse, la violence", se souvient Roxane.
"Le matin, quand je partais sur la Zad, je mettais dans mon sac, à côté du biberon de mon fils, mon masque à gaz et mon sérum physiologique" (pour soulager les yeux après les gaz lacrymogènes).
"On disait qu'il allait y avoir un mort mais on ne nous croyait pas." La nuit du 25 au 26 octobre 2014, le jeune écologiste Rémi Fraisse est tué par l'explosion d'une grenade offensive des gendarmes, théoriquement non mortelle mais depuis interdite.
Une caméra-témoin
Roxane n'y était pas, mais le drame la secoue. "Tu vas mourir, maman ?", lui demande son aîné alors âgé de 7 ans. "Plusieurs fois, j'ai eu peur d'un accident, d'une bavure", avoue la frêle jeune femme à la peau diaphane.Après la mort de Rémi, elle voulait "tout lâcher". "Mais il fallait ne pas laisser faire". Roxane filmera donc jusqu'à "la fin": la tension extrême lors du siège de la Zad par des militants probarrage, puis les affrontements, les cris et les gaz lors de l'évacuation de la Zad, le 6 mars 2015.
La caméra militante de Roxane se fait donc témoin, le documentaire se muant même parfois en document : le film inclut certaines images, tournées par d'autres zadistes, qui ont servi devant la justice à exonérer des zadistes face aux gendarmes.
Après la mort de Rémi Fraisse, le chantier a été suspendu et la construction d'une retenue d'eau à Sivens reste envisagée, mais elle serait réduite de moitié. Une version "light" toujours contestée.
"La Résistance respire", qui sera diffusé à partir de novembre dans le réseau Utopia (salles d'art et essai), est "un devoir de mémoire", estime Roxane. "Il faut qu'on se souvienne de cette résistance-là."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.