Festival de Cannes 2021 : "Mon film parle de la vie en Russie, de la folie propre aux Russes", nous dit Kirill Serebrennikov, assigné à résidence à Moscou
Le film de Kirill Serebrennikov, "La fièvre de Petrov", est présenté à Cannes en compétition. Assigné à résidence à Moscou, le metteur en scène russe de cinéma, de théâtre et d'opéra à répondu à nos questions par visioconférence.
Kirill Serebrennikov n'a pas pu être à Cannes pour présenter son film La Fièvre de Petrov, qui concourt pour la Palme d’or. C’est par visioconférence que nous avons donc échangé avec le cinéaste russe, assigné à résidence à Moscou depuis 2017. Il nous parle de la conception de son film et du sens qu’il a voulu transmettre, avec au centre sa vision de la Russie. Il revient également sur son travail, malgré la pression qu’il subit de la part des autorités.
Franceinfo Culture : J’ai vu votre film comme une vision de science-fiction dystopique de la Russie, où le personnage de Petrov serait votre alter-ego, suis-je dans le vrai ?
Kirill Serebrennikov : Oui tout à fait. Mais c’est votre travail d’interpréter le mien, et je trouve toutes les interprétations que l’on me soumet correctes. Ce que je voulais faire dans le film, c’était jouer avec le temps. Tout y est artificiel, c’est du studio, et recréer le passé, techniquement, c’est comme visualiser le futur, c’est une création totale. Le rapport au temps en Russie est très particulier, cela importe peu que cela soit le passé ou le futur. C’est un des propos du film. Si le passé des années 1960 semble plus sympathique, c’est par nostalgie, mais les souvenirs d’enfance sont aussi porteurs de traumas, en raison de la fragilité de la psychologie enfantine. Et les allers et retour passé-présent dans le film donnent le point de vue de l’enfant. La confusion entre les deux, et entre réalité et fantasme, sont volontaires et significatifs.
Mais ce que l’on voit du passé et du présent, ce sont pratiquement les mêmes choses sur le plan de la pression du pouvoir sur les citoyens, comme si rien n’avait changé.
Les Russes aiment répéter la citation de Nietzche "ce qui ne me tue pas me rend plus fort", d’où leur sorte de résignation qui serait comme une force de résistance qui va au-delà du simple fait de subir.
Le film traite en toile de fond d’une épidémie de grippe qui fait écho à la pandémie actuelle, avez-vous écrit et réalisé avant ou pendant la crise du Covid-19 ?
Nous avons commencé le film avant la pandémie. Quand elle s’est déclarée, nous avions déjà commencé le traitement, et je me demandais comment les futurs spectateurs verraient ce film, après avoir subi l’isolation et le confinement que l’on retrouve dans La Fièvre de Petrov. De plus, aucun personnage du film ne porte de masque, alors qu’il s’est généralisé aujourd’hui. Le rapprochement entre l’épidémie de grippe du film et la pandémie actuelle est complètement irréaliste.
Est-ce que la pression que ressent Petrov dans le film correspond à celle que vous subissez en raison de votre assignation à résidence ?
Je me suis en fait beaucoup inspiré de la littérature, et accroché au roman de Salnikov (Les Petrov, la grippe, etc..., Éditions des Syrtes, ndlr) car j’y ai trouvé beaucoup de métaphores, de poésie et d’étrangeté. S’il y a des correspondances entre le film et ma situation comme citoyen, ce n’était pas mon objectif. Je me suis conformé à Salnikov, que je préfère à Kafka du point de vue de la démolition de l’homme par l’administration. Le producteur du film m’a demandé d’écrire l’adaptation mais ça ne devait pas être moi le réalisateur du film. Toutefois, en écrivant le script, j’ai été complètement happé par l’univers du livre et je ne pouvais plus le laisser entre d’autres mains. Et comme la production n’avait personne pour le réaliser, j’ai décidé de le mettre en scène. Ça a été la réalisation la plus intéressante que j’ai connue, et un énorme défi. Car il fallait créer un univers total. C’est la meilleure expérience que l’on puisse proposer à un artiste, tout créer de A à Z. Il y avait un grand enthousiasme de tous les participants pendant la préproduction et le tournage.
Mais cela m’étonne beaucoup que des personnes comme vous, venus de l’extérieur, d’un autre pays que le mien, ressente qu’il y a une correspondance entre le film et ma vie personnelle. Car le film parle de la vie en Russie, de la folie propre aux Russes, de leur sens de l’absurde. Cela résulte sans doute des similitudes, des points communs qui se retrouvent partout dans le monde. Mais ce que vit Petrov dans le film ne correspond pas à ce que je vis. Je voulais avec ce film échapper à ma propre réalité. Je me suis totalement plongé dans mon imagination, dans ma folie personnelle, j’ai voulu laisser de côté tous mes problèmes.
Comment faites-vous pour continuer de créer, de mettre en scène pour le théâtre, pour l’opéra ou tourner un film avec la pression que vous subissez ?
Tout travail permet de survivre. C’est comme respirer pour vivre. C’est pareil pour tous mes collègues du monde entier. Mais dans ma situation, j’ai reçu beaucoup de supports de partout, beaucoup d’amour, beaucoup de lettres, de Thierry Frémaux, ou d’Olivier Py pour ma performance à Avignon, d’artistes allemands, de toute l’Europe. Et je veux leur donner en retour cet amour qu’ils m’ont donné. C’est ce qui m’aide le plus.
Vous avez des projets ou travaillez actuellement sur une création ?
J’ai été très pris par la préparation de Cannes. J’étais très heureux que l’équipe du film monte les marches pour présenter le film. Et on a fait l’équivalent à Moscou, au même moment, avec un tapis rouge, c’était important et une belle soirée, synchrone avec ce qui se passait à Cannes.
Le bruit court que vous seriez libéré de votre assignation seulement en 2023 ?
Attendons voir. Toute chose a une fin. Nous devons attendre, soyons patient.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.