Un Américain à Paris nommé Walt Disney : "La France, pour lui, c'était vraiment la liberté"
Venir à Paris était une obsession pour le jeune Walt Disney, quatrième fils d'une famile pauvre d'origine irlandaise échouée dans une petite ville du Middle West. Son admiration pour la France et ses artistes marquera profondément l'œuvre du cinéaste de génie qu'il va devenir, figure essentielle du 7e art du XXe siècle. À l'occasion du centenaire des Studios Disney, retour sur son parcours "français" avec Sébastien Durand, ex-imaginieur (contraction d’imaginaire et ingénieur) et spécialiste indépendant de Walt Disney.
Le premier voyage de Walt Disney remonte à la fin de la Première Guerre mondiale. En fait, il est arrivé au lendemain de la signature de l’Armistice, le 12 novembre 1918. Ce n’était pas tout à fait prévu ainsi. Trop jeune pour s’engager, comme son frère Roy, dans la Navy, le jeune Walt falsifie son passeport pour se faire engager à la Croix-Rouge qui autorise les volontaires à partir de 17 ans révolus. Il en a 16. Malheureusement, victime de la grippe espagnole, il arrive avec un mois de retard. La guerre est donc finie et il se retrouve cantonné à un rôle de chauffeur pour dignitaires de l’armée américaine et de transports de vivres qui va le conduire un peu partout. À l’hiver 1919, il tombe en panne dans la campagne francilienne, en Seine-et-Marne. La voiture reste embourbée plusieurs jours à quelques kilomètres de la future ville nouvelle de Marne-la-Vallée, là où 73 ans plus tard un parc baptisé EuroDisney ouvrira ses portes. Jolie coïncidence.
Un premier voyage révélateur
En fait "la France, pour lui, c'est vraiment la liberté", relate Sébastien Durand. C'était un petit Américain du Middle West, issu d'une famille très pauvre. Et "venir en France, c'était faire un voyage énorme". Quand il a seulement seize ans et qu’il arrive, "il sort, il rencontre des Parisiennes, il fume... Il fait tout ce que peut faire un jeune homme qui est sans ses parents pendant un an. La France restera toujours pour lui associée à ce pays où il est devenu un homme". Il a su ensuite s'opposer à son père qui ne voulait pas le laisser faire une carrière artistique. Alors il va revenir régulièrement en France. La deuxième fois, il vient en 1935 avec sa femme et son frère.
"Il va ramener de ce deuxième voyage en France plus de 300 livres d'illustrations."
Sébastien Durand, spécialiste de Walt Disneyà franceinfo
Il va acheter des livres de contes, des livres d'histoire et des livres illustrés. Et il va s'intéresser aux grands illustrateurs européens et français, "comme Gustave Doré, comme Benjamin Rabier". Ces livres, qui sont mis à disposition des animateurs dans le studio Disney, vont inspirer le choix des films et des styles pendant des décennies puisqu’encore aujourd'hui, les animateurs peuvent consulter ces ouvrages.
Après 1935, il va faire de très nombreux voyages en Europe. Chaque fois, il va passer par la France. Lorsqu'il était venu en 1918-19, il a surtout visité le nord de la France. Il a vu la Normandie, la Picardie. Il est allé jusqu'à Strasbourg où il a passé le 14 juillet 1919. Très impressionné par l'horloge astronomique de la cathédrale, il en gardera une passion pour les automates qui va durer toute sa vie. Et à partir des années 1950, il va aussi explorer le sud, parce qu'il rend visite en Catalogne à son ami Salvador Dali. Il s'arrête à Carcassonne, il visite la Côte d'Azur. C’est quelqu'un qui va explorer beaucoup. Et les idées que Walt Disney ramène de ses voyages, le studio les adapte. "Par exemple, lorsqu'il s'arrête à Carcassonne, il prend des photos, les montre à ses animateurs et dit : 'Les murailles du château de La Belle au bois dormant dans le dessin animé doivent ressembler à ça'."
Des ancêtres normands
Walt Disney savait que son arrière-grand-père avait quitté l'Irlande en 1834. C'était l'époque de la famine de la pomme de terre [l’Irlande voit ses cultures de pommes de terre ruinées par le mildiou. Privée de sa principale source de subsistance, l’île comptera plus d’un million de morts, dont la moitié d’enfants]. Des millions d'Irlandais ont quitté le pays pour aller vers l'Amérique qui a été vraiment la terre promise.
En 1949, Walt est en Angleterre pour tourner L’Île au trésor de Stevenson et découvre qu’un petit village porte son nom, Norton Disney. Des années plus tard, vers le milieu des années 1960, il embauche des généalogistes qui découvrent que la famille de Norton Disney venait d’Isigny-sur-Mer dans le Calvados. "C'est donc une vraie ascendance du nom de famille Disney. Mais personne, à part quand on s'appelle Charlemagne, ne peut faire remonter en lien direct sa famille sur 1 000 ans, relativise Sébastien Durand. On sait que les D'Isigny sont arrivés en Angleterre en accompagnant Guillaume le Conquérant lors de la conquête d'Angleterre, donc la bataille d'Hastings, en 1066. Ils sont restés en Angleterre. Mais après, on perd leur trace pendant plusieurs siècles. Il n'y a pas une ligne directe qui va de Walt Disney à Hugues Suhart d'Isigny qui a été fait comte avec son fils, à son arrivée en Angleterre. C’est Guillaume qui les a nommés comtes d'Isigny, anglicisé en Disney avec le temps".
Le public parisien, un détonateur
Blanche-Neige était déjà en cours de production quand Walt Disney revient en France en 1935. Le projet d’un premier long-métrage d’animation est décidé en 1934. À cette époque, il y a à peine la couleur dans les dessins animés et l’animation est encore très sommaire. Walt convoque ses créateurs un soir à 20 heures au studio. "Ce soir-là, il monte sur scène et pendant deux heures, il joue tous les rôles du film." S’il parvient à les convaincre, les banquiers eux, refusent de le financer. Trop long pour les enfants, inintéressant pour les adultes, font-ils valoir. Quelques mois plus tard, alors qu’il est sur les Champs-Élysées, Walt se rend dans un cinéma aujourd’hui disparu, le Lord Byron, qui propose un programme intitulé L’heure joyeuse de Mickey, une compilation d’une heure de cartoons. "Walt voient des adultes parisiens, donc des gens très sophistiqués, rire pendant plus d’une heure en regardant ses dessins animés." Il rentre avec l’affiche de la projection (qui est toujours exposée aux archives de la Walt Disney Company) et s’en sert pour faire valoir auprès des banquiers que le public est prêt.
Dans les livres que Walt a rapportés, il y avait Les Fables de La Fontaine illustrées par Gustave Doré. Plusieurs vont donner directement des court-métrages dans les années 1930 comme Le rat des villes et le rat des champs, Le lièvre et la tortue ou encore La cigale et la fourmi. Les châteaux de la Loire ont inspiré en grande partie Cendrillon mais également La Belle au bois dormant. Les murailles de Carcassonne servent en partie pour inspirer les murailles du château mais également, le livre d'enluminures des frères Limbourg, Les très riches heures du duc de Berry. Conservé à Chantilly, il sert de modèle de direction artistique pour le film tout entier. "Quand on voit La Belle au bois dormant , on a l'impression d'un livre de miniatures médiévales dont on tournerait les pages."
On va retrouver aussi par la suite le Paris que Walt Disney a connu dans le dernier film qu'il a eu le temps de décider de faire avant sa mort, mais qu'il ne verra jamais achevé : Les Aristochats. Walt Disney est mort en 1966, mais il avait donné son autorisation pour le film qui sortira en 1970. C'est le Paris de 1910. Il y a les beaux hôtels particuliers, là où Walt allait chercher les dignitaires de l'armée américaine qui y avaient leurs quartiers à la sortie de la guerre. Il y a la Tour Eiffel, il y a Notre-Dame de Paris, ce Paris de la belle époque où madame de Bonnefamille a un hôtel particulier magnifique, des vieilles autos. Il y a la banlieue de Paris qui, à l'époque était une campagne. "Quand les petits chats se font enlever par le méchant majordome Edgar, ils sont emmenés sur les bords d’un fleuve qui pourrait être la Marne ou la Seine. Les équipes Disney ont gardé cette habitude de Walt de venir sur les lieux de leurs adaptations, explique Sébastien Durand, pour y voir comment y est la lumière, les monuments, discuter avec les gens". On pense par exemple au Bossu de Notre-Dame, inspiré du roman de Victor Hugo ou à Ratatouille de Pixar.
Jules Verne et les frères Lumière, de grands modèles
Jules Verne aussi était une grande source d'inspiration pour Walt Disney, à travers des romans comme Les enfants du capitaine Grant, comme L'Ile sur le toit du monde et surtout 20 000 lieues sous les mers, qui est un des plus grands films d'aventures de l'histoire d'Hollywood et aussi un des plus grands films Disney, réalisé en 1954. Walt Disney est le premier à utiliser le son, la couleur. C'est le premier à faire des recherches sur la profondeur de champ et puis ensuite la 3D.
En 1935, quand il est à Paris, lors d'une soirée organisée en son honneur, "il rencontre quelqu'un qui, pour lui, est un dieu vivant, Louis Lumière", co-inventeur du cinéma avec son frère. À cette époque, Louis Lumière fait des essais sur le cinéma en relief, ce qu'on n'appelait pas la 3D à l'époque mais du cinéma stéréoscopique. En filmant avec deux objectifs, l'un à côté de l'autre et en mélangeant les deux images, on donnait l'impression de profondeur. Louis Lumière l’a invité à assister à ces essais. "Vingt ans après, en 1953, il fera le premier cartoon en 3D avec Tic et Tac aux États-Unis."
Et il y a aussi des choses qu'on connaît moins de Walt Disney, comme, par exemple, des films avec des personnages réels, comme Bon voyage en 1962, qui raconte le voyage que fait une famille américaine à peu près typique à Paris et sur la Côte d'Azur, et qui est notamment basé sur certains des souvenirs de Walt Disney, de sa femme et de ses filles lorsqu'ils venaient à Paris. "Les jeunes garçons qui draguaient ses filles à la terrasse des cafés, ça embêtait un peu Walt qui était très protecteur. On retrouve la scène inversée dans le film. Les deux enfants du couple sont des garçons. Mais ils se font draguer par une Parisienne à la table d'un bar."
Walt Disney a, d’une certaine manière, participé à faire connaître la France aux États-Unis. "Il n'était pas un dessinateur très doué, convient Sébastien Durand. C'était avant tout un conteur. Il savait quand il voyait une bonne histoire et comment il allait la raconter avec des images. Et le fait que ce soit souvent inspiré de la culture française provient aussi du fait que nous avions des grands romans, des grands illustrateurs et que ça l'inspirait depuis le début".
"Comme l’autre grand nom du cinéma de l’époque, Charlie Chaplin, Walt Disney a aidé à faire passer l'idée que le cinéma était un art à part entière, qu’il peut servir à montrer la beauté mais aussi à faire passer des messages."
Sébastien Durand, spécialiste de Walt Disneyà franceinfo
Walt Disney était un citoyen du monde à une époque où, pour les Américains, ce n'était pas évident. Et c'est d'autant plus surprenant quand on voit d'où il vient. Il est né à Chicago, mais tout petit, il déménage au fin fond du Missouri. Il grandit dans une ville de 3 000 habitants, à 150 kilomètres de la première grande ville. Il est élevé avec les cochons, avec les moutons. "C'est assez étonnant de voir qu'avec son bagage original qui était assez faible, il s'est tourné vers la musique classique, par exemple. Fantasia , c'est un film magnifique quand on le voit comme la tentative de Walt Disney d'expliquer et de montrer la musique classique au grand public américain."
Il y avait chez lui toujours le désir de divertir mais aussi l’amour des belles choses. C'était quelqu'un qui était "à la fois 100% Américain, convaincu que les États-Unis, c'est le plus grand pays du monde, que tout y est bien et en même temps profondément ouvert aux cultures des autres. Il y a une série que personne ne connaît chez nous mais qu'il a fait dans les années 1950 qui s'appelle People and Places , des documentaires tournés dans tous les pays du monde, un peu comme une sorte de It's a Small world , vous savez, dans les parcs, l’attraction où on présente tous les pays. Chaque épisode de cette série présentait un peuple et le lieu où ils vivaient. Parfois, on allait en Écosse, parfois en Amazonie... Il y avait vraiment cette volonté de dire : maintenant que mon nom peut attirer des gens dans les salles, je veux l'utiliser pour leur montrer plein de choses", raconte Sébastien Durand.
"Il ne faut pas oublier qu'on parle de quelqu'un qui a vécu surtout sur la première moitié du XXᵉ siècle, à une époque où, quand on traversait les États-Unis, il fallait cinq jours en train, quand on allait en Europe, il fallait quinze jours de traversée en bateau". Le monde ne voyageait pas à cette époque. L'avion s'est démocratisé au milieu des années 1950. "Des gens comme Walt Disney, qui étaient des voyageurs internationaux, des voyageurs cosmopolites, étaient vraiment les ambassadeurs, d'une certaine façon, de la culture du monde entier."
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