Festival de Cannes 2021 : Juliette Binoche, Emmanuel Carrère et Frederick Wiseman ouvrent la 53e Quinzaine des Réalisateurs
Le coup d'envoi de la sélection parallèle du Festival de Cannes a été donné mercredi soir. Deux beaux moments : l'attribution du Carrosse d'or au grand documentariste américain Fredrick Wiseman, et l'échange par écrans interposés avec Juliette Binoche à propos du film d'ouverture, "Ouistreham".
Sur la Croisette, ce mercredi 7 juillet, une autre "ouverture officielle" cannoise se tenait à une centaine de mètres du Palais des Festivals : celle de la Quinzaine des Réalisateurs, sélection parallèle du festival. Ambiance de fête dans la grande salle du Théâtre Croisette, joli mélange de tenues, les jeans-baskets côtoient joyeusement les costumes sombres et les robes de soirée.
Le Carrosse d'or à Frederick Wiseman
Sur le grand écran, des images en noir et blanc, puis en couleur, des États-Unis des années 1960 à aujourd'hui, de la vie urbaine, les quartiers pauvres, les administrations, les hôpitaux. Plongée parmi les démunis, les moines, les skieurs d'Aspen, les militaires du Kentucky pendant la guerre du Vietnam, les policiers de Kansas City, les New-Yorkais de Central Park, les danseurs de l'Opéra de Paris. Bigarré et très émouvant hommage à l'œuvre hétéroclite du grand documentariste américain Frederick Wiseman à qui la Société des Réalisateurs de Films (SRF), attribue le Carrosse d'or, distinction pour la carrière de la Quinzaine des Réalisateurs. En 2019, cette récompense avait été attribuée à John Carpenter, l'année précédente à Martin Scorsese, c'est dire.
Une standing ovation accueille le réalisateur de 91 ans d'habitude si discret, visiblement ému par les longs applaudissements. "C'est la plus belle reconnaissance jamais eue", dit Frederick Wiseman, déjà couronné en 2016 par un Oscar d'honneur. "Je suis heureux d'être récompensé par des gens qui comprennent ce que je fais", ajoute-t-il. "L'indépendance et la singularité de son regard résonnent avec l'engagement de la Quinzaine", introduit à son tour l'un des co-présidents de la SRF. "Chez lui, pas de personnages, pas de scénarisation, juste du cinéma".
Les institutions pour observer le comportement humain
Frederick Wiseman s'est fait connaître en 1967 avec Titicut Follies, interdit pendant 25 ans aux États-Unis, qui montrait la vie quotidienne dans un hôpital psychiatrique pour malades mentaux criminels dans le Massachusetts. Tout au long de son œuvre prolifique (44 films en 53 ans de carrière), le réalisateur s'est penché sur les institutions, principalement aux États-Unis. Son ambition : enregistrer le comportement humain dans des situations différentes et observer "comment les gens réagissent quand il y a des règlements", a-t-il expliqué dans le passé. Les institutions ? Ce peut être un centre d'accueil de femmes battues en Floride dans Domestic Violence (2001), un centre d'aide sociale (celui de Waverly) à New York dans Welfare (1975), un service de soins intensifs dans l'hôpital Beth Israel de Boston dans Near Death (1989), mais aussi le club de boxe Lord's Gym et sa clientèle très bigarrée dans Boxing Gym (2010), ou encore les coulisses du Français dans La Comédie-Française ou l'Amour joué (1996).
"Je travaille généralement tout seul (…) je suis un adolescent perpétuel", a expliqué Fredrick Wiseman au public du Théâtre Croisette. "Je ne me vois pas comme un théoricien du cinéma, mais j'essaie dans mes films de construire une dramaturgie", détaille-t-il. "Documentariste" ? L'homme préfère juste "cinéaste".
Juliette Binoche : "Les invisibles seront visibles ce soir"
Le directeur de la Quinzaine des Réalisateurs Paolo Moretti a ensuite donné le coup d'envoi de la 53e édition en introduisant le film d'ouverture, le très attendu Ouistreham d'Emmanuel Carrère, adaptation du roman de la journaliste Florence Aubenas. Le portrait de femmes en marge et déclassées, quelque part en Normandie, subissant précarité et travail pénible. Sur le plateau du Théâtre, Emmanuel Carrère, qui a évoqué la "libre adaptation du livre – mais je pense qu'on est restés fidèles à son esprit" - et ses principales comédiennes.
Juliette Binoche, la plus célèbre d'entre elles, est intervenue en direct sur Skype depuis le Mississippi où elle séjourne en ce moment, "sous une grande chaleur", précise-t-elle avec amusement. "Je suis absente. Mais en quelque sorte, c'est une bonne idée. Car les invisibles seront visibles ce soir", dit-elle en référence à ces femmes et ces hommes auxquels est consacré Ouistreham. Passionnée dans ses engagements comme à l'accoutumée, la comédienne évoque cet "autre son de cloche" offert par le film et l'ambition que "la vie devienne plus humaine". Ses mots sont à peine audibles, tant ils sont couverts par les applaudissements du public et les bravos. "Le film est fait pour eux (les invisibles cités plus tôt, ndlr). Pour eux et pour nous tous. Pour avoir un peu plus de conscience. Du respect pour eux, si ce n'est de l'amour", conclut-elle, avant de laisser la place à la projection du film.
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