Festival de Cannes 2023. "Les herbes sèches" de Nuri Bilge Ceylan: grandeurs et petitesses de la condition humaine
Il y a deux saisons en Anatolie : l’hiver et l’été. Nuri Bilge Ceylan a installé son film Les herbes sèches dans un village blanc de neige, balayé par des vents hurlants. Un cadre polaire. Samet, enseignant en arts plastiques, se morfond dans le village et ne rêve que de partir le plus loin possible. Il essaie d’introduire de nouvelles méthodes d’enseignement mais se heurte au conservatisme local. Il pousse ses élèves à se rebeller, à aimer, à être eux-mêmes. "Quitte à garder des moutons, autant que ce soit en plein air !", dit l’enseignant qui se voit comme berger des âmes. Samet et Kenan, son collègue et colocataire, se retrouvent accusés d’harcèlement par la meilleure élève, celle à qui Samet prête beaucoup d’attention. Peut-être trop. Et l’on découvre que Samet a un côté sombre, manipulateur.
"Egoïsme rationnel"
Le réalisateur turc instaure un climat d'ambiguïté où les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être. Les buts exprimés ne sont pas les objectifs recherchés. Son personnage principal, Samet, est servi par un Deniz Celiloğlu très inspiré. Antipathique, roublard, méchant gratuitement sous des dehors de progressiste cynique, Samet détruit tout autour de lui. Nuri Bilge Ceylan a le sens des retournements. Le dossier harcèlement a été clos très vite par les autorités. Tout le monde est invité à oublier, à passer à autre chose. Sauf que les deux enseignants cherchent à comprendre les motivations des uns et des autres. Le sujet du film délaisse cette affaire pour rebondir ailleurs.
Lassitude d'espérer
Palme d’or 2014 avec Winter Sleep, le cinéaste nous emmène dans un trio amoureux équivoque. Samet et Kenan, en quête d’amour, font la connaissance de Nuray, militante de gauche qui a perdu sa jambe droite dans un attentat-suicide. Le meilleur chez les autres déclenche le pire chez Samet. L’histoire naissante entre Nuray et Kenan fait ressortir le monstre en lui. Il veut salir, enlaidir le beau chez les autres. A un moment, il ouvre une porte et se retrouve dans un hangar de cinéma avec des projecteurs, des câbles, des techniciens. Il allait se regarder dans la glace puis se détourne pour regarder le spectateur. Comme pour dire "C’est du cinéma tout ça, je vais aller au bout de mon geste. Vous me suivez ?". Le trio développe une relation à la fois pure et toxique. Nuray souffre d’être regardée à travers son handicap et développe une "lassitude d’espérer".
Le bien, le mal et la nature
Cette partie est un peu bavarde. Le diner entre Samet et Nuray est un échange sans fin sur le bien et le mal, l’engagement et l’indifférence… Le dialogue dure très (trop) longtemps. Le face-à-face entre les deux univers laisse peu de place à la neutralité, forcément complice d’un camp ou d’un autre. Et d’un coup, d’un seul, on retrouve Nuri Bilge Ceylan qui filme la nature comme personne. C’est de la peinture, du grand art. Son directeur photo a dû prendre un énorme plaisir. La beauté explose à chaque plan.
Les herbes sèches, un (grand) film sur l’engagement, l’indifférence et l’utopie. Nuri Bilge Ceylan, un réalisateur inspiré.
Fiche
Titre : Les herbes sèches
Réalisateur : Nuri Bilge Ceylan
Durée : 3h17
Distribution : Deniz Celiloğlu, Merve Dizdar, Musab Ekici
Synopsis : Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui…
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.