Le documentaire "La (très) Grande Evasion" décortique la mécanique de l’évasion fiscale mondiale
"Il n’y a pas d’argent magique", clamait le président Macron face aux services hospitaliers en crise en 2019. Il en trouva pourtant massivement quelques mois plus tard pour soutenir l’économie lors de l’épidémie de Covid-19. Alors il n’y a peut-être pas d’argent magique mais il y a pléthore de tours de passe-passe pour se soustraire à l’impôt pour les puissants. C’est ce que détaille par le menu ce documentaire édifiant sur l’évasion fiscale.
L'évasion fiscale, "sport" favori des ultra-riches
Qu’il s’agisse de grandes fortunes (personnalités, sportifs, dirigeants politiques, souverains…) ou de grandes entreprises et autres multinationales, les moyens de dissimuler au fisc les milliards engrangés se multiplient. Les promesses du G20 d’abolir le secret bancaire et les paradis fiscaux, y compris grâce aux fameuses listes noires établies à cette fin après la crise des "subprimes" en 2008, n'ont produit que peu d’effet. Selon le Tax Justice Network, il existait environ quinze paradis fiscaux dans les années 70. Aujourd’hui, on en dénombre quatre-vingt-dix, et pas que dans les Caraïbes britanniques : certains Etats américains (le Delaware, le Dakota du Sud ou le Wyoming notamment) le sont tout autant, et ce grâce à Barack Obama qui refusa de signer un accord international contre ces pratiques.
Comme l’a montré le scandale Fonseca, bien des métiers sont liés à ce que les ultra-riches considèrent désormais comme "un sport" : les cabinets d’avocats fiscalistes et les cabinets d’audit de mèche avec des banques et des Etats peu regardants sont nombreux à les démarcher dans cet exercice de cache-cache de plus en plus sophistiqué. Un sport peu risqué finalement, la plupart des gouvernements préférant fermer les yeux sur ces adroits montages financiers. Quant aux multinationales, et les GAFAM au premier chef, elles manoeuvrent souvent à la limite de la légalité – délocaliser ses profits et domicilier ses bénéfices dans un Etat qui ne taxe pas ou peu est appelé pudiquement dans ce cas "optimisation fiscale".
Le film au ton ironique décortique les mécanismes de fraude
Co-écrit avec Denis Robert, déjà à l’origine d’une enquête retentissante sur l’opacité de la chambre de compensation financière luxembourgeoise Clearstream (Révélation$ paru en 2001), ce documentaire au ton ironique décortique par le menu toutes les arnaques au fisc. Rappel des scandales à répétition (Fonseca, LuxLeaks, Panama Papers etc) qui n’ont rien changé, ou si peu, extraits d’auditions où les mis en cause font preuve d’une mauvaise foi écœurante, interventions de spécialistes, animations colorées et infographies ludiques : le film fait de la pédagogie et tente d’éclairer sans jargon sur l’ampleur du phénomène pratiqué sous toutes les latitudes.
Il montre le luxe de mécanismes de fraude existants (donnant au passage un mode d'emploi précis aux puissants tentés par l'aventure...), démontre combien ce système avantage particulièrement les multinationales par rapport aux PME, constate la façon dont il exacerbe la concurrence entre Etats pour attirer des ressources fiscales de plus en plus maigres, et explique pourquoi l’Europe peine à établir de nouvelles règles dans ce domaine.
Ces centaines de milliards de manque à gagner pour les Etats minent pourtant le bien commun, justifiant les coupes budgétaires toujours plus nombreuses dans les services publics. Certains chiffres parlent plus fort que d’autres. En France, selon la Direction générale des finances publiques, la fraude fiscale était évaluée à 100 milliards d'euros par an en 2018. "100 milliards c’est un tiers des recettes fiscales de l’Etat français par an. C’est aussi plus que la totalité de l’impôt sur le revenu. C’est plus que le budget de l’Education nationale, pensions de retraites comprises (78 milliards)", précise le documentaire. Un coût économique et démocratique considérable qu’il est toujours urgent de rappeler à l’heure de l’explosion de la dette publique et des inégalités.
La fiche :
Genre : documentaire
Réalisateur : Yannick Kergoat, co-écrit avec Denis Robert
Pays : France
Durée : 1h54
Sortie : 7 décembre 2022
Distributeur : Wild Bunch
Synopsis : Le capitalisme est-il devenu incontrôlable ? De révélations en scandales successifs, l’évasion fiscale est devenue un marronnier médiatique et l’objet d’un concours de déclarations vertueuses pour les politiques. Alors que les multinationales et les plus riches ont de moins en moins de scrupules et de plus en plus de moyens à leur disposition pour échapper à l’impôt, pour nous, simples citoyens, les politiques d’austérité s’intensifient et les inégalités explosent. On voudrait nous faire croire que les mécanismes de l’évasion fiscale sont incompréhensibles et qu’elle est impossible à endiguer…. Il ne nous reste alors que nos bulletins de vote, notre déclinant pouvoir d’achat et nos yeux pour pleurer. À moins que l’on puisse en rire malgré tout.
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