Palme d'or : polémiques sur le tournage de "La Vie d'Adèle" et l'attitude du réalisateur
Les ouvriers et techniciens ayant travaillé pour le film ont dénoncé un tournage particulièrement difficile. Le syndicat Spiac-CGT parle même de "harcèlement moral".
La Palme d'or, la joie, les larmes. Le film La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche a remporté, dimanche 26 mai, la récompense suprême du festival de Cannes. Le film, applaudi par la critique, a recueilli les suffrages du jury présidé par Steven Spielberg, lequel a salué la performance de "trois artistes : Adèle, Léa et Abdellatif Kechiche". Mais les récentes critiques des techniciens présents sur le tournage et de l'auteure de la BD qui a inspiré le film viennent assombrir (un peu) le tableau.
Les conditions de travail épinglées
Quelques heures avant la projection du film, jeudi 23 mai, le syndicat des professionnels de l'industrie de l'audiovisuel et du cinéma, le Spiac-CGT, a relayé des plaintes des ouvriers et techniciens du Nord, où a été tourné le film. L'organisation dénonce des conditions de tournage, proche du "harcèlement moral", rapporte Le Monde.
Le syndicat pointe ainsi des "journées de travail de 16 heures, déclarées 8" ou encore des différences de salaires entre les promesses et la fiche de paie. Les horaires de travail sont également dénoncés par les techniciens qui ont saisi le syndicat. Le Spiac critique l'emploi du temps "anarchique ou modifié au dernier moment". "Les gens ne savaient pas le vendredi soir s'ils allaient travailler ou non le samedi et le dimanche suivant", explique le syndicat.
Dans un autre article du Monde, certains employés racontent comment le tournage a empiété sur leur vie privée. Ils se plaignent notamment d'e-mails ou de SMS arrivés dans la nuit ou pendant les jours de repos pour leur annoncer les heures de reprise. Et si ces méthodes ne sont pas l'apanage de ce seul film, un technicien lâche : "Les choses sont allées beaucoup trop loin." Un blog lancé sur la plate-forme Tumblr ironise sur le sujet en publiant des images animées accompagnés d'un commentaire acide, comme "quand on demande aux techniciens de travailler gratuitement le samedi", pour l'image ci-dessous.
Un tournage long pour un film à rallonge
Déjà fatigués par les conditions de travail, les techniciens et ouvriers présents sur le tournage ont aussi été éprouvés par un tournage long, très long. Initialement prévu pour deux mois et demi, il s'est éternisé. Au total, cinq mois ont été nécessaires.
Mais "pour faire du Kechiche, il faut être là à 100%", raconte un technicien cité par le Monde. "Sur cinq mois, c'est pas tenable." Si bien que certains ouvriers et techniciens ont abandonné en cours de route.
Ces cinq mois d'intense production se ressentent sur le film. "Le montage fut lui-même monstrueux avec ses 750 heures de rush", raconte Libération. "Abdellatif Kechiche semble avoir l'intention de retourner en salle de montage et (...) il serait déjà fortement question de réduire ce torrent" dont la version présentée à Cannes dure 2h50.
Abdellatif Kechiche, un réalisateur autoritaire
Tout cela serait peut-être mieux passé si l'équipe n'avait rien trouvé à redire au réalisateur. Or, Abdellatif Kechiche cristallise les critiques. "Il est connu pour être un tyran sur les tournages", résume Libération. En tant que coproducteur du film, "il avait tous les pouvoirs", témoigne un technicien dans Le Monde.
Ses méthodes restent en travers de la gorge de son équipe. Ainsi, cette fois où il a envoyé une personne courir chercher une montre pour finalement changer d'avis. Un autre jour, alors que tout le monde s'apprêtait à filmer, "Kechiche s'est assis à table, dans le décor de la cuisine, avec Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos. Il a demandé à l'un de ses proches d'aller chercher des huîtres et du champagne. Et ils se sont mis à manger. Nous autres, on attendait."
Un autre avance : "Je pense que Kechiche a un immense respect pour les comédiens. Mais pas pour les techniciens." Pourtant, les relations avec les deux actrices, Léa Seydoux et Adèle Exarchopoulos, n'ont pas été si faciles, d'après Libération qui cite les innombrables "crises de nerfs".
L'inspiratrice du film regrette l'attitude du réalisateur
L'auteure de la BD Le bleu est une couleur chaude, qui a inspiré La vie d'Adèle, a, elle aussi, critiqué l'attitude du réalisateur.
Sur son blog, Julie Maroh reconnaît que "cette adaptation est une autre version / vision / réalité d’une même histoire" et salue "un coup de maître". Elle se dit "comblée, ébahie, reconnaissante du cours des évènements", et explique avoir "réalisé que c’était la première fois dans l’histoire du cinéma qu’une bande dessinée avait inspiré un film Palme d’Or, et cette idée me laisse pétrifiée. C’est beaucoup à porter".
Mais elle déplore l'attitude du réalisateur : "Je tiens à remercier tous ceux qui se sont montrés étonnés, choqués, écœurés que Kechiche n’ait pas eu un mot pour moi à la réception de cette Palme." Elle poursuit : "Je ne doute pas qu’il avait de bonnes raisons de ne pas le faire, tout comme il en avait certainement de ne pas me rendre visible sur le tapis rouge à Cannes alors que j’avais traversé la France pour me joindre à eux, de ne pas me recevoir – même une heure – sur le tournage du film, de n’avoir délégué personne pour me tenir informée du déroulement de la prod’ entre juin 2012 et avril 2013, ou pour n’avoir jamais répondu à mes messages depuis 2011". Elle conclut toutefois qu'elle "n’en garde pas d’amertume".
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