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"Le pape François, un homme de parole" : Wim Wenders se noie dans un film de commande

Invité par le Vatican à réaliser un film sur le pape François, Wim Wenders propose un "documentaire" déroutant. "Le pape François : un homme de parole" offre si peu de distance d'avec son sujet qu'il paraît plus proche d’un portrait officiel que d’une œuvre de cinéma. Wenders donne là en revanche accès à une parole politique des plus novatrices au Saint-Siège, à bien des égards révolutionnaire.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
"Le pape François : un homme de parole" de Wim Wenders
 (PFAMOHW-Wenders)

Sur le papier, l’idée est séduisante, même potentiellement très intéressante : un documentaire du grand Wim Wenders, l’auteur des "Ailes du désir", de "Paris Texas" et de "Pina", sur l’une des figures mondiales majeures, le pape Bergoglio. C’est le service de communication du Vatican qui a proposé au cinéaste allemand de réaliser le film. On comprend l’immense avantage pour le réalisateur : l’ouverture des archives et l’accès facile au Vatican et, surtout, une longue rencontre avec le pape. Celle-ci a été faite en quatre fois, deux heures par interview et une seule prise. 

Film de communication ? 

Voici pour les avantages. On mesure aussi, après avoir vu le film, le revers de la médaille : Wim Wenders semble avoir fait le film pour le pape. Film officiel, de communication ? Ce qu’on disait autrefois : "de propagande" ? 
Le propos est à nuancer. Mais la dimension "documentaire" du film est assurément très limitée. Sûrement à dessein, le réalisateur, profondément séduit autant par l’homme que par le politique et le religieux, n’a pas créé la distance nécessaire à l’exercice. Au contraire : par son intermédiaire, le pape s’adresse à nous. Le fait que dans certains plans choisis de l’interview, l’évêque de Rome face caméra, paraît nous regarder droit dans les yeux, est éloquent. Pas d’autre point de vue, pas d’autres propos conséquents, ni divergents, ni convergents. Seule la voix off de Wim Wenders accompagne le film.

Saint-François d'Assise, l'inspiration

Le propos du film est, au demeurant, fort, politique, global. Il part de la question générale : que faire dans "un monde qui comptera bientôt 8 milliards d’individus, dont un milliard aura faim ? Des solutions existent, mais rien n’est fait. (…) Comment vivre en paix avec notre planète ?", questionne Wim Wenders. La solution, on l'aura compris, réside dans la parole du pape.
Image du Poverello (Saint-François) issue d'un autre film, reprise par Wim Wenders.
 (PFAMOHW-Wenders)

Seule dimension cinématographique forte (et très à-propos), Wenders fait un parallèle avec Saint-François d’Assise, dont s’est profondément inspiré le pape, et pas seulement pour le nom. Et si Saint-François nous servait d’exemple pour "une nouvelle fraternité", dit le documentaire ? "N’est-ce pas ce qu’il nous faut ?", poursuit Wenders. Saint-François est le saint qui a pensé (et mis en pratique) la pauvreté absolue comme idéal dans la communion avec les hommes et avec la nature. Un idéal révolutionnaire, déjà au XIIIe siècle. Des images d’un film en noir et blanc sur le "Poverello" (c’était son petit nom, le "petit pauvre") jalonnent le propos.
"Le pape François : un homme de parole" de Wim Wenders 
 (2018 CTV, Célestes, Solares, Neue Road Movies, Decia, PTS ART’s Factory Stars Pope Francis)
Ces images prennent sens, mises côte-à-côte avec celles du pape François condamnant les démonstrations de richesse de l’Eglise, et surtout prônant davantage de justice de par le monde : "la pauvreté est un cri", lance François : "Nous devons tous devenir plus pauvres".  

Une parole plus proche

Dans "Le pape François : un homme de parole", Wim Wenders montre à juste titre un pape qui, à l'image de François d'Assise ("Il savait écouter", dit le pape) a transformé cette parole de l’Eglise. Sympathique, maniant le sens de l'humour, il l’a rendue plus proche, en a fait une parole populaire. Composé de centaines d’images de François depuis son élection en 2013, son film ne peut qu’émouvoir quand on le voit au contact des détenus, en Italie ou aux Etats-Unis, aux côtés des souffrants, dans les zones sinistrées aux Philippines ou en Afrique. On ne peut qu’applaudir devant le pape parlant aux parlementaires américains pour condamner l’usage des armes, ou partager ses propos tenus au Mémorial de Yad Vachem à Jérusalem ("Où es-tu, homme, où es-tu parti ?").
"Le pape François : un homme de parole" de Wim Wenders .
 (2018 CTV, Célestes, Solares, Neue Road Movies, Decia, PTS ART’s Factory Stars Pope Francis)
Mais les "dossiers" défilent : l’homosexualité respectée par le pape (c'était avant les propos destabilisants tenus l'été dernier par François sur l'usage de la psychiatrie pour aider les jeunes homosexuels), la condamnation absolue de la pédophilie et la "tolérance zéro" par rapport aux prêtres pédophiles, le soutien aux populations migrantes. A force de vanter les mérites du Pontife, Wenders dresse un inventaire à la Prévert qui finit par predre un peu de son sens. Dommage.

LA FICHE

Genre : Documentaire, Historique
Réalisateur : Wim Wenders
Pays : Italien, Suisse, Allemand, Français
Durée : 1h36
Sortie : 12 septembre 2018 

Synopsis : Le 13 mars 2013, le Cardinal de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, devient le deux cent soixante sixième Souverain Pontife de l’Église Catholique. C’est le premier Pape originaire d’Amérique du Sud, le premier jésuite nommé Évêque à Rome, mais avant tout le premier chef de l’Église à avoir choisi le prénom de François d’Assise (1181-1226), un des saints catholiques les plus révérés, qui avait dédié sa vie à soulager les pauvres et éprouvait un profond amour pour la nature et toutes les créatures de la Terre qu’il considérait comme la mère suprême.

Le film, plus qu’une biographie ou un documentaire, est un voyage initiatique dans l’univers du Pape François qui s’articule autour de ses idées et de son message, afin de présenter son travail, aussi bien que les réformes et les réponses qu’il propose face à des questions aussi universelles que la mort, la justice sociale, l’immigration, l’écologie, l’inégalité de revenus, le matérialisme ou le rôle de la famille. 


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