Le prix du journalisme Albert-Londres "reste magique", car il véhicule des valeurs "de quelqu'un qui a cultivé l'indignation", estime son président
Hervé Brusini, ancien lauréat, va remettre le prix Albert Londres ce samedi soir lors d'une cérémonie retransmise en ligne.
Hervé Brusini, président du Prix Albert-Londres, du nom du célèbre grand reporter, a affirmé samedi 5 décembre que ce prix ultime pour un journaliste "reste magique", car il véhicule des valeurs "de quelqu'un qui a cultivé l'indignation". La remise du prix aura lieu ce samedi en ligne, en direct du Théâtre de l'Alliance française, à 18 heures. En remettant ce prix, "on nous dit que nous sommes un peu à la hauteur de ce personnage qui a été aussi extraordinaire. Cela fait chaud au cœur, c'est fort", a affirmé Hervé Brusini, lui-même ancien lauréat.
franceinfo : Rappelez-nous ce qu’est le prix Albert-Londres ?
Hervé Brusini : Le prix Albert-Londres couronne le grand reportage de grande qualité, on va dire. C’est la 82e édition en ce qui concerne la presse écrite, c'est un peu plus jeune pour l'audiovisuel et encore beaucoup plus jeune pour les livres. Donc, vous l'avez compris, il y a trois prix, le prix de la presse écrite, le prix de l'audiovisuel et le prix des livres. D'abord, les candidats sont sélectionnés parce qu’ils posent leur candidature. On en a reçus plus d’une centaine. Ils sont sélectionnés sur des critères qui sont ceux du style, celui de l'engagement, ceux de l'information, des sujets et de leur traitement. Et ces sujets, cette année, c'était la grande diversité des crises que nous traversons. Aussi bien le harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma que la question des migrants, que le peuple afghan, que les prisonniers jihadistes, mais aussi que se passe-t-il dans la tête d'un pilote de drones. On a un très large panel des sujets de préoccupation du moment.
Vous avez vous-même reçu le prix Albert-Londres. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
D'abord, je suis tombé par terre. Et puis, je tiens à dire que c’est un prix paritaire parce que je le partage avec une consœur qui est une amie qui s'appelle Dominique Tierce. D'abord, vous n'en revenez pas parce qu'il y a toujours un petit peu ce syndrome, "est-ce que je le mérite?". C'est formidable. Je le dis, c'est formidable. Quand on annonce à chaque candidat qu'il est le lauréat, je peux vous dire que les gens ont un peu le souffle coupé et que cela reste magique. Parce que c'est le nom des valeurs véhiculées par Albert-Londres qui est fort, c'est-à-dire ces valeurs de quelqu'un qui a cultivé l'indignation, qui a informé sur des sujets très divers, aussi bien ceux de la folie que ceux du colonialisme exacerbé. Et donc, on nous dit que nous sommes un peu à la hauteur de ce personnage qui a été aussi extraordinaire. Cela fait chaud au cœur, c'est fort. Et puis surtout, moi, je dis que ça promeut le journalisme qui en a besoin.
Rappelez-nous qui était cet Albert Londres.
Albert Londres, c'est ce reporter qui, un jour de 1914 alors qu’il s'occupait de la politique, on lui dit tout à coup, il faut aller à Reims parce que les Allemands bombardent la cathédrale. Il y va à bicyclette avec un photographe. Et puis, il arrive, seul journaliste français à ce moment-là présent. Il y est précisément au moment où les bombes s'abattent sur la cathédrale. Et ce texte est si fort, si extraordinaire, que le rédacteur en chef va dire, "il a le droit de signer à la une" parce que d'habitude, ce n’était pas le cas. Et toute la corporation, les lecteurs vont dire : "mais qui est cet Albert Londres qui écrit aussi bien" ? Et après, il a parcouru tous les grands conflits du monde, toutes les crises et y compris les lieux qui étaient des "hontes", et le mot est choisi à dessein dans l'époque actuelle. Je parle toujours de la question psychiatrique, je parle de l'enfermement et à l'époque, cela a été, par exemple, le bagne. Sa dénonciation a provoqué un débat national. Il est à l'origine de la fermeture du bagne, 15 ans après son article.
Les lauréats ont aussi une carrière d'écrivain, ce qui a été le cas d'Albert Londres parce qu’au fond, les deux métiers sont un peu les mêmes ?
Mais évidemment parler de ce qui se passe et dénoncer quand ça se passe mal. Et c'est lui qui, avec quelques autres à l'époque, a commencé à rassembler dans des livres ses articles et parfois faire des livres en tant que tels. Mais le vrai virus, c'est la beauté de la langue. C'est aussi le fait d'aller y voir. C’est le reportage, c'est l'enquête. Quand il parcourt l'Afrique, il met à jour le fait que pour construire la voie ferrée au Congo, qui s'appelait Congo-Océan, 592 km, cela a coûté 17 000 morts et c'était passé avec perte et fracas dans des statistiques officielles. Grâce à Albert Londres, on a compris ce qu'était cette sorte de sauvagerie. Et vous savez, le monde colonial de l'époque ne lui a pas pardonné. C'est d'ailleurs en réponse à cette attaque qu'il a dit que le rôle du journaliste n'était pas de faire plaisir, mais de porter la plume dans la plaie. C'est bien ce qu'il a fait à l'époque.
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