"Dounia et la princesse d'Alep" : la cinéaste Marya Zarif signe un conte lumineux "pour rendre hommage aux enfants victimes de la guerre en Syrie"
Dounia a six ans et elle vit à Alep avec ses grands-parents, Téta Mouné qui la régale de ses bons petits plats et Jeddo Darwich avec qui elle se balade dans les rues de la ville millénaire, même au milieu des bombardements que connaît désormais la Syrie en guerre. Quand leur maison est touchée par une explosion, la petite famille prend le chemin de l'exil avec tous les dangers de l'entreprise. C’est sans compter l’imagination débordante de la petite Dounia, aussi touffue que sa chevelure de jais.
Avec elle, c’est la mythologie de sa Syrie natale que Marya Zarif convoque dans son premier long métrage qu’elle cosigne avec André Kadi. La tragédie que vit le peuple syrien depuis 2011 exige l’optimisme rayonnant que laissent voir les effets luminescents qui traversent le film d’animation.
Les grands yeux innocents de Dounia, souvent interrogateurs, sont ceux que posent tous les enfants qui ont souffert et souffrent de la guerre sur ce déchaînement de violence. Dounia et la princesse d’Alep, conte à la fois merveilleux et plein de réalisme, s’apparente à un chant d’espoir, une mélodie revigorante entonnée à Alep et incarnée par une chatoyante bande originale, qui vient rompre avec le tragique de la situation. La réalisatrice Marya Zarif nous raconte.
Franceinfo Culture : "Dounia et la princesse d'Alep" est une œuvre très pédagogique. Pourquoi ce besoin de parler de la guerre en Syrie aux enfants ?
Marya Zarif : Quand la guerre a commencé, il y a eu toutes sortes d'images qui circulaient dans les médias : celles d'enfants blessés ou morts, d'enfants noyés durant la traversée de la Méditerranée, de familles perdues dans les camps de réfugiés... Tout cela m'a beaucoup ébranlée parce que j'ai d'abord pensé au choc des autres enfants dans le monde qui tombaient sur ces images. Puis, je me suis dit que ceux qui vivaient malheureusement cette guerre, qui avaient vécu l'exil ou perdu la vie méritaient des images dignes d'eux. C'est-à-dire celles d'enfants pleins de courage, de résilience, de joie et de feu en eux. C'est surtout pour rendre hommage à ces enfants-là que j'ai fait le film, moins pour expliquer aux autres enfants la guerre en Syrie. Mais ça vient avec.
Comment sont nés la petite bouille de Dounia et son impressionnante chevelure noire ?
Je dessine souvent les personnages en commençant par les yeux. J'avais besoin de ce regard doux et tendre, de ses yeux grands ouverts et un petit peu penchés vers le bas, ce qui est un petit hommage à ma famille parce qu'on a tous les yeux comme ça (rires). J'avais besoin de donner vie à ce regard innocent, avec ces sourcils qui sont toujours en train de poser des questions sur tout. J'avais besoin que Dounia soit dans cette force et cette innocence.
Après, je suis passée aux cheveux. Je lui avais d'abord fait un arbre sur la tête parce que je voulais exprimer l'idée qu'elle transportait ses racines avec elle. Mais je me suis rendu compte qu'elle n'avait pas besoin de tout ça. A la place, j'ai trouvé qu'avoir beaucoup de cheveux lui donnait du caractère. En plus, c'est un hommage à toutes les petites filles du Moyen-Orient, de la Méditerranée, aux Africaines qui ont beaucoup de cheveux. C'est une façon de rappeler que leurs cheveux sont beaux et que toutes les petites filles doivent être fières de transporter avec elles leur héritage. C'est un peu féministe Dounia et la princesse d'Alep...
Dès les premières images du film, vous nous dites que Dounia est une enfant de l'amour. Elle va être ensuite élevée par des grands-parents dans une atmosphère tout aussi pleine d'amour. L'installer dans cet amour-là avant que la guerre n'éclate n'est pas anodin...
C'est très important de souligner que Dounia est une petite fille née de l'amour parce que cela veut dire, par extension, que sa famille est une famille d'amour. Par extension, ce peuple-là est un peuple d'amour. Par extension, Alep elle-même est une ville d'amour. Tout cela rappelle qu'on ne veut généralement pas faire la guerre parce qu'on ne veut pas détruire ce qui résulte de l'amour. Dounia est aimée et tout ce qui l'entoure est aimé. C'est vraiment le fil conducteur de ma création.
Alep, à la fois ville et province, est l'un des personnages principaux de ce film d'animation. Elle appartient à notre imaginaire commun. Vous qui en êtes originaire, comment vous nous la présenteriez ?
Alep est une très vieille dame. C'est la plus vieille ville encore vivante de l'humanité, donc ce se serait terrible qu'elle meure. Elle a 12 000 ans d'existence. Elle a vu les Grecs, les Romains, les Perses, les Egyptiens, les Araméens, les Ottomans, les Français et connu des royaumes, des dynasties et les empires arabes aussi... Tout cela lui a permis de se forger un caractère. Alep a une élégance, un savoir-faire, un savoir-vivre qui transpirent, entre autres, dans sa cuisine, sa musique... Alep, c'est à la fois une immense générosité, une grande et riche histoire, de l'exigence et une pincée de snobisme.
Avec la grand-mère de Dounia, Téta Mouné, on rentre tout de suite dans les cuisines d'Alep pour découvrir ses spécialités culinaires...
C'est mon enfance ! Les Alepins adorent manger, faire à manger et préparer des conserves toute l'année. Ainsi, si c'est la saison des abricots, on fait tout ce qui est possible avec l'abricot : confitures, jus, pâtes... ça s'appelle faire la mounè. Et Téta Mouné, c'est son obsession dans la vie de faire ces conserves-là. J'ai grandi entourée de Téta Mouné qui sont mes tantes paternelles. Le personnage de Téta Mouné, c'est aussi un hommage à ma grand-mère paternelle que je n'ai jamais connue. C'étaient des femmes toutes rondes, douces, belles et qui passaient leur temps à faire des délices...
Et faire cuire des aubergines à la lune ?
Ce n'est même pas une invention. Cette cuisine-là est pleine de secrets presque magiques de sorcière. Il y a toute une mythologie qui entoure la cuisine à Alep et que j'ai voulu la transmettre.
Dounia et sa famille fuient Alep dès les premières heures, semble-t-il, de la guerre. Et leur périple est l'occasion de découvrir la mythologie locale peuplée, entre autres, par la princesse d'Alep qui va aider les proches de Dounia et leurs compagnons d'infortune dans les épreuves qu'ils traverseront sur le chemin de l'exil...
Dans des épreuves aussi terribles que celle de la guerre, on perd tous nos repères. Il devient important de se raccrocher à des récits d'autres humains qui ont traversé et dépassé la noirceur. C'est pour cela que suis allée chercher tout ce qui parle de ce triomphe de la vie sur la mort dans la mythologie syrienne, celle de la région, de la Mésopotamie et du Moyen-Orient.
Ishtar est la déesse qui apporte le printemps, elle renouvelle la terre. Elle fait donc triompher la vie au-delà de la mort. D'ailleurs, on dit que d'Ishtar vient le mot "Easter" qui veut dire Pâques en anglais. C'est une déesse capitale dans le Moyen-Orient ancien. Dounia l'imagine et il semble que la terre elle-même s'est réveillée pour sauver Dounia. Quant à la princesse d'Alep, c'est la Lune. C'est sous ses traits que Dounia imagine sa maman partie. Les petites pierres millénaires sont des pierres qu'on a trouvées par centaines dans le nord-est de la Syrie et qui ont 5-6000 d'existence. Ce sont des figurines en albâtre et on pense que les hommes les façonnaient en faisant une prière et selon leurs besoins. Tout cela vient de la nuit des temps et cela montre que, depuis toujours, l'humain a trouvé l'étoile pour surmonter ces épreuves. En d'autres termes, j'avais besoin de dire que Dounia va s'en sortir, que la Syrie va s'en sortir parce que l'humanité peut toujours s'en sortir.
"Dounia et la princesse d'Alep" est un dessin animé en français mais chaque personnage a un accent distinctif. Pourquoi cette attention particulière à leurs accents ?
Mon objectif est de transmettre une cartographie émotionnelle. Je suis trilingue. J'ai vécu en Syrie, dans une famille qui était elle-même bilingue, et j'étais à l'école française une partie de mon enfance et je parlais l'arabe. Puis après, j'ai été à l'école arabe complètement. Ayant navigué entre toutes ces langues, comme beaucoup d'enfants qui ont vécu des doubles cultures, je peux affirmer que la langue n'est pas juste une langue. C'est une palette de couleurs, d'odeurs et il faut pouvoir le transmettre. Rahaf Ataya, la comédienne, qui prête sa voix à Dounia, est une petite Syrienne réfugiée au Canada. La voix de Téta Mounè est celle d'Elsa Mardirossian qui est Syrienne avec des origines arméniennes et vit au Canada depuis longtemps. Elle a 82 ans et c'est sa première expérience au cinéma. Jeddo Darwish, c'est le comédien Manuel Tadros qui est d'origine égyptienne et nous avons travaillé ensemble pour que sa voix prenne des accents alépins. Je pense que c'est une empreinte émotionnelle très importante. Des gens m'ont dit qu'ils avaient l'impression d'entendre de l'arabe.
La fiche
Genre : film d'animation
Réalisateur : Marya Zarif et André Kadi
Acteurs : Rahaf Ataya, Elsa Mardirossian, Manuel Tadros, Raïa Haidar, Marya Zarif, Naïm Jeanbart, Mustapha Aramis, Houssam Ataya et Irlande Côté
Durée : 1h13
Sortie : 1er février 2023
Distributeur : Haut et Court
Synopsis : Dounia, 6 ans, quitte Alep avec quelques graines de nigelle au creux de la main. Avec l’aide de la princesse d’Alep, Dounia fait le voyage vers un nouveau monde, avec ses proches, pour fuir la guerre qui endeuille son pays, la Syrie, et sa ville d'Alep.
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