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Festival de Cannes : l'édition 2020 annulée, découvrez 25 ans de films prestigieux passés à côté du palmarès (1)

Personne sur le tapis rouge cette année. Pour suppléer à ce rendez-vous annuel annulé, voici une sélection d’œuvres majeures reparties sans lauriers.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Des hotesses attendent avec un parapluie des invités sur le tapis rouge du Festival de Cannes en 2018. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Le Festival de Cannes 2020 connaîtra une forme "allégée", sans projections, ni tapis rouge et paillettes. Une sélection officielle sera toutefois annoncée en juin. Aujourd’hui nous devrions être à Cannes jusqu’au 23 mai. Pour combler ce manque, plutôt que revenir sur les Palmes d’or passées, nous vous proposons de revisiter des grands films plébiscités par la critique et le public, qui n’ont pas figuré dans les palmarès des 25 dernières années.

Cette sélection, toute subjective, revisite les précédents palmarès pour atteindre la vingtaine de films qui composent une compétition cannoise habituelle. Dans cette première salve, avant une deuxième d’ici à samedi, on trouve aussi bien Jim Jarmusch que Michel Hazanavicius, David Fincher ou Andreï Zvyagintsev, les frères Coen et Xavier Giannoli…

2018 : "Leto", grand film rock du dissident russe Kirill Serebrennikov

Magnifique sujet qu’a choisi Kirill Serebrennikov pour Leto, en revenant sur cet esprit libertaire qui guida l’avènement de la Perestroïka, et dont le rock fut un relais majeur dans l’ex-URSS des années 1980. Un souffle qui rappelle celui des années 60 aux Etats-Unis et de l’après 68 en France. C’est d'ailleurs la musique de cette époque qu’écoutent les fondateurs des premiers groupes rock russes : The Beatles, The Doors, T. Rex, David Bowie, Lou Reed, puis Talking Head ou Alan Vega… Ils donnent la musique du film, récompensée par Cannes Soundtrack, prix parallèle de la musique de films à Cannes.Sur ce beau sujet, Serebrennikov greffe une superbe mise en scène. Il choisit un format scope (écran large) en noir et blanc qu’il parsème d’éclats colorés pour donner de l'électricité à l’image. Leto, c’est aussi une histoire d’amour. Un amour conflictuel, comme c’est souvent le cas dans l’histoire du rock. Le film est également l’occasion de découvrir la scène rock russe, inconnue en France et d’une grande qualité. Un des meilleurs films de l’année 2018, qui avait fait alors l’unanimité de la critique.

2017 : "Le Redoutable", biopic déjanté sur Jean-Luc Godard

Célébré à Cannes, aux Oscars et aux Césars avec The Artist, et pour ses deux opus d'OSS 117 avec Jean Dujardin, Michel Hazanavicius était pour la troisième fois en compétition à Cannes en 2017, avec Le Redoudable. Louis Garrel y interprète Jean-Luc Godard à un moment charnière de sa vie d’homme et de cinéaste, lors sa "période Mao". Un drôle de biopic décalé.Le film n’a pas fait l’unanimité, et n’a pas rencontré son public, certes, mais force est de reconnaître que le réalisateur s’attaquait à un sujet délicat avec pertinence. Hazanavicius est également l'auteur du scénario de cette adaptation d’Un an après d’Anne Wiazemsky, deuxième épouse de Godard, qui qualifie Le Redoutable de film "fidèle aux événements". Elle y raconte la vie de leur couple, à la ville comme au cinéma, de 1967 à 1969, avec comme point d’orgue mai 68. Sur un sujet qui se prêtait à tous les écueils, Michel Hazanavicius s’en tire avec tous les honneurs.

2014 : "Léviathan", le chef-d’œuvre du 67e Festival

Prix du meilleur scénario annoncé du bout des lèvres en 2014, Léviathan, du Russe Andreï Zvyagintsev, avait coupé le souffle à toute la presse, tant elle ne s'attendait pas à voir un film d'une telle puissance. Scénario, mise en scène, image, musique, acteurs, dramaturgie, tout participe à l’accomplissement majeur qu’est ce film, un des plus aboutis des 25 dernières années. Zvyagintsev confirmera d’ailleurs cette incomparable réussite avec Faute d’amour, Prix du jury en 2017.Dès les premiers plans l'envoûtement opère. Avec cette baie de la mer de Barents, au nord de la Russie, sur les cordes profondes de Philip Glass. La suite visualise une aube opaline sur un paysage chaotique. A l'image d'une Russie gangrénée par la corruption, sujet du film. A travers l'histoire d’un garagiste exproprié par une municipalité mafieuse, c'est tout un pays que stigmatise Andreï Zvyagintsev. Mais combien d'autres ? Et au-delà, la condition humaine mise à la solde d'Etats qui n'en ont plus que le nom. Cette thèse pessimiste n'empêche pas un humour ravageur, notamment lors d’une fête d'anniversaire d'anthologie. Indispensable.

2013 : "Only Lovers Left Alive", film de vampires rock, romantiques et existentialistes

Jim Jarmusch réalise un film de vampires contemporains d’une grande beauté visuelle, habité de personnages attachants et envoûtants. La musique, thème majeur du film, allie luth et guitare électrique dans une transe irrésistible, à l'image des "grands nocturnes" intemporels qui le hantent de Detroit à Tanger. L'apparition de John Hurt en Christopher Marlowe, poète et dramaturge du XVIe siècle, est fulgurante. Aussi, Only Lovers Left Alive pouvait-il prétendre au Prix de la mise en scène de la 66e édition cannoise qui l'a ignoré.Habité d’un humour nonchalant et plein de grâce, Only Lovers Left Alive nous plonge dans une nuit immaculée. Tilda Swinton est d’une beauté lumineuse, diaphane, presque transparente, alors que Tom Hiddleston, dandy ténébreux, personnifie le romantisme noir. Complémentaires, à l’image de leurs noms, Adam et Eve, ils incarnent un couple idéal qui se suffit à lui-même, tout en ayant un besoin incompressible des autres. Ils sont comme l’embryon d’une humanité régénérée. Poétique, politique, drôle, rock n’roll, Only Lovers Left Alive est avant tout un hymne à la vie. Car comme dit le titre, seuls les amoureux resteront vivants.

2011 : "La Piel que habito", Almodovar filme un thriller transgenre

Même si les thèmes majeurs du cinéma de Pedro Almodovar se retrouvent dans La Piel que habito - Prix de la contribution artistique en 2011 - reste à part dans sa filmographie. Cette récompense dite "technique", n’est pas à la hauteur. Film de genre, adapté du roman Mygale de Thierry Jonquet, c’est un thriller au sujet ambigu, comme souvent chez Almodovar. Un chirurgien esthétique, perturbé par la disparition de son épouse, pratique des expériences secrètes, qui le mènent à changer de sexe l’amant de sa fille. En 2011, le transgenre n’était guère à l’ordre du jour. Si La mise en scène et en images, la temporalité tout en flash-backs, sont sophistiquées, le scénario est tout en référence à la culture populaire. On la retrouve dans des citations assumées à L’Horrible Docteur Orloff (1962) de son compatriote Jesus Franco, lui-même très inspiré par Les Yeux sans visages (1960) du grand Georges Franju. La récompense technique semble bien faible pour un film, beau, certes, comme tous les Almodovar, mais qui aurait mérité au moins le Prix de la mise en scène.

2009 : "A l’Origine", la qualité française au rendez-vous

En 2009, A l’Origine avait fait son effet sur la critique, et le film de Xavier Giannoli, pour la première fois en compétition, rencontrait son public, notamment grâce à ses acteurs inspirés, Emmanuelle Devos et François Cluzet. Son sujet est tiré d’une histoire vraie. Celle d’un escroc au grand cœur qui entreprend à sa sortie de prison de reprendre le chantier abandonné d’une autoroute, pour empocher des dividendes. Mais touché par l’impact social de son initiative, et amoureux de la maire locale, il s’embourbe dans son entreprise…Xavier Giannoli a depuis réalisé la triomphale comédie Marguerite, aussi inspirée d'une histoire vraie. Avec A l’Origine, il adaptait un fait divers atypique aux résonnances sociales et sentimentales, où sobriété et lyrisme s’imbriquent dans une belle harmonie dramatique. Ses deux acteurs y sont pour beaucoup et auraient mérité un prix. Giannoli filme également avec grandeur le chantier colossal qui, la nuit, évoque un film de science-fiction. A (re)découvrir.

2009 : "Enter the Void", la métaphysique de la ville

Restons en 2009 avec Enter the Void, de Gaspar Noé (Seul contre tous, Irréversible, Love, Climax), régulièrement à Cannes où, sans jamais recevoir un prix, il créé à chaque fois le buzz, sinon le scandale de l’année. Noé est un des rares représentants d’une nouvelle vague française au cinéma. Un trublion qui dérange. Enter The Void est conçu comme un plan séquence de 2h30, où un jeune dealer français à Tokyo vient de prendre du LSD, et est tué lors d’une rixe. Son âme plane alors au-dessus de la capitale nippone.Sujet fou, planant, Enter the Void est non narratif, expérimental, habité d'images inédites. Noé cadre comme personne. La génération électro a adoré, pour les autres, il faut s’accrocher, mais le voyage vaut le détour. L’audace, la maîtrise technique, le propos, font de Enter the Void un film majeur du début du XXIe siècle. Mais on peut dire la même chose de tous les films de Gaspar Noé… Révolutionnaire.

2008 : "Valse avec Bachir", l’invention du documentaire animé

En 2008, le réalisateur israélien Ari Folman inventait un nouveau genre avec Valse avec Bachir : le film documentaire d’animation. C’était le seconde fois qu’un long métrage animé était en compétition à Cannes, après La Planète sauvage de René Laloux et Roland Topor en 1973. La science-fiction laisse place à une histoire autobiographique. Le cinéaste confie son traumatisme dû à son enrôlement dans la guerre opposant Israël au Liban, qui mena aux massacres de Sabra et Chatila en 1982.Au prime abord, animation ne fait pas bon ménage avec documentaire. Ari Folman prouve le contraire, dans une mise en image réaliste, où l’onirisme a son mot à dire dans l’introspection de la psyché et la représentation de l’Histoire. Reconstitution de l’invasion israélienne, insouciance des soldats et combats s’égrènent au fil de témoignages que Ari recueille dans son enquête pour recouvrer la mémoire. Le film est à l’origine d’une approche novatrice et fructueuse qui fera école.

2007 : "No Country for Old Men" : un des meilleurs films des frères Coen

Les frères Coen se sont fait une spécialité du thriller rural aux Etats-Unis, en s’attachant à décrire les frasques de personnages sans relief projetés dans des circonstances exceptionnelles. En 2007, No Country for Old Men rappelle leur chef-d’œuvre Fargo de 1996, situé dans les neiges du Dakota. Il se projettent désormais à la frontière entre le Texas et le Mexique, ce qui donne à leur film des airs de western. A priori, pas de rapport : le point de vue de la police est remplacé par celui d’un chômeur qui découvre une valise de billets, suite à une tuerie entre cartels de la drogue.Plus d’un point commun existent pourtant entre les deux films : leur cadre hors les villes, leurs protagonistes sans histoire, leurs tueurs déjantés, ici un tueur à gages qui abat ses victimes avec une arme à air comprimé. Il est interprété par un Javier Bardem taciturne et irrésistible, qui trouve dans son rôle la consécration. Le film, d'après Cormac McCarthy, ouvre sur une réflexion nostalgique à l’égard de valeurs perdus, où les codes d'honneur ont laissé place au mercantilisme, au cynisme et à la violence aveugle.

2007 : "Zodiac", David Fincher sublime les années 1970

Révélé en 1995 par Seven, après le mal aimé Alien 3, pourtant le meilleur opus de la franchise après le film de Ridley Scott, David Fincher est devenu un des cinéastes les plus talentueux d’Hollywood. Il retâte du serial killer après Seven, dans Zodiac, en s’attaquant à un des plus célèbres cas aux Etats-Unis. A la tête d’un nombre impressionnant de victimes dans les années 1960-70, le tueur provoquait la police et la presse dans ses nombreux courriers codés, en signant du nom énigmatique de "Zodiac". L’affaire, jamais dénouée, reste irrésolue. 

Fincher adapte l’ouvrage de Robert Graysmith qui retrace l’enquête menée par le chroniqueur judiciaire Paul Avery (Robert Downey Jr.) et le cartooniste Robert Graysmith (Jake Gyllenhaal), spécialiste en rébus, du San Francisco Chronicle. Ce duo iconoclaste fonctionne à merveille dans une ambiance de rédaction qui rappelle Les Hommes du président de Alan J. Pakula, sorti en 1976, sur l’affaire du Watergate. Même duo de journalistes, même énigme, même époque, même ruche de la rédaction, même sobriété de la mise en scène… Fincher salue le cinéma qui a forgé sa cinéphilie avec tact, tout en le revigorant. Du grand art.

Cette première sélection sera suivie d’ici à samedi 23 mai, date prévue de la fin du 73e Festival de Cannes, d’une deuxième salve, avec Nobody Knows de Hirokazu Kore-eda, The Yards de James Gray, Ridicule de Patrice Leconte…

Bonus : "La grande Bouffe", film "physiologique", selon Ferreri

Pourquoi ne pas revenir sur un des longs métrages qui a fait le plus parler de lui sur la Croisette, son plus gros scandale : La Grande Bouffe (Italie / France) de Marco Ferreri, avec Marcello Mastroianni, Ugo Tognazzi, Michel Piccoli qui vient de nous quitter, Philippe Noiret et Andréa Ferréol ? Quand le film est projeté en compétition à Cannes en 1973, le public est outré de voir d'aussi grands acteurs se prêter à une telle orgie de nourriture et de sexe.

La Grande bouffe ne faisait pas l'unanimité à l'époque, mais obtenait le prix FIPRESCI (prix de la critique internationale) du festival, ex-aequo avec La Maman et la putain de Jean Eustache, film également passionnant et polémique. La Grande bouffe a été largement réhabilité depuis mais peut encore choquer.

Le sujet a de quoi perturber : quatre grands bourgeois décident de se retrouver dans un hôtel particulier de la banlieue parisienne pour se suicider ensemble en mangeant à outrance. Ils accueillent une maîtresse d'école en mal de reconnaissance, et quelques prostituées.

Ferreri déclarait en 1973 vouloir dénoncer la surconsommation dans les sociétés occidentales. Il ne voulait pas réaliser un film "philosophique", mais "physiologique". Dont acte.

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