Festival de Cannes 2021 : le cinéma de Paul Verhoeven, chargé d’amour et de violence
Cinq ans après "Elle", César du meilleur film, Paul Verhoeven dévoile son deuxième long métrage en langue française : "Benedetta", en lice pour la Palme d’or du 74e Festival de Cannes vendredi 9 juillet, date de sa sortie en salles.
30 ans après l'ouverture de l'édition 1992 du Festival de Cannes avec son fameux Basic Instinct, le réalisateur néerlandais Paul Verhoeven dévoile son nouveau film Benedetta, avec Virginie Efira, présenté en compétition à la Croisette ce vendredi 9 juillet. À 82 ans, celui qu’on surnomme le "Hollandais violent" n’a rien perdu de son côté provocateur comme le prouve son scénario inspiré du livre de Judith C. Brown, Benedetta, entre sainte et lesbienne : le film retrace l’histoire vraie du procès de Benedetta Carlini, une nonne italienne du XVIIe siècle partagée entre sa relation amoureuse et son amour pour Dieu, interprétée par Virginie Efira.
De ses premiers films au Pays-Bas à ses succès à Hollywood, toute la filmographie de Verhoeven est traversée par les thèmes du sexe, de la violence et de la religion et Benedetta ne déroge évidemment pas à la règle. Retour sur la carrière de ce cinéaste subversif.
Entre les Pays Bas et les États-Unis, son coeur balance
Diplômé d’un doctorat en mathématiques et en physique, Verhoeven se passionne pour le cinéma en parallèle de ses études. Dès le début des années 70, le cinéaste se lance dans la réalisation de ses premiers films dans sa Hollande natale et obtient rapidement des succès importants avec Turkish Délices, qui, malgré son caractère provocateur et érotique, remporte une nomination pour l'Oscar du meilleur film étranger.
Verhoeven poursuit ensuite sa carrière aux Pays-Bas en réalisant plusieurs longs métrages, dont le sulfureux Spetters. Le film, prenant pour décor le milieu du moto-cross et très controversé pour sa scène de viol collectif homosexuel très crue est jugé trop violent et décadent par le gouvernement néerlandais. Devenant de plus en plus difficile pour le cinéaste de trouver des financements, il décide quitter les Pays-Bas pour les États-Unis où, ironiquement, il devra faire face aux mêmes critiques pour ses futurs blockbusters (Total Recall, RoboCop…). Verhoeven ne reviendra tourner dans son pays natal qu'au milieu des années 2000 pour son film historique Black Book.
Une vision décalée de l’Histoire
C’est lors de son service militaire au sein du département audiovisuel de la Marine néerlandaise que le jeune Paul Verhoeven s’initie au cinéma en réalisant des documentaires de propagande pour l’armée de son pays. Il faudra attendre 1977 pour ses films historiques connaissent un succès à international avec Le Choix du Destin, nommé au Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. Inspiré des mémoires d'Erik Hazelhoff Roelfzema, le film retrace le parcours de cet écrivain néerlandais devenu pilote de la Royal Air Force durant la Seconde Guerre mondiale.
En 1975, Verhoeven persévère dans le genre historique. Il écrit et met en scène son premier long métrage tourné hors de son pays : La Chair et le sang. Dans cette épopée médiévale, Verhoeven revient à ses thématiques de prédilection et offre un tableau du Moyen Âge barbare, violent et sensuel. Il s’amuse à détourner tous les poncifs du genre en faisant des méchants les héros du film ou en désamorçant la romance entre Steven et Agnès : leur serment d’amour se déroule au pied d'un arbre où deux pendus sont en train de pourrir. Ce film charnière entre son départ d’Europe et sa future carrière au États-Unis marque également la fin de son amitié avec son acteur fétiche Rutger Hauer, en raison d'une scène de viol présente dans le film qu’Hauer juge destructrice pour sa carrière.
Dans les années 2000, lors de son retour aux Pays-Bas après 22 ans aux États-Unis, Verhoeven reprend contact avec son ami scénariste Gerard Soeteman et réalise Black Book. Ce film inspiré de faits réels retrace le parcours d'une jeune femme juive espionne pour le compte de la résistance néerlandaise à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Avec un budget de 18 millions d'euros, Black Book est le film le plus cher de l'histoire du cinéma néerlandais.
Hollywood et science-fiction
Sur les conseils de Steven Spielberg, qui l’aidera à s’intégrer dans le milieu hollywoodien, Paul Verhoeven fait son entrée dans le cinéma américain avec deux blockbusters de la science-fiction : RoboCop, en 1987, puis Total Recall avec Arnold Schwarzenegger, qui connaîtront un grand succès. Si le cinéaste néerlandais explore pour la première fois le genre de la science-fiction, il réussit à s’adapter à Hollywood sans renier son style subversif et provocateur.
Ainsi avec RoboCop, Total Recall et Basic Instinct, Verhoeven réalise ce qu’il appelle sa "trilogie psychotique". Ces trois films creusent chacun à leur manière la thématique du double : le policier mi-homme mi-robot de RoboCop, l'agent double amnésique de Total Recall et l’autrice de polar suspectée de meurtre.
Verhoeven apporte sa touche personnelle à ces films en s’amusant à allier formules traditionnelles du film d’action et science-fiction, notamment grâce à l’usage des effets spéciaux pour rendre le tout violent à souhait.
"Le Hollandais violent"
Enfant, Paul Verhoeven grandit dans un Amsterdam occupé par les Allemands en pleine Seconde Guerre mondiale. Profondément marqué par les scènes de violence extrême qu’il observe quotidiennement très jeune, Verhoeven a rapidement cherché à illustrer cette violence à outrance dans ses films, qu’il porte à des niveaux parfois ridicules.
Lorsque qu’une balle touche un personnage, elle provoque des explosions de sang rouge vif. Lors de batailles, rien n’est épargné au spectateur : des membres sont arrachés, des civils innocents sont tués… La brutalité est si extrême qu’elle en devient presque une plaisanterie, transformant le récit en satire du film d’action traditionnel américain et en analyse de la fascination des USA pour la violence.
Mais à l’image du jeune Paul Verhoeven spectateur des horreurs de la guerre, chacun de ses personnages semble se détacher de la violence qui se déroule autour de lui. Ces films dépeignent un monde totalement désensibilisé à la violence, tout comme Verhoeven qui à l'âge de 5 ans restait insensible face au carnage dont il était témoin.
Verhoeven et les femmes
La femme dominatrice fait la loi dans le cinéma de Verhoeven : Sharon Stone dans Basic Instinct ou Isabelle Huppert dans Elle, incarnent ses personnages féminins souvent mis en scène dans des situations tragiques et violentes comme les nombreuses scènes de viol récurrentes dans ses films.
Lors de la sortie de Basic Instinct, en 1992, le film créé la polémique notamment au sein des ligues féministes et homosexuelles pour ses scènes de sexe explicites et la séquence où Sharon Stone décroise les jambes, nue sous sa jupe. S’il s’agit d’un film qui a permis à Sharon Stone de faire ses premiers pas vers la célébrité, l'actrice a néanmoins déclaré "s'être fait piéger par le réalisateur", qui lui aurait promis que rien n'apparaîtrait à l’écran.
Ce côté voyeur, impliqué par la caméra est totalement admis par Verhoeven qui n’hésite pas à le pousser à l’extrême dans Showgirls, un film sur le parcours d’une jeune femme qui se rend à Las Vegas dans l'espoir de faire carrière dans le milieu du lap dance. Le film connaît un échec cuisant et "remporte" le prix du pire film lors des Razzie Award 1996.
Cette fois, c'est avec le personnage féminin fort de Benedetta que Paul Verhoeven marque son retour à Cannes en 2021. Fidèle à lui-même, le réalisateur néerlandais aborde dans son nouveau film les thématiques du sexe, de la violence et de la religion, qu’il considère comme "les trois principaux éléments sur terre". Avec Benedetta, Verhoeven compte bien secouer la Croisette et montrer que malgré les annés, il n’a pas perdu son côté mordant et provocateur.
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