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Du cinéma en immersion totale : le défi de la fiction en réalité virtuelle

La réalité virtuelle n’a pas fini d’étendre son champ des possibles. Si le jeu vidéo s’est engouffré en premier dans la brèche, les opportunités qu’offre ce nouveau médium semblent infinies. Avec le film "I, Philip" présenté à Cannes en mai 2016, Pierre Zandrowicz fait le pari de réaliser une fiction en réalité virtuelle. Une expérience et une rencontre hors du commun.
Article rédigé par franceinfo
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Le casque de réalité virtuelle offre une immersion totale des sens
 (DAVE KOTINSKY / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Vue de l’extérieur, la réalité virtuelle a quelque chose d’un peu fou. Le casque semble tout droit sorti d’un film de science-fiction, et sa promesse ne l’est pas moins : transporter le spectateur dans un autre monde. J’ai voulu en faire l’expérience en visionnant « I, Philip » du réalisateur Pierre Zandrowicz. Une fois le casque installé, il ne reste plus qu’à cliquer sur « Lecture » … avec les yeux puisque c’est désormais l’orientation de mon regard qui interagit avec l’écran. Et l’expérience immersive ne fait que commencer.

Une expérience sensorielle unique 

Le noir total. Pas seulement sur un écran en deux dimensions, mais partout où mon regard pourrait se poser, et sans la présence rassurante de spectateurs d’une salle de cinéma. Le casque occulte tout du monde extérieur. La déconnexion avec le réel a commencé en même temps que le film. Générique d’ouverture : comme pour rappeler la dimension fictive de l’image, les crédits de production défilent. Le film débute avec une seule note aiguë en guise de fond sonore, à la fois onirique et inquiétante. Puis la musique s’étoffe, se mêle à ce qui m’évoque des voix célestes. Elle a quelque chose d’électronique, intégrant des sons de signaux informatiques. Elle résonne de manière sourde, comme si je me trouvais dans l’espace. Dans un grondement majestueux, l’obscurité laisse place à un décor monumental et psychédélique : partout autour de moi se forment des nuages gazeux aux couleurs vives. Et plus que jamais j’ai ce sentiment vertigineux de me retrouver projeté dans l’infiniment grand de la Voie lactée, en plein milieu du cosmos. Des sensations comme seule la réalité virtuelle peut en procurer.

Pierre Zandrowicz, tournage du film "I, Philip" (2015). 
 (Louise Ernandez/www.louiseernandez.com)
« Nous avons eu recours à un procédé assez original pour obtenir ce résultat, raconte Pierre Zandrowicz, le réalisateur du film. Nous ne ne voulions pas utiliser de 3D. Alors on a commencé en filmant des encres en studio pour s'inspirer des déplacements 'organiques'. A partir de ça, on a énormément travaillé sur les effets en post-production pour obtenir un rendu veritablement immersif et cosmique. Ce qu’il y a d’incroyable avec la réalité virtuelle, c'est cette possibilité de transporter le spectateur dans un autre monde, le faire voyager. Comme dans le plus réaliste des rêves. Au cinéma, tu sais que tu es dans une salle. Il n’y a pas ce sentiment viscéral.»

Un hommage à l'auteur de science-fiction Philip K. Dick

Une voix de femme s’immisce dans la rêverie sans que l’on puisse apercevoir son visage. En interpellant « Philip », elle semble s’adresser à moi depuis le monde réel en m'invitant à trouver la paix.  Malaise. Cette vision est-elle l’imaginaire d’un homme mourant ? Le virtuel devient étourdissant. La voix s’est tue, les nuages se dissipent et commencent à former … des pixels en trois dimensions. « On voulait symboliser une renaissance, explique Pierre Zandrowicz, de la mort de l’organique, du vivant, à une réincarnation informatique». C’est l’heure du réveil sous le casque. Le monde alentours prend forme par bloc de pixels. Un laboratoire. Et deux scientifiques qui me regardent avec des yeux émerveillés. Leurs questions fusent sur mes souvenirs. Et coup de théâtre : la voix qui sort de ma bouche (du moins dans cette réalité alternative) est … robotique. « ‘I, Philip’ , c’est l’histoire vraie de ce scientifique qui, en 2005, a utilisé le visage et les souvenirs de l’écrivain Philip K. Dick pour en faire un androïde à forme humaine», relate Pierre Zandrowicz. L’expérience était à l’époque une forme d’hommage à l’auteur de titres de science-fiction à succès comme «Les androïdes rêvent-il de moutons électriques?" devenu "Blade Runner" au cinéma, « Minority Report » ou encore «Souvenirs à vendre» ("Total Recall"), et décédé 23 ans plus tôt. L'héritage de l'écrivain est colossal, tant ses écrits, souvent dystopiques, sont éclairants sur les réalités alternatives et la tension entre humanité et intelligence artificielle. 
Le scientifique David Hanson a voulu donner à son robot de Philip K. Dick un visage humain

L’immersion continue et je me retrouve brinquebalé à une conférence où des scientifiques évoquent ma condition de robot et mon état de conscience. « La scène peut paraître banale, souligne le réalisateur. Un amphithéâtre, des personnes assises en face, une autre debout à côté, et une dernière à un bureau derrière le robot que le spectateur incarne. Mais il faut bien comprendre que tout cela est une reconstruction. La scène n’a jamais eu lieu de cette manière, puisque les images ont été « stitchées » entre elles ». Explications. Pour tourner, Pierre Zandrowicz découpe les 360° qui entourent le point de prise de vue en ce qu’ils appellent des « parts de tarte ». Chaque « morceau » de la séquence est donc filmé indépendamment des autres morceaux. « Par exemple, au moment de filmer la scène de la conférence, l’homme assis au bureau derrière faisait face à une salle vide », raconte le réalisateur. « Stitcher » (de l’anglais stitch : coudre) c’est donc coller les morceaux pour avoir une vue à 360°. « C’est l’une des étapes les plus délicates de la post-production lorsque l’on s’attaque à la réalité virtuelle » lance-t-il.  


Pour se faire une idée de la complexité du "stitching" des images, Youtube Space a réalisé une vidéo pour expliquer comment bien réaliser cette étape pour le montage d'images à 360°. 

"La réalité virtuelle est une véritable machine à empathie" 

Lors de cette conférence, le prénom d'une femme dans l'assemblée semble hanter mes souvenirs de robot. Elle s’appelle Clarisse. Flashback. Me voici transporté sur un lit d’hôpital, inerte, avec des bras et des jambes cette fois, en chair et en os. Une femme est à mon chevet. Elle éclate en sanglots en prenant ma main. L’émotion crève l’écran. « La première fois qu’on a découvert la réalité virtuelle, c’était chez des potes gamers il y a 3 ans, rapporte Pierre Zandrowicz. A l’époque on avait testé une simulation de roller coaster (manège à sensations ndlr) un peu naze. Mais on s’était tout de suite dit que cela pourrait être génial de faire des films en réalité virtuelle. Pour nous, cela pouvait être beaucoup plus que du sensationnel. J’aime me servir de cette dimension immersive comme un outil poétique vecteur d’émotions, c’est une véritable machine à empathie. Dans le cadre du Lab du Google Cultural Institute, des neurologues ont démontré qu’une partie spécifique du cerveau était stimulée par la réalité virtuelle et pas par le cinéma standard. Pour moi, c’est ce qui pourrait expliquer ce sentiment viscéral. »
Les Studios OKIO, créateurs de "I, Philip", veulent persévérer dans la fiction en réalité virtuelle. 
 (Medhi Weber )

La suite du film me plonge dans une interview avec deux journalistes. L’entrevue va cependant vite déraper. Mes états d’âme de robot ressurgissent au fil de leurs questions: si je ne suis pas le vrai Philip K. Dick, qui suis-je ? Felicia, du magazine Variety me lance une piste : « Êtes-vous capable de rêver ? ». La réponse ne se fait pas attendre. Une plage en bas des falaises. Le bruit des vagues. Je reconnais Clarisse, la femme de l’hôpital à quelques mètres avec un appareil photo, elle est émerveillée par le paysage qu’offre le coucher du soleil. Cette rêverie est définitivement un souvenir heureux partagé avec l’être aimé.  « C’est surtout une scène très compliquée à tourner en réalité virtuelle, lâche Pierre Zandrowicz. D’abord parce que la lumière change tout le temps à ce moment de la journée. Et aussi parce que filmer en extérieur à 360° pose un problème : il faut planquer l’équipe de tournage ! Mais on tenait à cette scène, pour la respiration qu’elle apporte. Dans le reste du film, le regard du spectateur est borné par des espaces clos, avec une lumière artificielle, là il y a un vrai contraste, la perspective est une vraie claque visuelle à 360°. »  

"Le spectateur devient Philip K. Dick"

La voix qui sort désormais de ma bouche n’est plus celle d’un robot. Sur cette plage, je suis devenu le vrai Philip K. Dick le temps d’une escapade amoureuse avec Clarisse. « Nous avons choisi de mettre le titre à la fin du film, après cette scène de la plage, et non au générique d’ouverture. ‘I, Philip’ (‘Moi, Philip’ en français ndlr) devient une réalité à ce moment-là : d’une certaine manière, après avoir été en phase avec les souvenirs et les émotions de Philp K. Dick tout au long du film, le spectateur devient Philip K. Dick. Souvent en réalité virtuelle, on parle plus d’expériences que de films. »
Capture d'écran du film "I, Philip". Clarisse et Philip K. Dick sur la plage. C'est la dernière image du film. Le moment où le spectateur "devient" Philip. 
 (Pierre Zandrowicz, Okio Studios)

"La réalité virtuelle, c'est de la science-fiction dans le vrai monde"

Après ce court voyage poétique, il est temps de raccrocher le casque et rouvrir les yeux sur la réalité … réelle. La sensation de désorientation dure quelques secondes. Un temps d’adaptation pour le retour dans le « vrai monde ».  « Pour l’instant, le corps humain n’est pas habitué à ce genre de bouleversements sensoriels. L’expérience ne doit pas durer plus que 20-30 minutes, sinon c’est perturbant pour le spectateur. Mais dans 2-3 ans, je pense que tout le monde aura accès à un casque de réalité virtuelle, il y aura une certaine accoutumance. De manière générale tout est en train de se développer très vite avec la réalité virtuelle. Pour ‘I, Philip’, on a fait du bricolage avec les caméras et les micros pour recréer le plus fidèlement possible la mécanique des yeux et des oreilles. On a bidouillé en permanence avec ce qu’on avait, aussi parce qu’on faisait partie des premiers à vraiment se lancer le défi de la fiction en réalité virtuelle. Mais les technologies vont vite progresser. Adobe vient par exemple de lancer un logiciel d’édition qui permet de monter des images directement dans le casque. Qui sait de quoi on sera capable dans quelques années. C’est ce qui est excitant avec la réalité virtuelle : quelque part c’est de la science-fiction dans le vrai monde.» 

Ce logiciel d'édition lancé par Adobe est l'illustration de l'engouement technologique qui entoure l'univers de la réalité virtuelle actuellement. Dans ce contexte, on peut à peine imaginer ce que seront les innovations de demain dans ce secteur, tant les idées fusent et le développement est rapide. 

 


 





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