Festival de Cannes 2024 : quel est le secret de Quentin Dupieux pour "travailler vite et bien" ?

Article rédigé par Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le réalisateur français Quentin Dupieux présente "Le Deuxième acte" en ouverture du Festival de Cannes, le 14 mai 2023. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
"Le Deuxième Acte", présenté hors compétition mais en ouverture sur la Croisette, est le troisième film du cinéaste à sortir dans les salles en moins d'un an. Depuis 2018, le prolifique Quentin Dupieux enchaîne les tournages en appliquant toujours la même méthode.

"Même Godard, certaines années, il en faisait quatre." Quand on l'interroge sur sa productivité impressionnante, Quentin Dupieux se défend, dans Le Parisien, d'être un ovni. Ses films le sont plus que sa méthode. Le cinéaste de 50 ans n'a pas fait aussi bien que son homologue de la Nouvelle Vague, mais Le Deuxième Acte, projeté en ouverture de la 77e édition du Festival de Cannes mardi 14 mai, est son troisième long-métrage à débouler dans les salles obscures en moins d'un an, après Daaaaaali !, sorti en février, et Yannick, apparu sur les écrans en août. "J'ai trouvé mon rythme dans une industrie qui est un petit peu lente à mon goût", analyse le réalisateur dans Le Monde.

Depuis Au Poste !, sorti en 2018, Quentin Dupieux a enchaîné les tournages : huit en six ans. Car l'homme n'aime pas trop perdre son temps. "Ce qu'on nous propose, c'est d'écrire et réécrire un scénario pendant un an ou deux, pour ensuite le préparer, le tourner, le monter, attendre un certain laps de temps avant de le vendre et, au final, passer quatre ans sur un projet. Je le comprends, mais moi, dans cette configuration, je me lasse, non pas de mes produits, mais de mon énergie", détaille-t-il dans Le Monde.

"Il fait sa propre lumière"

Ce désir de rapidité n'est pas nouveau. Il l'accompagne depuis ses débuts dans la musique sous le nom de Mr. Oizo. "Quand je fais un morceau que j'estime bon, c'est un moment qui prend une heure grand maximum", raconte-t-il dans un entretien à l'agence de communication Racine. Lorsqu'il ambitionne de passer derrière une caméra, il entend le faire à son rythme. "Il n'arrivait pas à faire produire un film et il avait un besoin de tourner. Il s'ennuie très, très vite. Il faut toujours qu'il se passe des choses", s'amuse son ami et collaborateur de longue date, Guillaume Le Braz, dans le documentaire Quentin Dupieux, filmer fait penser, diffusé sur Canal+.

Son expérience sur Steak avec Eric et Ramzy, en 2007, "réalisé dans les règles, avec un chef opérateur ami", retrace-t-il dans Télérama, lui fait prendre conscience du temps perdu en discussion avec son collaborateur, "au lieu de [se] consacrer aux comédiens". "Il fait sa propre lumière et se passe d'un chef opérateur depuis Rubber [son deuxième film, centré sur un pneu tueur en série]", assure le producteur Thomas Verhaeghe. Avec son frère Mathieu, ce dernier dirige la société Atelier de production, qui accompagne le réalisateur depuis Au Poste !. Il est donc aux premières loges de cette méthode "assez unique", qui repose d'abord sur un savoir-faire indéniable.

Sur un tournage, Quentin Dupieux cumule souvent quatre postes : scénariste, réalisateur, chef opérateur et monteur. "Il maîtrise les techniques de cinéma, il fabrique des films depuis très longtemps. Il ne laisse pas passer n'importe quoi. Et il n'y a pas un poste sur lequel il laisse faire quelqu'un à sa place", admet le producteur. 

"Sa rapidité n'enlève rien à la qualité, son expérience fait qu'il travaille vite et bien. Un jeune réalisateur ne pourrait pas enchaîner aussi facilement les films."

Thomas Verhaeghe, producteur

à franceinfo

Cette quadruple casquette lui permet de réduire les temps de préparation d'une scène et les temps d'attente entre chaque prise, pour le grand bonheur des acteurs, qui se bousculent sur son plateau. Benoît Poelvoorde, Jean Dujardin, Gilles Lellouche... "C'est une récréation pour eux, une façon de redécouvrir le cinéma dans sa légèreté", note le réalisateur dans Télérama. Gilles Lelouche n'a ainsi passé que 10 jours sur le tournage de Fumer fait tousser.

L'expérience a ravi Blanche Gardin : "Le fait que ce soit lui qui ait l'œil dans la caméra et qui dirige à la voix son chef électricien, ça supprime énormément de temps d'attente. Pour les acteurs, c'est génial", salue la comédienne dans Filmer fait penser. "L'inertie est assez fréquente sur tournage, donc les acteurs sont assez contents, les moments d'installations sont rares, on passe vite d'une scène à l'autre", abonde Thomas Verhaeghe. Mais le producteur affirme que les stars afflueraient aussi si les tournages étaient plus longs : "Ils éprouvent un vrai désir pour découvrir son univers, on n'a jamais trop de problèmes pour faire le casting de ses films."

"Il voulait un tournage très court"

Car il fait bon vivre sur un plateau de Quentin Dupieux, puisque les collaborateurs, comme les acteurs, reviennent régulièrement. Outre l'ingénieur du son Guillaume Le Braz, le réalisateur s'entoure régulièrement de sa femme, Joan Le Boru, cheffe décoratrice et directrice artistique, ou encore de Renaud Garnier, chef électricien. "Il y a quelque chose de très rassurant d'être avec les bonnes personnes qui pigent et qui s'adaptent tout de suite à sa manière de travailler", justifie Joan Le Boru dans le documentaire Canal+. Mais lorsqu'on débarque pour la première fois sur son plateau, les habitudes du réalisateur peuvent désarçonner.

Ainsi, à Renaud Garnier, pour Au Poste !, le réalisateur demande de remettre en cause tout ce qu'il sait, "d'oublier [ses] principes et [ses] habitudes" pour éclairer un plateau, afin qu'ils les "réécrivent" ensemble, raconte le chef électricien dans Filmer fait penser. Au siège du Parti communiste à Paris, où a été tourné le film, ils vont à peine toucher à la lumière artificielle du lieu. "On ne va pas changer tout ça, on va la garder et l'embellir", justifie le cinéaste. A ses acteurs, il ne demande très souvent que le texte écrit par ses soins. 

"Il laisse peu de place à l’improvisation, ses scénarios sont toujours très écrits, même si les acteurs et actrices sont de très bons improvisateurs, ils sont aussi d’excellents interprètes, très heureux d’avoir des partitions qui peuvent être jubilatoires."

Thomas Verhaege, producteur

à franceinfo

"J'ai du mal à dire le texte des autres. En général, je réécris beaucoup mes partitions dans les films, mais chez Quentin Dupieux, c'est tellement précis, qu'on a envie de ne rien changer", reconnaît Blanche Gardin. Il lui arrive aussi d'écrire du "sur-mesure" pour un acteur, comme ce fut le cas pour le rôle principal de Yannick, pensé pour Raphaël Quenard.

Cette comédie, son plus gros succès à ce jour avec plus de 450 000 entrées, a été tournée en six jours, avec un million d'euros de budget. "Quentin voulait aller vite avec un tournage très court", assure Thomas Verhaeghe. Et là encore le cinéaste aurait pu faire plus simple, selon ses dires. "On aurait pu le tourner avec des optiques moins onéreuses, des figurants amis. Vu la simplicité du dispositif, j'aurais pu encore dégrossir", explique-t-il dans Télérama.

"Il a son film en tête dès l'écriture"

Contrairement au personnage de Yannick, Quentin Dupieux refuse de prendre en otage les spectateurs avec ses films. "Je trouve ça extrêmement prétentieux et un peu chiant d'enfermer le public trop longtemps. Donc moi, j'aime bien couper mes films pour être plus accessible", avoue-t-il dans Le Point. "Je mets beaucoup de bonnes scènes à la poubelle ! J'ai peur de m'ennuyer, donc d'ennuyer les spectateurs", poursuit-il dans Le Journal du dimanche. Cette rapidité sur les tournages se traduit par des films "qu'on peut plus facilement caler dans une soirée ou lors d'une pause-déjeuner, qu'un film de trois heures pour lequel il faut davantage s'organiser", sourit Thomas Verhaeghe.

Résultat : depuis Au Poste !, aucun de ses huit films n'a excédé une durée de 1h20. "Ça fait ces espèces de formats très courts qui pour moi sont la perfection. C'est peut-être fainéant pour certains ou vide pour d'autres..." remarque-t-il dans Le Monde. L'exigence qu'il s'impose peut débuter très tôt sur le tournage. Pour Daaaaaali !, Pio Marmaï se souvient d'un Quentin Dupieux s'isolant dans une loge, peu après avoir fini de tourner une scène. Pourquoi ? Pour mieux penser au montage. "Il a son film en tête dès l'écriture. Une fois les prises tournées, il va régulièrement vérifier sur un ordinateur dans sa loge qu'il a ce qu'il faut", assure Thomas Verhaeghe.

"Je ne tourne que l'essentiel. C'est sur le fil. Il y a un côté risqué parce que ça veut dire que je fais confiance au monteur qui est en moi", assume Quentin Dupieux dans Filmer fait penser. "J'arrive à un stade où il ne me manque jamais rien au montage, mais en revanche, j'ai très peu de gras." Cette efficacité à faire son métier rapidement ne poursuit qu'un but : en faire toujours plus.

"Si on fait un film tous les quatre ans, on ne peut pas en faire beaucoup... Moi, j'ai envie d'en faire encore trente des films. C'est pour ça que je cavale."

Quentin Dupieux, réalisateur

dans "Le Monde"

Et cette envie de filmer n'est pas près de se calmer, assure-t-il dans les colonnes du Parisien : "Je suis comme un type qui adore le vélo et ne peut s'empêcher d'en faire, je pourrais faire trois films par an, ce serait fun ! Ce qui m'arrive aujourd'hui, je l'attends depuis longtemps." Le public, lui, ne devrait pas trop attendre avant de découvrir son nouveau projet.

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