Festival Ciné Palestine 2024 : "Faire du cinéma devient un mode de survie", pour les réalisateurs Mohanad Yaqubi et Rashid Masharawi
"La guerre n’a pas commencé le 7 octobre. Les films prouvent que l’occupation existe depuis bien longtemps", assène le réalisateur palestinien Rashid Masharawi, rencontré au cinéma Luminor Hôtel de Ville. C’est dans ce petit cinéma parisien que s’est ouverte la dixième édition du Festival Ciné Palestine, ayant pour mission de contribuer à la promotion du cinéma palestinien. Le festival offre aux artistes palestiniens la possibilité de rencontrer leur public et de créer un espace de discussions, de rencontres et de débats. Le festival réalise aussi un important travail de sous-titrage pour rendre accessibles les films palestiniens au public francophone.
Le soir de l'ouverture du festival, le public et les organisateurs sont émus au moment de rendre hommage aux dizaines de milliers de Palestiniens morts sous les bombardements de l’armée israélienne. Keffieh sur les épaules, ce foulard à carreaux noir et blanc devenu un symbole pendant la révolte arabe des années 1930, ils affichent une mine grave avant la projection des trois films.
"Scènes d’occupations à Gaza" (1973)
Mustafa Abu Ali est considéré comme l’un des fondateurs du cinéma palestinien. Son œuvre intitulée Scènes d’occupations à Gaza (1973) est créée à partir d’un reportage français sur la bande de Gaza que Mustafa Abu Ali a remonté, en insérant des images supplémentaires et un commentaire. On y voit la vie dans les camps des années 1970 et l’occupation israélienne dans la bande de Gaza.
Ce documentaire de 13 minutes rappelle l’enfance du réalisateur de 62 ans Rashid Masharawi, à Shati, dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza. "Je reconnais tous les lieux qu’on voit dans le film, même mon quartier. J’avais 10 ans, je sais ce que ressentent tous ces enfants", explique-t-il en anglais après la projection des films. "Ces images tournées il y a 60 ans sont les mêmes qu’aujourd’hui à Gaza. Cela montre l’importance du cinéma et des archives pour documenter le monde", ajoute le réalisateur palestinien Mohanad Yaqubi.
"Vibrations from Gaza" (2023)
Le documentaire Vibrations from Gaza (2023) de l’artiste palestinienne Rehab Nazzal, basée à Toronto, montre un aperçu des expériences des enfants sourds à Gaza, en particulier les violences auxquelles ils sont exposés lors des opérations militaires israéliennes. Nés et élevés sous les assauts fréquents des forces d’occupation, Amani, Musa, Israa et d’autres partagent les souvenirs vifs des bombardements et de la présence constante de drones militaires dans le ciel. Les enfants décrivent leurs perceptions des frappes de missiles à travers les vibrations dans l’air, le tremblement du sol et la résonance des bâtiments qui s’effondrent. Ce bourdonnement traverse leur corps jour et nuit, les empêche de dormir, "même si tu te bouches les oreilles", racontent-ils.
"Ces enfants ne comprennent pas ce qu’il se passe. Ils ne comprennent pas pourquoi tout le monde fuit lors des bombardements", commente Rashid Masharawi. Son frère travaille avec une association venant en aide aux personnes sourdes à Gaza. "Leur plus grande peur, c’est d’être blessés et surtout de perdre l’usage de leurs mains, leur seul moyen de communication", complète-t-il.
"Offing" (2021)
Quels sont les récits qui échappent au cadre de la guerre ? C’est ce que questionne le film expérimental Offing (2021) de la chercheuse et artiste Oraib Toukan, qui a grandi en Jordanie. Le film a été produit à la suite de l’offensive israélienne de 2021 dans la bande de Gaza. Il confronte les histoires personnelles de l’artiste Salman Nawati, basé à Gaza, aux images tournées par Oraib Toukan, qui se concentrent sur la tendresse et certains actes de vie devenus impossibles. Salman Nawati décrit les pénuries d’eau qui le conduisent à tirer la chasse des toilettes une fois sur trois. "L’eau qui nettoie le bébé est utilisée pour nettoyer le linge, puis cette même eau est utilisée pour nettoyer le sol et ensuite arroser les plantes", complète Rashid Masharawi.
Le film nous permet de sentir une réalité, celle des bombardements qui éclatent au milieu des fleurs de manière imprévisible. Parfois, Salman Nawati ne prend pas de douche pendant cinq jours, de peur de se séparer de ses proches quelques minutes et qu’un bombardement les frappe inopinément. "Faire du cinéma devient un mode de survie. Nous avons le sentiment d’archiver dans l’urgence, mais nous devons raconter nos propres histoires. Le cinéma a un nouveau rôle, celui de protéger notre mémoire pour les générations futures", insiste Mohanad Yaqubi.
La dixième édition du Festival Ciné Palestine 2024 en Ile-de-France et à Paris se déroule jusqu’au 16 juin.
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