Festival de Cannes 2024. Le film "Les Damnés" de Roberto Minervini, récompensé du prix "Meilleure réalisation" à Un certain regard
Présenté dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes Les damnés ("The Damned") est le premier film de fiction du documentariste italien Roberto Minervini. Le film et son équipe ont été aplaudis par un public debout pendant plusieurs minutes après la projection officielle, le jeudi 16 mai à Cannes. Les damnés sortira dans les salles en France début 2025.
1862 : Une troupe de soldats de l’Union est envoyée en éclaireur dans les terres encore sauvages du Montana. Ce petit groupe d'hommes chemine dans une nature belle et indomptée, de bivouac en bivouac, se préparant à tout moment à l'assaut d'un ennemi invisible.
Nettoyage des armes, soin des chevaux, tours de garde, corvée de bois, et jeux de cartes sont leurs principales occupations. Le temps s'étire dans le silence, et dans l'ennui pour cette poignée de soldats dépêchés sur une mission dont ils comprennent à peine le sens, et dont la principale occupation consiste à attendre un ennemi qui n'arrive jamais, ou presque.
Le réalisateur concentre dans un film lancinant tout ce qui constitue le mythe de l'Amérique : grands espaces, conquête de nouveaux territoires par les armes, foi en Dieu. Mais il le fait à rebours de la mystique cinématographique américaine, avec une mise en scène résolument anti-spectaculaire, dans un rythme d'une lenteur étouffante se focalisant sur les petits détails du quotidien. L'atmosphère pesante, chargée d'un mélange de tension et d'ennui, évoque Le désert des tartares, de Dino Buzzati.
Mise en scène à l'os
Pas d'héroïsme, pas de bons et pas de méchants (on imagine que le quotidien de l'ennemi, en miroir invisible, est à peu de chose près identique à celui de notre troupe), mais seulement la banalité de la guerre, son horreur nichée dans un temps qui n'en finit pas de s'étirer, dans la rugosité d'un milieu naturel hostile, dans la rudesse du climat, dans l'inconfort des campements, tout cela ajouté à la menace constante de cet ennemi d'autant plus effrayant qu'il reste invisible. Une seule scène d'action -il n'y en aura pas d'autres- est l'attaque soudaine et meurtrière des ennemis, qui suffit à résumer la violence des combats, la peur, le sang, la douleur et la tristesse quand on compte les morts.
Réflexion sur la guerre, qui resonne furieusement avec les tensions et les divisions qui préoccupent aujourd'hui à la veille des élections avec la société américaine, ce film est aussi un hymne à la nature, et aux hommes, libérés par l'imminence de la mort des injonctions et des codes d'une masculinité stéréotypée, et qui s'autorisent à exprimer leurs peurs, leur douceur, leur vérité, autrement dit leur humanité profonde, sans honte.
Peu à peu, ces hommes qui avaient une conviction, une bonne raison d'être là (la foi en Dieu, la conviction que l'on n'a pas le droit "d'enchaîner des êtres humains"), perdent le sens de cette guerre qui s'enlise jusqu'à l'épuisement. "Qu'est-ce qu'être un homme ?" interroge un jeune soldat. Une fois la jeunesse passée, la colère rentrée, et le pardon à soi-même et aux autres accordé,"alors là tu deviens vraiment un homme", lui répond son aîné.
Les Damnés comporte très peu de dialogues, pour la plupart consacrés à la quête d'un sens à cette guerre pour les protagonistes, peu de musique aussi, posée sur un son d'ambiance pointilliste et immersif. L'image est travaillée souvent en focale courte, en plans serrés, légèrement sous saturée, qui évoque le noir et banc légèrement recolorisé des images de la guerre 14, et qui imprime une tonalité froide en parfaite adéquation avec le propos du film. "J'ai adopté certains codes, pour être clairement dans le genre film de guerre", explique le réalisateur dans un entretien à franceinfo Culture.
Premier essai en fiction transformé par ce talentueux documentariste, qui dans une grande cohérence d'écriture cinématographique tient son cap de bout en bout, avec une mise en scène à l'os, parfaitement soignée, qui ramène la guerre à ce qu'elle est : une absurdité mortifère, sans héros et sans gloire. Le jury d'Un Certain regard, présidé par le Québécois Xavier Dolan, a récompensé ex aequo pour "Meilleure réalisation" Roberto Minerveni pour Les Damnés et Rungano Nyoni pour On Becoming a Guinea Fowl.
La Fiche
Genre : Historique, Guerre
Réalisateur : Roberto Minervini
Acteurs : Jeremiah Knupp, René W. Solomon, Cuyler Ballenger
Pays : Belgique, Italie, U.S.A., Canada
Durée : 1h 28min
Sortie : début 2025
Distributeur : Les films du Losange
Synopsis : Hiver 1862. Pendant la guerre de Sécession, l’armée des Etats-Unis envoie à l'Ouest une compagnie de volontaires pour effectuer une patrouille dans des régions inexplorées. Alors que leur mission change de cap, ils questionnent le sens de leur engagement.
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