"MK, l'armée secrète de Mandela" : la cinéaste Osvalde Lewat à la rencontre des membres oubliés d'une historique armée de libération

Le dernier documentaire d'Osvalde Lewat est une occasion unique de découvrir quelques-uns des soldats de l'ombre de la lutte contre l'apartheid. Leur victoire donnera naissance à la nation arc-en-ciel. La cinéaste a recueilli en Afrique du Sud les témoignages inédits des soldats de "MK, l'armée secrète de Mandela".
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
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L'affiche du documentaire "MK, l'armée secrète de Mandela" diffusé sur Arte le 9 avril à 23h25. (ARTE)

Ils ont encore la force de chanter et de danser : ces vétérans ont gardé le rythme, celui de la musique, mais surtout de cette vieille routine militaire quand ils officiaient dans la branche armée du Congrès national africain (ANC), la formation politique qui a libéré l'Afrique du Sud de l'apartheid. C'est sur leur prestation que s'ouvre MK, l'armée secrète de Mandela, le documentaire de la cinéaste franco-camerounaise Osvalde Lewat diffusé mardi 9 avril sur par Arte à 23h35.

La documentariste a recueilli les témoignages d'une dizaine d'anciens membres de l'armée secrète Umkhonto we Sizwe (MK), qui signifie en zoulou, "la lance de la nation". Leur parole nourrit d'exceptionnelles archives réunies dans le film.

"Africains (Noirs)", "Blancs", "Indiens", personnes "de couleur" (termes utilisés pendant la ségrégation), Sud-Africains ou étrangers, jeunes hommes ou encore jeunes filles à peine sortis de l'enfance, comme Dudu Msomi qui témoigne, vont se joindre à la branche armée de l'ANC. Du lancement du mouvement, en 1960, à sa dissolution, en 1994, quand Nelson Mandela accède à la présidence de l'Afrique du Sud, le mouvement va rallier des milliers de personnes de tous horizons. Elles vont à chaque fois risquer leur vie pour en finir avec l'apartheid et ses violences.

"Purement défensive"

C'est à la suite du massacre de Sharpeville, en mars 1960, que Nelson Mandela décide de recourir à la lutte armée. Les Noirs protestent pacifiquement contre le "pass", un document de contrôle, quand ils sont violemment réprimés par le régime ségrégationniste. "Notre recours à la lutte armée en 1960, avec la formation de l'aile militaire de l'ANC, était une action purement défensive contre la violence de l'apartheid", explique l'icône de la lutte à sa sortie de prison le 11 février 1990 après 27 ans de prison. Mandela, un guérillero et un pacifiste, note dans le documentaire Mac Maharaj, ancien dirigeant de MK. "L'idée de présenter Mandela en pacifiste, c'est encore une façon de nous déposséder de notre histoire", estime le vétéran.

Le sabotage devient la spécialité de MK, désormais l'ennemi numéro un du régime. L'arrestation de ses principaux leaders, dont Nelson Mandela, puis leur condamnation à la prison à perpétuité à l'issue du procès de Rivonia (1963-1964), ont "anéanti" le mouvement, confie-t-on dans le documentaire et l'a fait reculer de "deux décennies". C'est en 1976, à la suite des émeutes de Soweto nées de la répression d'une marche de lycéens en opposition à l'hégémonie de la langue afrikaans dans les écoles noires que le mouvement revient en première ligne du combat.

Nombreux sont ceux qui rejoignent les camps d'entraînement de MK à l'étranger, notamment dans le bloc soviétique et dans des pays amis comme l'Algérie. Dans la décennie suivante, ces volontaires, devenus des soldats formés, constituent le bras armé d'une organisation qui ne laisse aucun répit à la minorité blanche, "les Boers" (terme désignant les colons blancs en Afrique du Sud).

De la logistique au maniement des armes, en passant par les assassinats et les opérations spéciales, ils sont formés à tout. Dans MK, l'arme sécrète de Mandela, certains racontent comment ils ont permis aux hommes et aux munitions de transiter par le Swaziland voisin, une base arrière capitale. Tous les membres de MK n'ont d'ailleurs pas l'opportunité d'opérer sur le territoire sud-africain, c'est un véritable "honneur" que de le faire, affirment les vétérans.

Une inspiration à résister

En 1983, Oliver Tambo, alors à la tête de l'ANC, enjoint à ses concitoyens de rendre le pays "ingouvernable". Il est parfaitement entendu par les populations. Et MK, au travers de ses spectaculaires actions, leur infuse l'énergie nécessaire pour résister. Notamment à travers un volet inattendu de l'entraînement des soldats de MK, les "Jazz Hour", se souvient le vétéran Zola Maseko. Les chansons interprétées durant ces sessions étaient diffusées sur la radio de MK et largement dans le pays. Résultat : elles sont reprises dans les townships (les quartiers noirs) et galvanisent les populations.

Pris en étau entre la pression qui s'exerce sur son territoire national et un mouvement antiapartheid international, le régime sud-africain est obligé de négocier avec Mandela. Un processus qui aboutira à sa libération. Et à celle de Jabu Masina. Le vétéran de MK, qui opère dans une unité en charge des assassinats des Boers, est arrêté et torturé. Il échappe au couloir de la mort quand Nelson Mandela recouvre la liberté.

Sacrifices oubliés

Aujourd'hui, les sacrifices de ces vétérans ont, semble-t-il, été oubliés en Afrique du Sud. Vivant dans la misère, dans l'addiction ou dans la souffrance de leurs proches qu'ils ont délaissés pour combattre, les témoins d'Osvalde Lewat regrettent seulement qu'il n'y ait pas eu une reconnaissance officielle de leur engagement pour le transmettre aux générations futures. "Ce n'est pas pour ça qu'on s'est battus !", rappelle l'un des vétérans, qui estime néanmoins que, d'une certaine manière, les membres de MK ont abandonné le pays "aux hyènes", "ces voleurs au pouvoir", à savoir l'actuel leadership de l'ANC gangréné par les affaires de corruption.

Pour Aboobaker Rashid Ismail, ayant appartenu au commandement de MK et présent le 4 avril à la projection parisienne du film, qui a été aussi diffusé en Afrique du Sud, il est "tragique" que le rôle de MK soit minimisé dans son pays. "C'est en fait la lutte armée qui a inspiré les gens et les a poussés dans une lutte, puis une guerre, car c'est en réalité la guerre du peuple qui renverse les régimes. Ce n'est pas la lutte armée en elle-même. Ce sont les populations qui deviennent leurs propres libérateurs".

Le documentaire d'Osvalde Lewat s'avère complémentaire de celui réalisé en 2018 par Nicolas Champeaux et Gilles Porte, L'État contre Mandela et les autres, sur le procès de Rivonia. "C'est le tout premier film fait sur l'armée de Mandela", a rappelé Osvalde Lewat lors de la première de son documentaire à Paris. "Pour moi, c'était important de rendre hommage à ces jeunes Africains, Africaines qui se sont engagés pour libérer leur pays. Il y a aussi une résonance incroyable avec l'actualité (...) dans différentes parties du monde". "J'ai voulu faire ce film", résume-t-elle, "parce qu'il est important qu'on raconte nos histoires et surtout que l'on n'oublie pas l'histoire".

"MK, l'armée secrète de Nelson Mandela", un film documentaire de 52 min de Osvalde Lewat, diffusé le mardi 9 avril à 23h35 et disponible sur Arte.tv.

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