Fourrure de lapin, censure nazie et transfusion... La filmographie monstre (et parfois singée) de King Kong
Le gorille le plus célèbre du septième art revient sur grand écran dans "Kong : Skull Island". Une super-production qui marque un énième retour de cette bête de cinéma.
Au commencement, il y avait un rêve. Celui de deux cinéastes américains : Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. De leur imagination est né King Kong, le plus célèbre singe du septième art, de retour dans les salles obscures, mercredi 8 mars, dans Kong : Skull Island. Plus de 70 ans après sa première apparition sur grand écran.
L'histoire débute sur le quai de la gare de Vienne (Autriche) en 1919. C'est là que les deux hommes, soldats durant la première guerre mondiale, se rencontrent . Le premier est pilote de chasse, le second cameraman. Durant les années 1920, ils parcourent le monde et des territoires encore méconnus comme le Siam (l'ancien nom de la Thaïlande) pour réaliser des documentaires.
Mais c'est en consultant un livre sur le varan de Komodo, découvert quelques années plus tôt, en voyant des spécimens ramenés à New York, puis en apercevant un avion survoler la ville, que naît l'histoire de King Kong dans l'esprit de Merian C. Cooper : l'aventure d'un réalisateur à la recherche de la mystérieuse île de Skull Island, d'un bout de terre peuplé d'animaux préhistoriques féroces et d'un gorille géant.
Une bête féroce au grand cœur
Dans les premières versions du scénario, l'animal était juste nommé "la bête", avant de prendre le nom de Kong. Puis, pour que les spectateurs ne confondent pas le film avec un documentaire, les scénaristes ont rajouté le préfixe King, donnant naissance à King Kong.
Je veux que Kong soit la plus féroce, la plus brutale, la plus monstrueuse chose qui ait jamais été vue !
Merian C. Cooperdans "The Animated Bestiary : Animals, Cartoons and Culture"
Pour y parvenir, les deux réalisateurs ont pu compter sur Willis O’Brien, un pionnier de l’animation image par image. Il construit une figurine de 45 cm en aluminium couverte de fourrure de lapin, raconte Le Temps. A l'écran et dans les décors, King Kong fait alors entre cinq et sept mètres de haut. Et si vous êtes observateur, vous remarquerez que le visage du singe change de physionomie au cours du film en raison de la chaleur des projecteurs qui fait fondre le latex et oblige la production à le refaire la masque régulièrement.
Mais si King Kong est féroce, capable d'écraser des indigènes, et même d'en croquer quelques-uns, son torse velu cache un cœur tendre. Le gorille jette ainsi son dévolu sur la jeune exploratrice Ann Darrow, incarnée par la sublime Fay Wray. La jeune femme lui est offerte par les indigènes et il la défend en massacrant un allosaure, un élasmosaure et un ptéranodon. Dans une des scènes coupées au montage, la bête déshabille même la jeune femme inconsciente.
Qui est le monstre ?
Piégé par des gaz, l'animal est finalement capturé par les membres de l'expédition et ramené à New York. Difficile de ne pas penser au conte de fée La Belle et la bête. Une référence qui résonne dans la dernière réplique du film : "Ce n'était pas les avions, mais la Belle qui a tué la Bête". Il pose aussi la question de savoir qui de l'animal ou des hommes qui la traquent est le véritable monstre.
Ce savant mélange de frissons et de romance séduit le public lors de sa sortie en 1933. Le succès est immédiat, rapportant quelque 2 millions de dollars à la production et dépasse les frontières américaines. Il outrepasse même la censure nazie, qui le considérait pourtant comme "une attaque à la résistance nerveuse du peuple allemand", en montrant l'amour d'un monstre et d'une femme blanche. Le tout grâce à l'intervention d'Hitler lui-même, grand amateur du film, affirme l'historien et journaliste allemand Volker Koop, cité par Slate.
Combat de titans
Une suite est immédiatement commandée. Le Fils de Kong sort la même année, mais les ingrédients qui ont fait le succès de premier opus ne sont pas au rendez-vous. Kong a un enfant au pelage blanc, mais on ignore avec qui il l'a conçu, et c'est pour retrouver un trésor destiné à rembourser les dégâts provoqués par King Kong dans New York que les héros reviennent sur l'île.
Dans les années 1960, King Kong quitte une nouvelle fois son île, direction cette fois-ci le Japon pour y affronter une légende locale : Godzilla. Dans King Kong versus Godzilla, d’Ishirô Honda (1962), le réalisateur voit grand, très grand même, imaginant un gorille de plus de 100 m de haut pour ce combat titanesque. Ne cherchez pas la sensibilité de l'animal, il n'est là que pour les combats. Et pour cela, notre héros voyage, non pas en bateau comme dans le film original, mais... en ballons. "Parachuté" par les autorités japonaises sur les pentes du mont Fuji, il envoie balader le saurien radioactif par la queue et s'en débarrasse (mais pas définitivement, forcément) grâce à l'électricité qui jaillit de ses énormes pattes.
En 1976, c'est Hollywood qui reprend le flambeau pour surfer sur la vague des films catastrophe de l'époque et le succès des Dents de la mer (1975). Dans ce remake du film originel, une expédition se rend sur Skull Island à la recherche de pétrole, les dinosaures ont disparu au profit d'un serpent géant peu crédible et King Kong est neutralisé sur le World Trade Center au lieu de l'Empire State Building. Pour certaines scènes, deux mains hydrauliques d'1m80 sont construites. Mais la superbe Jessica Lange peine à faire oublier la pauvreté des dialogues et la faiblesse de la mise en scène.
Comme l'analyse NPR (en anglais), le racisme est également là en toile de fond, comme dans la version de 1933, qui a "attisé les angoisses à propos de l'hypersexualité des hommes noirs". "Un gros gorille noir tombe amoureux d'une femme blanche élancée, résume la journaliste de la radio. La peur non-dite des relations sexuelles interraciales a depuis été commentée par les historiens du cinéma et les critiques."
Le retour aux sources grâce à Peter Jackson
Malgré tout, le public est au rendez-vous et une suite sort au cinéma dix ans plus tard, en 1986. Mais le scénario de King Kong Lives est complètement loufoque. Le gorille géant n'est pas mort, mais plongé dans un coma profond, souffrant d'insuffisance cardiaque. Seule une opération peut le sauver, mais elle nécessiterait plusieurs litres de sang du même type que le sien. Heureusement, Hank Mitchell, un aventurier, découvre miraculeusement une femelle gorille géante dans une jungle de Bornéo. Les deux primates finissent par se retrouver et donnent naissance à un bébé Kong. De série B, on passe au "nanar", avec cette scène grotesque de King Kong croquant un humain, et semblant le déguster.
Il faudra attendre 2005, et la patte de Peter Jackson, réalisateur de la trilogie du Seigneur des anneaux, pour redonner ses lettres de noblesse au King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack. Le film, fidèle à l'histoire originale, est à sa sortie le plus cher de l'histoire avec un budget de 207 millions de dollars, avec des effets spéciaux bluffants pour l'époque et un King Kong plus réaliste que jamais. Il faut dire que le réalisateur est un fan absolu et glisse plusieurs allusions au long-métrage de 1933. Au début du film, par exemple, le réalisateur Carl Denham, interprété par Jack Black, cherche son actrice principale. Il suggère alors à son assistant l'actrice Fay et ce dernier répond qu'"elle fait en ce moment un film avec RKO", la société de production du premier film.
Hollywood a de la suite dans les idées
Pour cette version 2017, King Kong a bien grandi, au point que son réalisateur revendique d'avoir mis en scène le plus gros spécimen de tous les reboots. "Il s’agira du plus gros Kong de la série, promet Jordan Vogt-Roberts dans The Hollywood Reporter. On ne parle pas de 3 ou 9 mètres mais de 30 mètres de hauteur." Et pour l'occasion, la localisation de l'île du film Kong : Skull Island a été ajoutée sur le site Google Maps. Mais ne cherchez pas à zoomer, il s'agit seulement d'un point sur la mer.
Est-ce l'ultime version de l'histoire du plus célèbre gorille de l'histoire ? Pensez-vous ! Les réalisateurs n'ont pas fini de le déranger sur son île, puisque à la fin de cette dernière version se cache une scène cachée après le générique (attention spoiler !). De quoi ouvrir la voie à de possibles retrouvailles avec un de ses vieux ennemis...
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