Cannes 2022 : la restauration flamboyante de "La Maman et la putain" de Jean Eustache crée l’événement de Cannes Classics
Invisible depuis des lustres, le film avait provoqué l'un des plus grands scandales du festival en 1973.
Dédiée aux films de patrimoine restaurés, la sélection Cannes Classics a créé l’événement mardi, jour de la cérémonie d’ouverture, avec la projection de La Maman et la putain de Jean Eustache, de 1973. Le film remportait alors un Grand prix spécial du jury, malgré l’accueil de festivaliers partagés entre enthousiasme et indignation. Avec Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont et Françoise Lebrun, le film se voyait aussi décerner la palme du scandale. Il ressortira en salles le 8 juin 2022.
Retrouvailles émotionnelles
Une effervescence palpable régnait dans la salle Debussy du Palais des festivals, pleine à craquer pour la première mondiale de la version restaurée 4K de La Maman et la putain. Un public où se mélangeaient spectateurs qui avaient vu le film à l’époque, parfois plusieurs fois, et une jeunesse venue découvrir une œuvre iconique de la cinéphilie. La présence sur scène de Françoise Lebrun, actrice principale du film, puis de Jean-Pierre Léaud à l’issue de la projection de 3h40, furent des moments de vive émotion salués par des applaudissement nourris.
À Paris, Alexandre brille par son oisiveté et vit au crochet de Marie tout en multipliant les conquêtes qu’elle supporte tant bien que mal. Plaqué par Gilberte, son autre maîtresse, le bohème séduit Véronika, interne à l’hôpital Laennec, qui prône une liberté sexuelle en s’offrant à qui la désire. Alexandre s’en éprend et la présente à Marie qui va progressivement l’accepter dans son ménage vacillant.
Libertaire
Rejeton tardif de la Nouvelle Vague, avec son format carré, son noir et blanc somptueux éclairé par Pierre Lhomme, ses décors naturels, un son en prise directe, et l’icône Jean-Pierre Léaud révélé par François Truffaut, La Maman et la putain est immédiatement devenu un film culte. Jean Eustache captait alors l’air du temps, une société en pleine mutation, quatre ans après les événements de 1968. Le film exposait ce qui allait devenir, près de cinquante ans plus tard, des enjeux "sociétaux" contemporains, une terminologie qui n’existait pas à l’époque, preuve de sa pertinence, quasi prospectiviste.
Le personnage d’Alexandre se laisse bercer par une nonchalance peuplée d’amis aussi oisifs que lui qui, au prétexte de leur individualisme, défendent une vision de la femme arriérée, issue du XIXe siècle. Un conservatisme auquel Marie et surtout Véronika répondent par une ouverture d’esprit caractéristique des années 70 et qui devait régresser dès les années 80 jusqu’à aujourd’hui.
Le scandale de 1973 visait surtout les dialogues très crus du film, inusités à l’époque, où le sexe est abordé sans fioriture. La nudité alors balbutiante à l’écran, et la constitution d’un couple à trois dénué de toute morale et contraire à l’institution du mariage faisait le reste. La Maman et la putain peut alors être vu comme le manifeste d’une révolution des mentalités, au cœur desquelles la sexualité et les rapports entre hommes et femmes sont remis en cause par la nouvelle génération. Une problématique qui trouve un écho très actuel aujourd’hui, avec #MeToo et le mouvement LGBT qui renouent avec les revendications féministes et réformatrices des années 70. La modernité s’incarnant dans des œuvres pérennes en avance sur leur temps, La Maman et la putain en est un des plus évidents fers de lance. Essentiel.
La fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Jean Eustache
Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Françoise Lebrun, Bernadette Lafont
Pays : France
Durée : 3h40
Sortie : 8 juin 2022
Distributeur : Wild Bunch
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.