"Il était une fois Sergio Leone" à la Cinémathèque française
Enfant de la balle
La route était toute tracée pour Sergio Leone quand il naît le 3 janvier 1929, d’un père pionnier du cinéma italien, Vincenzo Leone, dont le nom de scène est Roberto Roberti, et d’une mère actrice Edwige Valcarenghi, au pseudonyme de Brice Bertini. Signe prémonitoire, ce père tutélaire signa le premier western italien, malheureusement perdu, "La Vampire indienne", en 1913, avec son épouse dans le rôle-titre, "vampire" désignant à l’époque une femme fatale.Reportage : P. Deschamps / F. Crimon /J-M. lequerier / M. Cargnino / J-M Perroux
Élève effacé dans une école religieuse de Rome, Sergio se retrouve étonnamment dans la même classe que son futur compositeur fétiche auxquels ses films à venir seront identifiés, Ennio Morricone. Celui qui deviendra son plus proche collaborateur et ami, lui rappellera cette rencontre des années plus tard, Leone l'ayant oubliée.
Bien installé dans le monde du cinéma, qu’il quittera dans les années 40 pour son opposition au fascisme, Roberto Roberti introduit son fils dès la fin de ses études, à 18 ans, dans le 7e Art. Il commence une longue carrière d’assistant réalisateur, à commencer auprès de Carmine Gallone sur une série d’adaptations d’opéras qu’il honnit curieusement, ses films recélant par la suite une dimension lyrique. Mais c’est sa collaboration en 1948 avec Vittorio De Sica sur "Le Voleur de bicyclette" qui le marquera à jamais, comme assistant, mais aussi comme figurant en jeune séminariste s’abritant de la pluie.
Quand les Américains décentralisent la réalisation de grosses productions à Cinecitta, notamment des péplums, Leone devient l’assistant de Robert Wise ("Hélène de Troie"), Fred Zinnemann ("Au risque de se perdre"), William Wyler ("Ben-Hur", notamment sur la course de chars) et Robert Aldrich ("Sodome et Gomorrhe"), dont il quittera le plateau lors d’un tournage houleux.
Débuts antiques
Le péplum connaît dans les années 50-début 60 son âge d’or. Leone y contribuera largement, toujours comme assistant. Dès 1949, avec "Fabiola" d’Alessandro Blasetti, puis "Quo Vadis" de Marvyn Leroy (1951), "Prynée, courtisane d’Orient" de Mario Bonnard (1953) qu’il retrouve en 1958 sur "L’esclave d’Orient", avant "Sous le signe de Rome" (1959) de Guido Brignone.
Apprécié dans son rôle d’assistant, Sergio Leone se voit confier la réalisation des "Derniers jours de Pompéi", en remplacement de Mario Bonnard, malade. Mais il ne sera pas crédité au générique, comme sur nombre d’autres films.
La dextérité technique qu’il acquiert durant ces longues années d’assistanat lui ouvre enfin les portes en 1961 de sa première réalisation pleine et entière, encore un péplum, "Le Colosse de Rhodes".
Le cinéaste dira plus tard avoir eu un immense plaisir à tourner ce premier film sous son seul nom. Il y fait même quelques apparitions dans des scènes de foule.
Chaleur et poussière
Après cette adhésion au genre dominant de son époque, Sergio Leone va être à l’origine d’une révolution. S’il n’a pas réalisé le premier western "spaghetti" ("Duel au Texas", Ricardo Blasco, 1963), Leone marque le coup l’année suivante avec le succès foudroyant de "Pour une poignée de dollars" qui grave dans le marbre ses codes.
Le western, propriété d’Hollywood, est alors en perte de vitesse et se voit relayé par l’Italie et quelques succès allemands, avec quelque 500 films réalisés sur une dizaine d’années. Cette régénérescence jalousée par l’Amérique lui vaudra ce qualificatif de "spaghetti" que Leone abhorre : "Ce mot de ‘spaghetti-western’, c'est un des plus cons que j'aie jamais entendus de ma vie."
Ayant tourné beaucoup en Espagne pour ses multiples co-réalisations "péplumiennes", Léone estime que les paysages de l’Almeria conviendraient parfaitement au western. En 1963, il découvre au cinéma "Yojimbo" ("Le Garde du corps" d’Akira Kurosawa) et décide d’en transposer l’intrigue du Japon médiéval au western. Il construit alors le personnage de "l’homme sans nom", entre le chasseur de prime et le défenseur de la veuve et l’orphelin, dans lequel il trouve la parfaite incarnation chez un acteur inconnu et dont il va faire une star : Clint Eastwood.
Le film remporte un succès international et donne jour l’année suivante à sa suite "Et pour quelques dollars de plus", plus sophistiqué, pour aboutir en 1966 au "Bon, la brute et le truand", sommet du western italien avant sa sublimation par Léone trois ans plus tard, mais c’est une autre histoire…
Son style ? Car tout est dans le style. Un sens du cadrage en scope (écran large) unique où se succèdent très gros plans et plans larges, une temporalité syncopée, qui passe de la lenteur à l’action subite, brutale, une violence assumée et une reconstitution non complaisante et documentée de l’Ouest focalisée sur la frontière mexicaine, comme pour garder des racines latines. Dans ces films tout est chaleur et poussière, teinté de réalisme dans des décors crasseux, des costumes élimés, des trognes, une violence omniprésente, reflet de l’époque, qui, en Amérique, trouvera un équivalent chez Sam Peckinpah ("La Horde sauvage", 1969).
Il était une fois…
Après cette trilogie dite des "Dollars" - "Pour une poignée de dollars", "Et pour quelques dollars de plus", "Le Bon, la brute et le truand" – Leone se lance dans un "presque" dernier western pour ouvrir un nouveau triptyque, "Il était une fois dans l’Ouest", un des meilleurs westerns jamais réalisés. Pour la première fois, il tourne aux États-Unis, dans les paysages de la "Monument Valley" rebaptisée "John Ford Valley" pour tous les films qu’y a tournés le vétéran américain et qu’adule Leone depuis toujours. C’est un aboutissement, une "réalisation", avec Henry Fonda, icône du western, et Charles Bronson que Leone envisagea dès son premier western, alors trop cher.
Sublime film sur la corruption et la violence sur lesquelles s’est construite l’Amérique, "Il était une fois dans l’Ouest" est la quintessence du cinéma de Leone. Son chef-d’œuvre. Sa scène d’introduction demeure anthologique, dans son mutisme, son temps étiré, et une bande son jamais égalée, où des tueurs attendent "L'Homme à l'harmonica" (Charles Bronson) à la descente du train... tout est dit. Le reste est littérature. Le film fut un échec financier à sa sortie, en Italie, rassasiée de westerns "spaghettis", et aux États-Unis qui entraient dans l'ère du western post-guerre du Vietman et pro-indien ("Little Big Man", Arthur Penn, 1970 ; "Soldat bleu", Ralph Nelson, 1970 ; "Jeremiah Johnson", Sydney Pollack, 1972). Seule la France fit un triomphe au film, 2e au box-office après "La Grande vadrouille", qui engendra même le phénomène de la mode des grands manteaux inspirés des cache-poussières portés par les tueurs du film.
Sergio Leone enchaîne sur "Il était une fois la révolution" (1972), avec un autre vétéran du western, James Coburn ("Pat Garrett et Billy the Kid", de Peckinpah) et Rod Steiger. Leone renoue avec sa veine du western mexicain, traitant de la révolution zapatiste avec un œil ironique, alors que l’Italie plonge dans les années de plomb. Il y dénonce avec force son abjection pour tout mouvement révolutionnaire et s’adjoint encore l'ire de la critique qui ne cessera de le réhabiliter plus tard.
Puis c’est son dernier long métrage, "Il était une fois en Amérique" (1984), son chant du cygne, film où est rassemblée toute sa nostalgie fondée sur une écriture achronique. Avec une distribution hors pair, Robert de Niro, James Wood, Elisabeth McGovern, Jennifer Connely et Joe Pesci. Le film projeté à Cannes hors compétition, est bien accueilli. Mais il est charcuté par ses producteurs américains, qui réduisent les 4h11 initiales à 1h30, sans tenir compte de la temporalité sur laquelle repose tout le sens du film.
Sergio Leone ne s’en remettra pas. Il écrit son nouveau projet "Stalingrad", sur la grande bataille du même nom, sujet encore épique, à sa dimension, et qui sera réalisé des années plus tard par Jean-Jacques Annaud. Leone meurt d'une crise cardiaque en 1989, alors que le film allait entrer en préproduction.
L’exposition
L’exposition réalisée par la Cinémathèque française en collaboration avec celle de Bologne, et son commissaire Gian-Luca Farinelli, suit le parcours chronologique du maître. Depuis la première salle consacrée à son enfance, déjà ancrée dans le cinéma, jusqu’au dernier scénario de "Stalingrad".
Émouvant de suivre ce parcours trop court, habité de grands films et de l’enthousiasme d’un homme dans sa création toujours renouvelée, qui ne voyait que par le cinéma et qui l’a si bien servi. Sa vision, son traitement du temps et de l’espace demeurent toujours influents, chez Tarantino qui le revendique au premier chef, ou Clint Eastwood lui-même, dont tous les westerns émanent de Leone dans leurs sujets et mises en scène, mais chez bien d’autres encore.
Émouvant de voir toutes ces photos, ces dialogues entre la peinture de Goya, de Degas et ses plans de cinéma, les rapprochements qu’il établit entre Homère et le western, le parallèle avec Kurosawa… Les musiques indispensables d’Ennio Morricone (qui aura prochainement sa rétrospective à la Cinémathèque) baignent d’atmosphère chaque pas. Émotion encore quand on se trouve devant le poncho de Clint Eastwood, les costumes d’"Il était une fois dans l’Ouest", ou d'"Il était une fois en Amérique". Il était une fois le cinéma de Sergio Leone : monumental.
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