DVD : "Valentino" de Ken Russell pour les 20 ans de la mort de Noureev
A la tête de plusieurs biographies de musiciens (Tchaïkovski, Mahler, Litsz...), Ken Russell s'attelait à celle de Rudolph Valentino en 1976 après près de deux ans de préparation, dans le même esprit de démesure qui le caractérise. Une démesure qui s'incarne dans son acteur principal, tenant le rôle-titre, Rudolf Noureev, considéré comme le plus grand danseur du XXe siècle.
L'idée de donner le rôle de Valentino à Noureev revient à Ken Russell qui, quand on lui proposa le film, pensa d'abord à lui pour incarner le danseur des ballets russes Vaslav Nijinski, contemporain de Valentino, avec lequel il était lié d'amitié. Puis dans un second temps, ne trouvant pas d'acteur à la hauteur du rôle principal, Russell rétorqua à ses producteurs que le danseur serait l'incarnation idéale du célèbre acteur des années 20. Après contact, Noureev accepta, mais il était retenu en tournée durant un an. Le jeu valait la chandelle d'attendre une telle tête d'affiche et le tournage fut décalé d'une année. Temps durant lequel Russell remania le scénario en tenant compte de cette nouvelle et inédite distribution.Etonnant de constater les nombreux recoupements entre Noureev et Valentino. Tous deux ont quitté leur pays d’origine pour concrétiser une carrière fulgurante dans un autre. Ils portent le même prénom, Rudolf et Rudolph. L’un comme l’autre sont danseurs, pas dans la même cour évidemment, Valentino ayant commencé aux Etats-Unis comme danseur mondain, Noureev étant danseur étoile au Kirov, puis le géant de la danse dans le monde entier, une fois dissident, à partir de 1961. Valentino se plaisait à dire qu’il avait appris à danser le tango à Nijinski dans les années 20. Nijinski, modèle de Noureev. La scène figure dans le film de Ken Russell et le danseur étoile y apparaît également en Valentino revêtu du costume de « L’Après-midi d’un faune » porté par Nijinski dans le ballet de Dubussy, comme en témoigne des photographies de l’époque. Tous deux sont devenus des icônes auprès du public, leur renommé internationale allant jusqu’à leur échapper. Leur mort fut enfin brusque et prématurée, à 31 ans pour Valentino, à 55 ans pour Noureev.
Le choix de Ken Russel pour réaliser « Valentino » est des plus logiques au milieu des années 70. Le cinéaste a à son actif depuis le début des années 60, nombre de biographies réalisées pour la BBC : « Debussy », « Elgar », sur le compositeur britannique Edward Elgar, « Isadora Duncan », sur la danseuse du début du XXe siècle, ou « The Dance of the Seven Veils » sur le compositeur Richard Strauss qu’il détestait, le film lui valant de vives réactions de ses admirateurs et de la critique.
Dès qu’il passe au cinéma, Russell revient rapidement au biopic. Après « Love », « Music Lovers » est une biographie tonitruante de Tchaïkovski, puis c’est « Mahler », et enfin « Lisztomania » sur Franz Liszt. Ses approches sont loin d’être académiques, le réalisateur ayant une approche outrancière de la mise en scène, avec force scènes oniriques et paraboliques. « Valentino » s’avèrera sa dernière contribution biographique au cinéma.
Mais un autre facteur se révèle déterminant au choix de Ken Russell. Ses films font souvent appel à des scènes de danse et ses mises en scène sont sur bien des points très chorégraphiées. Le cinéaste, avant de se consacrer à l’image, avait tenté une carrière dans la danse et le théâtre, mais échoua dans son entreprise. Il n’en reste pas moins que ces deux disciplines transparaissent dans son œuvre.
Ainsi dans « Valentino », Rudolf Noureev n’est pas le seul danseur à l’écran. Leslie Caron, danseuse avant d’être actrice et qui apparaît auprès de Gene Kelly dans « Un Américain à Paris », ou « Papa longues jambes » au côté de Fred Astaire, « Gigi » avec Maurice Chevalier, interprète Alla Nazimova, l’agent qui découvrit Rudolph Valentino. Elle déclare à propos de l’approche cinématographique de Russell : « La plupart des réalisateurs prennent le texte comme point de départ. Avec Russell, c’est avant tout visuel : la composition et les gestes de chaque scène, les mouvements de la caméra, les éclairages, tout est conçu comme pour une scène de ballet ». Et à Russell d’ajouter : « Tous mes films participent de la chorégraphie : je ne vois pas pourquoi un danseur ne pourrait pas tenir un rôle de composition ».
Hormis Noureev et Leslie Caron, trois autres grandes figures de la danse apparaissent dans « Valentino » : Anthony Dowell, danseur et chorégraphe, considéré comme le danseur britannique le plus doué de sa génération ; Lindsay Kemp, chorégraphe et mime, ainsi que Leland Palmer, exégète des comédies musicales de Broadway. Le film comporte de nombreuses scènes dansées, la composition des plans, l’évolution des acteurs dans le cadre, les costumes renvoient explicitement à un univers scéniques. Les costumes, particulièrement spectaculaires et somptueux sont signés de l’épouse de Ken Russell, Shirley Russell.
Les décors de Philip Harrison sont tout autant déterminants et participent d’une reconstitution baroque des fastes hollywoodiens des années 20. C’est alors le véritable âge d’or des grands studios avec tous les excès que cela entraîne. Ainsi est évoquée la figure de Fatty, célèbre acteur comique de l’époque, au visage poupin, dont la carrière fut brisée après un procès retentissant, suite au décès d’une mineure dans sa chambre, dont il fut soupçonné du meurtre. L’acteur failli se faire lyncher à l’issue du verdict.
La facture visuelle de « Valentino » en fait un film unique et très atypique, avec ses reconstitutions de tournage, celles des films- mêmes de Valentino – en noir et blanc – ,de sa construction en flash-back, où les maîtresses et mentors de l’acteur défilent pour l’évoquer, dans l’immense chapelle ardente où repose son corps, au milieu de tonnes de fleurs disposées autour du catafalque. L’interprétation des comédiens est peut-être le point d’achoppement du film, mais elle rejoint en même temps le jeu outrancier des acteurs du muet. Russell s’est d’ailleurs toujours dit désintéressé par la direction d’acteurs, portant toute son énergie sur le visuel.
Honnis par les uns, adulé par les autres, Ken Russell réalisait avec « Valentino » son dernier grand film. Son échec commercial immérité l’a relégué dans les annales d’un cinéma des années 70, dont il fut un des metteurs en scène les plus emblématiques. Cinéaste de l’excès et des excès, il en demeure un des chefs de fil, et « Valentino » un de ses meilleurs films, aux côtés de « Love », « Music Lovers » et « Les Diables ». Par la cohérence de sa filmographie, les partis-pris excentriques de ses mises en scène, qui en font un cinéaste reconnaissable entre tous, Ken Russell est un peu le Federico Fellini britannique.
Valentino
De Ken Russell (Grande-Bretagne) - 1977 - 2h05
Avec : Rudolf Noureev, Leslie Caron, Michelle Phillips, Carol Kane, Seymour Cassel, Peter Vaughan
Edition : BelAir Classiques
DVD : 119,99 euros
Blu ray : 24,99 euros
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