Ode à l'alpinisme, "Le Sommet des Dieux" et les exploits de ses héros sont-ils réalistes ?
Adaptation de la BD culte de Jiro Taniguchi, ce long métrage qui sort en salles mercredi 22 septembre nous transporte sur les cimes de l'Himalaya. L'alpiniste Jean-Michel Asselin décrypte pour Franceinfo les faits et gestes des héros de ce film d'animation.
Le Sommet des Dieux, film d'animation réalisé par le Français Patrick Imbert qui sort en salle ce 22 septembre, s'ouvre sur une scène de légende de l'histoire de l'alpinisme : l'ascension de l'Everest par Georges Mallory et Andrey Irvine en 1924. Les deux Britanniques avaient été aperçus une dernière fois à quelques centaines de mètres du sommet de l'Everest, avant qu'on ne perde leur trace à tout jamais. Depuis, une question hante le milieu de la montagne : Mallory et Irvine ont-ils atteint le pic de l'Everest (8 848 m) avant disparaître ? Cela ferait d'eux les premiers hommes à avoir atteint le point culminant de la Terre, alors que ce sont officiellement le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Népalais Tensing Norgay qui ont conquis la cime de l'Everest en 1953.
Cette énigme est la trame du Sommet des Dieux. Adapté des oeuvres de Jiro Taniguchi et Baku Yumemakura, ce long métrage raconte la quête du reporter japonais Fukamachi pour retrouver l'appareil photo avec lequel George Mallory devait se photographier sur le toit du monde en 1924. Un autre personnage se mêle à cette enquête, il s'agit d'Habu Jôji, un alpiniste japonais fictif qui ambitionne de gravir l'Everest en solitaire en plein hiver.
L'himayaliste Jean-Michel Asselin, à la fois biographe de plusieurs grands alpinistes et grimpeur expérimenté - il a échoué deux fois à 50 mètres du sommet de l'Everest - décrypte pour Franceinfo les exploits des alpinistes de ce film et l'histoire autour de l'appareil photo de George Mallory. De manière générale, "il y a très peu d'erreurs dans le film, c'est incroyable ce qu'ils ont fait", s'enthousiasme en préambule Jean-Michel Asselin.
Attention, si vous n'avez pas encore vu le Sommet des Dieux, certains éléments évoqués ci-dessous divulgâchent le film.
Est-il vraiment possible de retrouver l'appareil photo de Mallory?
Au début du film, Fukamachi découvre au gré d'une rencontre fortuite à Katmandou que l'appareil photo de George Mallory a été trouvé par Habu Jôji. En interrogeant l'alpiniste japonais à la fin de son enquête, il apprend que Habu est entré en possession de l'appareil photo en tombant sur le cadavre congelé de George Mallory sur les pentes sommitales de l'Everest. À la toute fin du film, Fukamachi développe une pellicule qui était encore présente dans le boîtier de l'appareil photo.
Si le corps de Mallory a bien découvert en 1999 à 8 290 mètres par une expédition, son appareil photo n'a jamais été mis à jour. Des experts de chez Kodak avaient cependant estimé qu'en cas de découverte d'un des appareils photo avec sa pellicule, ils seraient en mesure de la développer de manière à produire des images de qualité "imprimable". Une prouesse technologique permise grâce à la conservation de l'appareil dans un froid extrême. "Personne n'a pu retrouver l'appareil photo de Mallory, malgré tous les efforts entrepris. Actuellement, les efforts se portent donc davantage sur la recherche du corps d'Irvine, car il possédait lui aussi un appareil photo. Ces dernières années, au moins deux expéditions ont cherché le corps d'Irvine", explique Jean-Michel Asselin, qui publiera lui-même un roman autour de l'histoire d'Irvine chez Glénat en 2022.
Le personne d'Habu est-il inspiré d'un véritable alpiniste japonais?
Habu Jôji est l'alpiniste star du Sommet des Dieux. Personnage à la fois ombrageux, talentueux et maudit, il est un personnage de fiction. Il est cependant inspiré d'un véritable alpiniste japonais, Yasuo Kato, qui présente de nombreuses similitudes avec Habu. "Il y a beaucoup de Yasuo Kato en Habu. Kato a été le premier alpiniste a avoir grimpé l'Everest au cours de trois saisons différentes. Il meurt après avoir atteint le sommet lors de sa tentative hivernale en décembre 1982. Il était seul au sommet complètement épuisé et il échangeait par radio avec son équipe. Son compagnon de cordée Kobayashi l'avait rejoint au sommet avec de l'oxygène pour le secourir, mais ils sont ensuite morts tous les deux de froid", relate Jean-Michel Asselin.
La ressemblance va encore plus loin. Lors de l'ascension des Grandes Jorasses dans les Alpes, Habu perd deux doigts à cause de gelures. Yasuo Kato avait lui perdu trois doigts de sa main droite dans sa première ascension de l'Everest, à l'automne 1973.
Buntarô doit-il vraiment couper la corde?
Alors qu'il habite encore au Japon, Habu prend sous son aile Buntarô, un apprenti alpiniste qui insiste pour faire une ascension difficile avec son mentor. Dans celle-ci, Buntarô chute et pend au bout de sa corde dans le vide. Habu essaye d'abord de le remonter à la force de ses bras, sans y parvenir. Après plusieurs heures, face à la situation qui semble désespérée, Buntarô coupe lui-même la corde qui le relie à Habu, puis chute mortellement dans le vide. "La corde qui s'effrite contre le rocher quand Habu tente de remonter Buntarô, c'est un peu exagéré. Mais couper la corde dans cette situation, c'est quelque chose qui a déjà été fait. C'est d'ailleurs le propos du livre La Mort suspendue où l'alpiniste Joe Simpson raconte sa chute dans une crevasse puis son retour au camp de base après que son compagnon de cordée a coupé la corde dans le même type de situation".
L'expédition des héros du film est-elle fidèle à la réalité ?
Aux journalistes américains qui lui avaient demandé pourquoi il souhaitait tant grimper l'Everest, George Mallory avait livré cette réponse devenue légendaire : "Parce qu'il est là". Dans Le Sommet des Dieux, Habu est habité par la même quête intérieure. Il ne veut pas se hisser en haut des plus hauts pics pour la gloire, mais parce que l'alpinisme est le chemin de sa vie, le seul endroit où il se sent pleinement heureux.
Contrairement à Mallory, Habu ne vise pas une ascension de l'Everest par la voie normale. Lorsque Taniguchi a dessiné le manga entre 2000 et 2003, atteindre "simplement" le sommet de l'Everest n'était déjà plus devenu un Graal comme à l'époque de Mallory. Ce que veut Habu, c'est grimper le plus haut sommet du monde d'une façon qui n'a jamais été faite. C'est-à-dire par la face sud-ouest (réputée très difficile), en solitaire et en hiver.
"J''ai franchement adoré la cabane où se réfugie Habu dans le film. Elle existe vraiment cette petite maison
Jean-Michel Asselinécrivain-alpiniste
"La face-sud ouest est réputée très difficile et n'a jamais été faite en hiver. Ce sont les Britanniques Dougal Haston et Doug Scoot qui avaient grimpé les premiers par là", note Jean-Michel Asselin. L'alpiniste français, qui a été cinq fois sur l'Everest et a buté deux fois à quelques dizaines de mètres du sommet, a adoré reconnaître dans le film des points de passage connus de la route vers l'Everest. "J''ai franchement adoré la cabane où se réfugie Habu dans le film. Elle existe vraiment cette petite maison. Elle se dresse en solitaire au-dessus de Tengboche, le dernier village avant la montagne". Jean-Michel Asselin juge cependant que le mur de glace qu'escaladent Fukamachi et Habu est ensuite trop vertical. "Il n'y a pas de séracs aussi hauts et verticaux dans la cascade de glace (le glacier très crevassé que doivent emprunter les alpinistes qui grimpent l'Everest par le Népal NDLR), même si je n'y suis jamais allé en hiver comme eux", sourit l'écrivain-alpiniste.
Sa dernière (toute petite) critique sur Le Sommet des Dieux ? "J'ai trouvé que les orages en montagne étaient moyennement réalistes. Mais ce n'est qu'un détail tant le film est réussi".
"Le Sommet des Dieux", réalisé par Patrick Imbert d'après l'œuvre de Jiro Taniguchi et Baku Yumemakura. Au cinéma le 22 septembre 2021.
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