Festival de Gérardmer : le cinéma fantastique français face à la domination internationale
Le fantastique est assez rare dans le cinéma français. Le plus important festival horrifique européen présente deux films en compétition qui auront fort à faire face à la concurrence.
Deux films français à Gérardmer : Teddy, un film de loup-garou au second degré qui bénéficie du label Cannes 2020 et La Nuée, film apocalyptique écologique, sélectionné dans la section Semaine de la critique. Caractéristiques de l’approche française du fantastique, ils surfent sur des sujets classiques au genre comme le constate le président du jury du festival, Bertrand Bonello. En parallèle, le canadien Come True, projeté hors compétition, témoigne d’une inventivité et d’une exigence remarquables dans la mise en scène.
"Teddy" : un loup-garou des Pyrénées aux résonances sociétales
Alors que la réintroduction du loup en France fait débat, Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma, déjà cosignataires de Willy 1er, introduisent un loup-garou dans les Pyrénées. A 19 ans, Teddy frôle l’asociabilité, même si sa petite amie l’aime sincèrement. Blessé par un animal mystérieux, le jeune homme est pris de pulsions animales et meurtrières qui vont dégénérer en carnage. Si l’intrigue semble dramatique, le traitement transpire le second degré par l’humour et les nombreuses références aux classiques du genre : une tendance française du fantastique, comme si le pays de Descartes ne pouvait pas le prendre au sérieux.
Le mélange des genres on le retrouve aussi dans le thème sociétal du film, où domine la nature psychologique du personnage de Teddy. Le loup-garou qu’il devient est une parabole poussé à l'extrême de son décalage par rapport à la communauté. Si le parti pris est respectable, la mise en scène ne suit pas. Lent dans l’installation de l’intrigue, avec des interprètes peu convaincants, il faut attendre la dernière demi-heure pour que le film décolle dans le gore d’une façon intéressante qui rappelle le célèbre Zombie (1978) de Georges A. Romero. Assez maladroit dans l’ensemble, Teddy reflète cette approche brouillonne des réalisateurs français du fantastique, malgré leur connaissance du genre.
"La Nuée", film apocalyptique écologique et "auteuriste"
Premier film de Just Phillippo, La Nuée fait preuve d’originalité dans son sujet, où une jeune mère célibataire élève des criquets destinés à l’industrie agro-alimentaire. Suite à une manipulation génétique, les sauterelles mutantes vont se retourner contre leur créatrice. Reposant, lui aussi, sur un sujet classique de la science-fiction (Les Monstres attaquent la ville, Tarantula, Phase IV, Les insectes de feu, Frog), La Nué traite de préoccupations écologiques et alimentaires très contemporaines.
La Nué pourrait être dans une certaine mesure la réponse française au remarquable Take Shelter (2011) de Jeff Nichols sur le changement climatique. Louable entreprise, mais parasitée par la sous-intrigue des rapports qu’entretient cette mère indépendante et sa fille de huit ans. Elle renvoie à une thématique majeure du cinéma d’auteur, dont Maurice Pialat et Jacques Doillon seraient les fers de lance. Le mélange des genres (encore), louable lui aussi, ne prend pas. Comme si Just Phillippo subordonnait son sujet de "fantaisie" par un autre plus noble. Si la jeune femme élève en parallèle des sauterelles et sa fille, toutes en mutation, ce rapprochement n’est pas tout à fait abouti, alors qu’il est porteur d’une dramaturgie puissante.
"Comme True", une réflexion originale sur la mort
Du canadien Anthony Scott Burns, qui signe son premier film, Come True relève du meilleur du fantastique contemporain, dans son approche inédite du sujet majeur du genre : le rapport à la mort. Le premier degré est de mise dans l’histoire de cette adolescente insomniaque, hantée par des cauchemars macabres récurrents, qui participe à une expérience universitaire sur le sommeil qui va aboutir à une découverte terrifiante.
Tout en référence à la célèbre série de cinq tableaux (1880-86) d’Arnold Bocklin, L’Ile des morts, les cauchemars de l’adolescente sont comme une exploration de la lugubre bâtisse évoquée par le peintre allemand. Anthony Scott Burns allie à la fois qualité du sujet, élégance visuelle et terreur dans une progression narrative au cordeau, avec une bande sonore de premier ordre. Si le film avait été en compétition, il aurait eu toutes les chances d’arriver en haut du podium. Remarquable.
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