Gaumont fête ses 120 ans au 104 à Paris
Depuis les origines du cinéma, la société Gaumont sera passée par toutes les étapes de la création cinématographique : construction et commercialisation d'appareils, production de films, distributeur et exploitant de salles. Pionnière, même si elle a vécu des hauts et des bas, Gaumont demeure une des plus puissantes firmes au monde dans son domaine, en France comme à l'international, alliée à Pathé, un des fleurons de l'industrie et de la création.
Le pied à l'étrier
Né en 1864, Léon Gaumont découvre le cinématographe Lumière à la toute première projection du 22 mars 1895, à Paris, organisée par les frères lyonnais pour un comité restreint, avant la représentation publique du mois de décembre de la même année. Employé du Comptoir général de photographie, il est subjugué. Il rachète le magasin de son employeur et se lance dans la fabrication de projecteurs, puis de caméras. Nombre de petits industriels, ou passionnés, se lancent alors dans l'aventure en apportant des petites touches à leurs appareils, afin d'éviter de payer des droits aux Lumière, tout en déposant leur propre brevet.C'est un succès, la production et la commercialisation grossissent à vue d'œil. Mais les utilisateurs se plaignent auprès de Gaumont de ne pas avoir, ou peu, de films à projeter, alors que les Lumière ont des équipes de réalisateurs partout dans le monde. C'est sous cette pression que Louis Gaumont va se lancer dans la production de films. Pour ce faire, il suit les conseils d'une jeune femme, Alice Guy, qui était secrétaire au Comptoir de Photographie, lui suggérant de tourner des scènes comiques pour le cinéma naissant. Elle devient du même coup la première femme cinéaste au monde, en réalisant "La Fée aux choux" en 1896.
Alice Guy ne réalisera que des films de fiction, à l'encontre des Lumières qui privilégient la veine documentaire. De 1898 à 1899, elle met en scène plusieurs "tableaux" de la Passion du Christ qui sont vendus aux forains, alors seul réseau de distribution des films, ce qui est considéré comme le premier péplum de l'histoire du cinéma. D'autres producteurs lui emboîtent le pas. Le succès aidant, elle réalise en 1906 une "Vie du Christ", une superproduction en 25 vues, avec 300 figurants à la clé : une révolution.
Inventeur, Léon Gaumont met au point le Chronophone qui permet de synchroniser les images avec le son, Alice Guy réalisant ainsi de nombreuses prestations de chanteurs de l'époque. Mais l'invention ne remportera qu'un accueil mitigé. Il met également au point le premier système de film en couleurs, la Trichromie, aux teintes subtiles, dont il est donné une magnifique illustration dans l'exposition, où des élégantes flânent sur les plages de Boulogne, Deauville et Trouville, de véritables toiles de Boudin animées. Pourquoi le procédé ne fut-il pas développé ? Il demeure cependant le direct inspirateur du procédé Technicolor, apparu en 1932, mais vraiment développé à partir de 1937.
Gaumont s'envole
Alice Guy découvrira les talents de Ferdinand Zecca, qui réalisera nombre de films à trucs dans la lignée de Méliès, alors à la pointe de la production, mais surtout Louis Feuillade qui va transformer la narration cinématographique avec l'invention du sérial, ancêtre du feuilleton. Il réalise ainsi en 1913 "Fantomas" en cinq épisodes, succès considérable, malheureusement interrompu par la déclaration de guerre en 1914.Entre-temps, Gaumont a créé ses propres studios aux Buttes Chaumont à Paris. Puis, le système de vente de films aux forains disparaissant au profit de la location, celle que l'on surnommera "la firme à la marguerite", vu son logo floral, ouvre ses premières salles de cinéma, dont, en 1911, le mythique Gaumont Palace, place Clichy, à Paris, le plus grand cinéma du monde, avec 4500 places, puis 6000 fauteuils (!) en 1931. Il sera détruit en 1973. 1931 correspond également au choix de la marguerite comme logo, option prise par Léon en hommage au prénom de sa mère, Marguerite.
Feuillade réalisera d'autres sérials à succès : "Les Vampires" (12 épisodes), adulé par les surréalistes, avec une des premières "vamps" du cinéma, la troublante Musidora dans le rôle d'Irma Vep, incarnation du mal. Pas de suceurs de sang nocturnes dans cette série, le titre renvoyant au nom d’un gang de voleurs. Puis c'est "Judex" et "La nouvelle mission de Judex" et enfin "Tin Minh".
Feuillade réalisa nombre d'autres films pour la Gaumont et aura une influence déterminante sur de nombreux cinéastes. À l'origine du sérial, cette forme narrative rencontrera des années plus tard un succès foudroyant aux États-Unis. En France, le réalisateur sera déterminant dans la carrière de cinéastes tels que Georges Franju, Alexandre Astruc ou Olivier Assayas. Directeur artistique, principal réalisateur de la maison, Feuillade décède en 1925, en laissant une chaise vide, difficile à remplacer.
La production s'arrête après 14 et la firme se focalise sur la technique et la gestion. Un accord de distribution est ainsi signé avec la célèbre Metro-Goldwin-Mayer sous le nom de Gaumont Metro Goldwin. Il ne durera pas et la société renouera avec Charles Pathé avec laquelle elle s'était dans un premier temps liée en 1927.
Diverses transactions vont faire changer de main la société, et des prises de participation, notamment avec Eclair Journal, vont pousser Gaumont à réaliser des vues d'actualités, avec Pathé, diffusées en première partie de séance, l'ancêtre de nos journaux télévisés. Gaumont, allié à Pathé, va ainsi devenir un leader dans ce domaine, dès 1932.
Fidélité
Avec les années 30 et les débuts du parlant, Gaumont se relance dans la production, notamment de films comiques, la comédie restant tout le long de son histoire un continuum. Mais pas seulement, la firme à la marguerite alternant allègrement jusqu'à aujourd'hui l'humour et les films d'auteurs, comme "L’Atalante" (1934) de Jean Vigo.Dans le registre de la comédie, il faut évidemment citer "Les Tontons flingueurs" (Georges Lautner, 1963), succès majeur, devenu culte, dont la programmation à la télévision est assurée d’audiences records.
Mais une des caractéristiques de Gaumont est la fidélisation de ses auteurs. Marcel L'Herbier, Jean Grémillon, Marcel Pagnol, puis Jean-Pierre Melville, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Maurice Pialat, Gérard Oury, Georges Lautner, Michel Audiard, Jacques Weber, Luc Besson (jusqu'à la création d'EuropaCorp)… sont quelques réalisateurs marquants qui sont restés fidèles à la marguerite.
À partir de 1975 et l'intervention de Nicolas Seydoux, allié à Daniel Toscan du Plantier, la politique de Gaumont s'internationalise. Gaumont fait tourner Federico Fellini, Joseph Losey, Akira Kurosawa, Ingmar Bergman… La firme prend des risques, comme exporter au cinéma les grands opéras, à partir de “Don Giovanni” de Losey en 1979. C’est un succès novateur, critique et public.
Gaumont perdure en même temps dans des réussites ciblant une audience plus populaire, comme "La Boum" (Claude Pinoteau, 1980), "Joyeuses Pâques" (Georges Lautner, 1984), ou plus tard "Le Dîner de cons" (Jacques Weber, 1998).
Cette veine est aujourd’hui à l’origine des plus grands succès de Gaumont, allié à Pathé, mais aussi du cinéma français, sur le plan intérieur, comme à l’international. Des titres tels que "Intouchables" (Eric Toledano et Olivier Nakache, 2011) ou "Les Garçons et Guillaume, à table !" (Guillaume Gallienne, 2013) rassemblent des millions de spectateurs, accumulent les récompenses, et le premier à apporter une reconnaissance internationale à Omar Sy qui tourne désormais beaucoup à Hollywood.
La firme à la marguerite a désormais décidé d’élargir son champ d’action en créant un studio d’animation et en se lançant, avec des producteurs américains, dans les séries télévisées.
Gaumont au 104
L’exposition anniversaire au 104 est constituée de quatre étapes thématiques réparties en autant de lieux.Le premier reconstitue une tente foraine du tournant des XIXe et XXe siècle, avec projections. Une évocation des séances de cinéma telles qu’elles existaient à la naissance de ce qui n’était pas encore qualifié de 7e art. La programmation, projetée en boucle et accompagnée au piano, est principalement composée de courtes bandes comiques.
La deuxième étape, baptisée "La Cueillette des marguerites", est un espace ludique et interactif, où est remis au visiteur un miroir. Celui-ci lui permet de capter des photographies de centaines d’acteurs et d’actrices projetées, pour les renvoyer vers le plafond, les murs, ou sur les personnes. Une installation conçue par le plasticien, photographe et écrivain Alain Fleischer.
L’on passe ensuite au "Gaumontrama", une salle animée par une foule d’écrans de plus en plus larges où sont projetés des extraits de films emblématiques. L’espace est entouré d’une multitude de costumes magnifiques qui vont du "Miracle des loups" (André Hunebelle, 1961) au "Cinquième éléments" (Luc Besson, 1997) en passant par "Les Visiteurs" (Jean-Marie Poiré, 1993). Un espace est également consacré à Musidora, héroïne des "Vampires" de Feuillade, égérie originelle de la Gaumont.
Le parcours se clôt par la "Salle aux trésors" où sont rassemblées des raretés des collections Gaumont : les appareils photographiques et cinématographiques aux origines de la firme, des affiches lithographiques originales d’une grande beauté, des dessins d’Emil Cohl (inventeur du dessin animé) et de Cocteau, autre fidèle de la firme, de maquettes, mais aussi des "goodies", objets promotionnels, tels qu’assiettes, cartons, figurines… L’exposition se projette enfin dans le futur.
Un beau trajet, complété par des ateliers, projections de films, parfois en avant-première, destiné à toute la famille, et il faut le souligner gratuit, ce qui est rare, pour sensibiliser à l’histoire et aux origines du cinéma. Une exposition conçue par Dominique Païni, à laquelle participent les artistes Annette Messager et Alain Fleischer.
120 ans de cinéma : Gaumont, depuis que le cinéma existe
Le Centquatre-Paris
5, rue Curial, 75019 Paris (M° Riquet)
Du mercredi au dimanche
14h00-19h00
Accès libre et gratuit
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