"Il faut raconter ce qu'il se passe" : l'actrice Golshifteh Farahani et le monde du cinéma français se mobilisent pour soutenir les manifestations en Iran
Pour la première fois depuis son exil il y a 15 ans, l'actrice française d'origine iranienne Golshifteh Farahani relaie quotidiennement les nouvelles des combats menés en Iran. En France, le monde du cinéma se mobilise, avec une soirée organisée mardi soir à la cinémathèque à Paris.
"Il faut raconter ce qu'il se passe en Iran", exhorte l'actrice exilée Golshifteh Farahani, confiant à l'AFP son admiration pour une génération de manifestantes "belles, féminines et les cheveux dans le vent, qui demandent juste la liberté".
L'actrice ne quitte plus son téléphone où pleuvent les nouvelles de la répression meurtrière des manifestations, depuis la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, arrêtée par la police des moeurs à Téhéran pour avoir enfreint le code vestimentaire de la République islamique, prévoyant notamment le port du voile pour les femmes.
Celle qui s'était gardée, en une quinzaine d'années d'exil, de commenter directement la politique iranienne, relaie désormais quotidiennement à ses 14 millions d'abonnés sur Instagram des nouvelles du front.
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"Je n'ai jamais vraiment parlé de politique, mais cet évènement a déclenché quelque chose de très charnel, de viscéral", confie l'actrice, connue aussi bien à Hollywood chez Jim Jarmusch (Paterson) que dans le cinéma français.
"Il ne faut pas seulement traduire les mots qui viennent d'Iran, il faut traduire les subtilités culturelles", pour sensibiliser les gens et faire bouger les gouvernements, poursuit-elle.
En France, pays dont elle a obtenu la nationalité, "il y a une confusion" autour des manifestations, entretenue par la peur "de l'islamophobie", regrette-t-elle. "Ce n'est pas un combat par rapport à la religion, à l'islam, ou un jugement sur le voile : c'est juste la liberté de choix de le porter ou non".
L'actrice, qui fut la première Iranienne à jouer à Hollywood depuis la révolution de 1979, dans Mensonges d'État de Ridley Scott, regrette aussi "le silence des grandes féministes américaines" autour de l'Iran.
"Cette fois c'est différent"
Issue d'une famille d'artistes, Golshifteh Farahani a dû tout quitter et fuir l'Iran pour se réfugier en France à 25 ans, après être apparue sans voile aux Etats-Unis. Aujourd'hui, elle ne cesse de saluer le courage d'une nouvelle génération de manifestants.
"On a vu beaucoup de mobilisations en Iran depuis 43 ans et le début de la Révolution, pas mal de morts dans la rue", poursuit-elle. Mais "cette fois, c'est différent".
"Nous, on est les enfants de la Révolution, on est nés pendant la guerre, on est une génération brûlée, traumatisée, de survivants. On avait peur, mais cette génération n'a pas peur, pas honte".
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"Pour pouvoir être dans la rue sans voile, j'étais obligé de raser ma tête", raconte-t-elle. "J'ai réussi à être libre en Iran mais en tuant ma féminité, je pensais qu'être une fille serait toujours un obstacle". "Mais cette génération là, elle veut garder les cheveux longs et ne pas porter le voile."
Comment concilier son quotidien d'actrice et le flot de nouvelles venues d'Iran ? "C'est l'absurdité de ma vie, qui fait que pendant que des centaines de jeunes meurent en Iran, je suis là en train de faire la promotion du film Une comédie romantique", avec Alex Lutz (en salles en France le 16 novembre).
Mais "symboliquement pour moi, ça veut dire que personne n'arrive jamais à nous prendre le rire, la danse, la joie, la musique et l'art" : "ce peuple-là peut survivre à travers l'humour", salue l'actrice qui goûte "l'ironie noire" de certains posts de manifestants sur les réseaux sociaux.
L'exil est un déchirement, et si "une grande partie de la jeunesse iranienne est en dehors d'Iran, on est tous ensemble", veut-elle croire. "Ce n'est pas parce qu'on part de la maison de nos parents, qu'on n'appartient plus à la famille".
"On appartient à l'Iran pour toujours, même si c'est difficile, parce qu'ils sont dans la bataille, alors que nous on ne meurt pas", ajoute l'actrice. Qui confie enrager souvent "de ne rien pouvoir faire" en faisant défiler les infos sur les réseaux sociaux.
Soirée de mobilisation à la Cinémathèque
La Cinémathèque française a apporté son soutien mardi soir aux manifestations contre le régime en Iran lors d'une émouvante soirée de mobilisation marquée par la projection d'Aucun Ours ("No Bears") de Jafar Panahi, emprisonné depuis cet été. "Cette soirée, c'est un message pour ceux qui continuent de lutter contre un régime qui a pour seul but de soumettre les femmes", a lancé le réalisateur Costa-Gavras (Z, L'aveu), à la tête de la Cinémathèque, avant la projection.
Aujourd'hui, "on a accès à beaucoup d'images. Des images gorgées d'espoir et de colère", a souligné la réalisatrice iranienne Sepideh Farsi, également présente, qui a rendu hommage à Masha Amini, dont la mort a déclenché la vague de manifestations en Iran, violemment réprimée.
En réponse à ces propos, les centaines de spectateurs présents à la Cinémathèque se sont levés et ont fait un doigt d'honneur, geste vu lors des manifestations à l'intention du régime iranien, avant de scander en persan le slogan "Femme, vie, liberté".
Retour en images sur la soirée exceptionnelle « Femme, Vie, Liberté », qui s'est tenue hier à la Cinémathèque, en soutien à la révolte iranienne et en présence des trois intervenantes : Faeze Karimpour, Chowra Makaremi et Sepideh Farsi. ✊ pic.twitter.com/eZ59ZU17XQ
— La Cinémathèque (@cinemathequefr) October 12, 2022
Outre la projection du film de Jafar Panahi, récompensé à la Mostra de Venise en septembre et montrant son combat contre la censure, la soirée a été marquée par un message du réalisateur, lu devant l'assistance. "Pour nous, vivre, c'est créer. Ce ne sont pas des commandes. L'espoir de créer à nouveau est notre raison d'être. Nous sommes des cinéastes indépendants", a écrit Jafar Panahi, 62 ans, emprisonné depuis juillet pour "propagande contre le régime".
Après avoir été d'abord discret, le milieu du cinéma s'est peu à peu fait entendre sur la situation en Iran. Près d'un millier de personnalités du 7e art, dont des stars comme Léa Seydoux, Isabelle Huppert et Dany Boon, ont appelé début octobre à "soutenir la révolte des femmes en Iran", dans une tribune. Une série d'actrices, dont Juliette Binoche et Isabelle Adjani, se sont coupé une mèche de cheveux en solidarité avec la lutte des femmes iraniennes, dans une vidéo publiée ensuite sur Instagram.
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