Festival de Cannes 2024 : "Les Fantômes", un thriller sensoriel haletant sur la traque des criminels de guerre syriens
C'est un grand écart dont Cannes a le secret : passer sans transition des paillettes et des photos glamour du tapis rouge au réel dans ce qu'il a de plus violent et brutal. Le film d'ouverture de la Semaine de la critique, sélection qui met à l'honneur les jeunes talents du cinéma, entre de plein fouet dans l'histoire récente de la guerre en Syrie. Déclenché en 2011, le conflit a fait plusieurs centaines de milliers de morts et des millions de déplacés. C'est à une poignée d'entre eux que le premier long-métrage de fiction de Jonathan Millet s'intéresse. Le réalisateur de 38 ans, venu du documentaire, a imaginé un thriller saisissant. Une fiction pour mieux dire le réel.
Adam Bessa sobre et puissant
Les Fantômes est né d'un long travail d'enquête sur les cellules d'exilés syriens chargées de débusquer les criminels de guerre du régime de Bachar Al-Assad et de Daesh qui ont tenté en Europe de se faire oublier. "J'ai passé une année à me documenter sur les cellules, à rencontrer certains membres, à écouter des récits de filature, explique Jonathan Millet. C'est cette masse d'informations qui m'a permis de créer mes personnages."
Dans le rôle-titre, Adam Bessa sobre et puissant, incarne un père de famille qui a tout perdu. Un homme hanté par la torture et l'horreur de la guerre, tiraillé entre sa soif de justice et la tentation du pire. Dans les rues de Strasbourg, sans relâche, il traque un homme dont il n'a qu'une photo floue, son ancien geôlier dans la prison militaire de Saidnaya, en Syrie. Une chasse à l'homme hasardeuse tant les indices sont minces et l'enquêteur sur une ligne de crête.
Ces réseaux souterrains emmenés par des citoyens de l'ombre ont réellement existé et permis notamment l'arrestation en 2019 d'Abou Hamza, un ancien responsable de l'État islamique. La presse s'en est peu fait l'écho.
Une place essentielle accordée à la sensorialité
L'odeur caractéristique du bourreau, le parfum du jasmin dans les rues de Damas, le bruit des pas du bourreau dans la prison de Saidnaya, Les Fantômes accorde une place essentielle à la sensorialité. Un choix qui résulte là encore des témoignages recueillis par le réalisateur. "Dans les prisons de Bachar, on est dans le noir, du coup, c'est l'ouïe et l'odorat qui se développent, explique-t-il. On essaye d'entendre les pas du bourreau, on utilise le toucher pour savoir où l'on se trouve dans la prison. Tout cela m'évoque du cinéma et constitue un matériel puissant pour dire la réalité."
La musique, forte parfois jusqu'à l'obsession, vient dire le bouillonnement intérieur d'Hamid. Jonathan Millet laisse hors-champ toutes les images trop signifiantes. La torture, les enfants et les conjoints assassinés, même les cicatrices du héros ne seront que suggérées.
Une fois à l'abri, que reste-t-il de ces traumas passés, comment faire avec ces cauchemars envahissants et obsédants ? Que faire de cette douleur incrustée dans la chaire ? À travers le destin d'Hamid, c'est l'histoire singulière de chaque exilé qui est mise en lumière. Ce long processus de reconstruction dont l'issue n'est jamais certaine.
"Ce que je cherche quand j'écris, sans rien omettre de la dureté de ces réalités, c'est un endroit de lumière, d'espoir possible. Que cet espoir se concrétise ou non, cela devient le mouvement du film. Je ne crois pas au drame sans issue, aux situations plombées dont on ne sort pas."
Jonathan Milletréalisateur
La fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Jonathan Millet
Acteurs : Adam Bessa, Tawkeek Barhom, Julia Franz Richter
Pays : France
Durée : 1h46
Sortie : 3 juillet 2024
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