Festival de Cannes 2023 : se faire une place sur la Croisette, le grand dessein du cinéma d'animation
Petit test : à quand remonte la dernière sélection en compétition d'un long métrage d'animation au Festival de Cannes ? Vous fouillez votre mémoire ? C'est normal. C'était en 2008, avec Valse avec Bachir d'Ari Folman. Et la disette n'est pas terminée puisque c'est hors compétition qu'est projeté samedi 27 mai, après la cérémonie de clôture, Elémentaire, le 27e film des studios Pixar, comme avant lui Là-haut (2009), Vice-versa (2015) et Soul (2020).
Ces dessins animés grand public sont des événements comme aiment les programmer le Festival et son délégué général Thierry Frémaux. Mais derrière les mastodontes américains, les autres films d'animation ont parfois du mal à se faire une place à la grand-messe du cinéma international. Une anomalie que les acteurs du secteur voudraient voir corrigée. C'est ce que demandent AnimFrance et le Syndicat des producteurs indépendants, dans un communiqué (PDF) publié à l'ouverture du festival et dans lequel ils regrettent "qu'aucun film [d'animation] ne figure cette année en compétition officielle, ni à Un certain regard, ni à la Quinzaine des cinéastes, ni à la Semaine de la critique". "D'où vient que cet anathème se répète avec constance depuis presque 15 ans ?" interrogent les auteurs du texte.
"Comme si le cinéma d'animation contemporain, qu'il fût japonais, anglais, coréen ou français, n'était qu'une cinématographie mineure, incapable de produire des films dignes d'une Palme d'or."
AnimFrance et le Syndicat des producteurs indépendantsdans un communiqué
Depuis la création du festival en 1946, "on compte une cinquantaine de longs-métrages d'animation dans toutes les sélections et une centaine de courts, c'est très peu quand on compare au nombre de films présentés", regrette Sabine Zipci, déléguée générale de l'Association française du cinéma d'animation. Et au palmarès ? Quatre prix, mais aucune Palme d'or : La Boîte à musique de Walt Disney, Grand prix international du dessin animé en 1946, Dumbo, de Ben Sharpsteen, Grand Prix du dessin animé en 1947, La Planète sauvage, de René Laloux, Prix spécial en 1973, et enfin Persépolis, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, Prix du jury ex aequo en 2007.
Sur la plage relégués
Cette 76e édition a laissé une petite place à quelques films d'animation. Robot Dreams de Pablo Berger a été proposé en Séance spéciale, Linda veut du poulet ! de Chiara Malta et Sébastien Laudenbach a été présenté à l'Acid. La projection de Mars Express, de Jérémie Périn, elle, a eu lieu au Cinéma de la Plage, qui, comme le nom l'indique, se déroule les pieds dans le sable. Le même lieu dans lequel s'était tenue, en 2021, la séance du film de Patrick Imbert, Le Sommet des dieux.
"C'est bizarre de voir qu'on a fait un boulot monstre sur le son et l'image, et d'être projeté sur une plage, loin des conditions optimales d'une salle de cinéma, sourit le réalisateur. L'ingénieur du son était un peu déçu, mais on a essayé de dédramatiser et de se consoler en se disant qu'on touchait plus de gens parce que c'était ouvert à tout le monde." La projection en plein air a pourtant tout l'air d'un placard, pour certains.
"J'espère que la plage ne va pas devenir le lieu de l'animation à Cannes. Cela semble signifier : 'il faut le montrer, mais on va le caser où on peut.'"
Sabine Zipci, déléguée générale de l'Association française du cinéma d'animation (Afca)à franceinfo
S'il reconnaissait, dès 2012, dans Paris Match, ne pas être grand connaisseur de l'animation, Thierry Frémaux assurait considérer "que par son importance dans la création contemporaine, [le cinéma d'animation] ne pouvait être absent de Cannes (...), lit de tous les territoires de la création cinématographique".
"Il a pleinement sa place sur la Croisette, dans n'importe quel festival, confirme à franceinfo Mickaël Marin, directeur du Festival du film d'animation d'Annecy, mais il ne la trouve pas vraiment à la hauteur de ce que les gens du milieu espèrent." Il cite notamment le traitement médiatique qui a suivi le Grand Prix de la Semaine de la critique en 2019, obtenu par J'ai perdu mon corps de Jérémy Clapin. "Un tel prix pour un film en prise de vue réelle aurait eu un retentissement plus important", avance-t-il.
L'animation, pas assez glamour ?
Pour autant, l'animation se porte très bien, merci pour elle. Le Festival d'Annecy, dont la prochaine édition se tient du 11 au 17 juin, est le deuxième plus gros événement français du septième art, derrière vous savez quoi. Le récent carton de Super Mario Bros, le film illustre le fait, s'il le fallait, que ce cinéma attire le public dans les salles. Mais ce succès peut être à double tranchant. "On est sur une forme de plateau où le dessin animé est cantonné aux plus jeunes dans l'esprit du grand public", éclaire Sabine Zipci. Les professionnels du secteur se battent contre cette "vision anachronique", observe Mickaël Marin.
Autre souci, l'incarnation. Cannes se nourrit de strass et de paillettes, pas forcément typiques du dessin animé. "Il y a un effet 'star-system' que ne possède pas l'animation", reconnaît Patrick Imbert. Pourtant, les comédiens de voix mériteraient aussi la lumière. "Ils sont souvent mésestimés, alors que ce rôle demande une technique irréprochable", note Francis Canitrot, venu présenter en compétition, dans la catégorie court-métrage, Le Sexe de ma mère.
Enfin, faire un film d'animation coûte cher et prend du temps. Plus qu'un film en prise de vue réelle. Lorsque Thierry Frémaux et son équipe s'enferment pour faire leur sélection, les options pour l'animation sont donc moins nombreuses, au milieu d'une offre de films pléthoriques, qu'il faudra trier sur le volet. Mickaël Marin est bien placé pour en parler. Avec son équipe, il a dû visionner 3 300 œuvres (longs, courts, séries) l'an dernier pour son festival d'animation, pour n'en retenir que 200. "Pour Annecy et pour Cannes, comme en équipe de France de football, il y a 60 millions de sélectionneurs, note le directeur du festival haut-savoyard. La production de longs-métrages en prise de vue réelle est énorme, le choix est déjà très, très difficile." La dimension subjective et la qualité des œuvres présentées influent également. Patrick Imbert y voit un défi : "C'est mon côté exigeant, mais, même si je déplore l'absence de films d'animation en compétition, je me dis aussi qu'on n'a qu'à faire des films encore meilleurs pour être incontournables."
A la recherche du rayonnement
Tout n'est pourtant pas à jeter. Exemple, "le court-métrage d'animation a trouvé sa place" sur la Croisette, observe Sabine Zipci. Un sentiment partagé par le réalisateur Francis Canitrot : "Je n'ai pas la sensation d'être sous-considéré, je me sens traité d'égal à égal avec les films réalisés en prise de vue réelle." On comptait quatre courts-métrages d'animation cette année sur les 11 en compétition.
L'appétit pour les planches à dessin d'un Alexandre Astier, qui a réalisé deux Astérix en animation 3D, ou d'un Michel Hazanavicius, qui prépare pour l'année prochaine l'adaptation en 2D d'un conte de Jean-Claude Grumberg publié en 2019, La Plus Précieuse des marchandises, prouve, d'après Sabine Zipci, que l'animation est sur la bonne voie. "La nouvelle génération de spectateurs n'a plus peur de voir de l'animation, c'est une période de transition dans laquelle il faut batailler, explique la déléguée générale de l'Afca. Mais s'il y a du mieux, c'est aussi que le secteur s'est structuré."
Des initiatives existent : un partenariat entre le Festival d'Annecy et celui de Cannes a été créé en 2016. L'opération "Annecy goes to Cannes" donne l'opportunité à une sélection de films en cours de production de se faire repérer au Marché du film. Car derrière la Croisette et ses paillettes, le festival est le lieu de toutes les négociations. Si, pour Patrick Imbert, la présence cannoise de son film "a pu faire plaisir à sa maman", elle n'a pas changé grand-chose à la trajectoire du Sommet des dieux, bien reçu par la critique à sa sortie en septembre 2021. En revanche, Francis Canitrot, lui, en mesure l'impact.
"Le rayonnement de Cannes fait que j'ai déjà des dizaines de demandes d'autres festivals et une d'achat par une chaîne de télévision."
Francis Canitrot, réalisateur du court-métrage d'animation "Le Sexe de ma mère"à franceinfo
La marque "Cannes" apporte une légitimité et un écrin. Raison pour laquelle Pixar y revient régulièrement pour présenter ses dernières créations. "La clôture ou l'ouverture, c'est toujours une excellente exposition pour un film, mais je rêve que ce soit un film d'animation indépendant qui le fasse", espère Mickaël Marin.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.