Festival de Cannes 2024. Prix du jury et prix d'interprétation masculine dans la section Un certain regard, "L'Histoire de Souleymane" le thriller social captivant de Boris Lojkine
Il roule sans relâche dans un Paris bouillonnant. Souleymane est l'un de ces livreurs à vélo croisés dans les grandes villes de France. On les reconnaît au sac isotherme coloré qu'ils transportent sur leur porte-bagages, certains d'entre eux sont des clandestins. Paris est pour eux une ville étrangère dont ils ne maîtrisent pas les codes.
L'histoire de Souleymane, c'est celle qu'il se raconte sur son vélo lancé à pleine vitesse, celle qu'il se répète en boucle avant de la réciter à un agent de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) chargé d'étudier sa demande d'asile. L'histoire de Souleymane, c'est son unique espoir de sortir du chaos, lui qui a déjà traversé le Sahara, les geôles libyennes et la Méditerranée.
Abou Sangare intense et bouleversant
Souleymane tombe, Souleymane prend des coups, Souleymane grille les feux rouges, pas le temps. Lancé à pleine vitesse sur son vélo, il percute une voiture. Il se relève, poli et courtois. Il s'efface, pas d'embrouille surtout. Sa vie sur un fil.
La puissance du film de Boris Lojkine repose en grande partie sur la qualité d'interprétation d'Abou Sangare. Le jeune homme de 23 ans, campe un Souleymane intense et profondément bouleversant. Le jury de la sélection Un certain regard, présidé par le Québécois Xavier Dolan, ne s'y est pas trompé en décernant le prix d'interprétation masculine à cet acteur non-professionnel. Dans la vraie vie, Abou Sangare est lui aussi sans-papiers, il travaille comme mécanicien. Le réalisateur et la directrice de casting Aline Dalbis l'ont rencontré via une association à Amiens.
Une tension permanente
Dès les premières minutes, L'Histoire de Souleymane nous tient en haleine, dans un état de tension permanent. Le risque de basculement est présent à chaque instant. Un policier trop zélé, un loueur de compte Uber sans scrupule, une cliente insatisfaite, un bus qui n'attend pas : autant de menaces à esquiver et de montagnes à gravir.
Seules les soirées au centre d'hébergement d'urgence de Clignancourt offrent un semblant de répit. Un repas chaud, une douche apaisante, un brin de lessive et quelques instants de fraternité.
Paris, dévoilé ici dans des couleurs volontairement saturées, ne fut pas un décor facile à filmer. "Ce fut beaucoup plus compliqué de tourner dans Paris qu'à Bangui à la veille d'une guerre civile", témoigne Boris Lojkine faisant référence à son précédent film Camille tourné en Centrafrique. Le réalisateur a opté pour un dispositif minimaliste au plus près du réel. Cinq ou six personnes sur le plateau. Pas d'éclairage, pas de camion, pas de cantine. Les scènes de vélo sont filmées à vélo au cœur du bouillonnement de la capitale.
Pour filmer le vélo, nous avons utilisé d’autres vélos. C’était la seule solution pour se glisser dans la circulation. Un vélo pour l’image, un autre pour le son. Moi-même le plus souvent, je conduisais le vélo son, pour rester en prise avec le tournage.
Boris Lojkineréalisateur
Un film nécessaire
Dans une dramaturgie proche du thriller, Boris Lojkine dit le quotidien des réfugiés sans-papiers, l'interdiction de travailler qui précarise encore un peu plus, la jungle parisienne pour celui qui n'a aucun droit. Il dit aussi le courage et la ténacité qu'il faut pour sortir de l'ornière. Il y a du Ken Loach dans ce film social, cette manière de mettre en lumière ces citoyens invisibles et ultra-vulnérables.
"Le film est exactement celui que je voulais faire, indiquait Boris Lojkine lors de la projection sur la Croisette, avant de savoir que son long métrage serait récompensé. "On n'a pas eu beaucoup d'argent mais c'est bien aussi une forme de sobriété. Si vous ne l'aimez pas c'est de ma faute", a-t-il poursuivi. Que l'on aime ou pas, L'Histoire de Souleymane est un film nécessaire. Il donne un visage et une identité à toutes ces silhouettes que l'on croise dans la rue sans jamais y prêter attention.
La fiche
Genre : drame
Réalisateur : Boris Lojkine
Acteurs : Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow
Pays : France
Durée : 1h33
Sortie : 27 novembre 2024
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