"Inchallah un fils" : Amjad Al Rasheed fait le procès du patriarcat en Jordanie dans un film éblouissant
L’univers de Nawal s’est écroulé littéralement du jour au lendemain. Un matin, elle découvre son mari mort dans son sommeil. Dès lors, son quotidien tourne au cauchemar. Un quotidien lancinant, répétitif, jusqu’à la révolte. Elle emmène sa fille à l’école, elle court ensuite rejoindre le domicile d’une famille aisée pour s’occuper de la grand-mère handicapée, elle revient à la maison tard pour dîner avec sa fille, souvent d’un sandwich, et la coucher.
Et entre les deux maisons, un espace public angoissant. Nawal subit le harcèlement, jusque chez elle. Tous les jours. Pourquoi ? Nawal est une femme seule et a une fille. Et dans la législation jordanienne, elle n’a droit à rien, ou presque.
"Nous te permettons de vivre chez toi"
Inchallah un fils est la descente aux enfers abyssale d’une mère, d’une femme, dans une société patriarcale. Les lois sont faites par les hommes pour les hommes. Comme elle est veuve et mère d’une fille et non d’un garçon, la maigre succession de son mari doit être partagée avec sa belle-famille.
Le jeune réalisateur jordanien Amjad Al Rasheed s’est inspiré de l’histoire d’une parente proche pour porter à l’écran le combat de toute une génération. "À la mort de son mari, conformément aux lois en vigueur en matière d’héritage, ses biens auraient dû être répartis entre les plus proches parents du défunt, car le couple n’avait que des filles. Toutefois, les frères et sœurs de son mari ont renoncé à leur part pour que la veuve et ses filles puissent garder leur maison, en lui disant : 'Nous te permettons de vivre chez toi.' Ils ont eu un comportement exceptionnel à son égard, sûrement parce qu’ils étaient à l’aise financièrement. La formule "Nous te permettons" m’a interpellé. Que se serait-il passé dans le cas contraire ? Qu’aurait-elle fait s’ils avaient exigé une part de sa maison, comme le prévoit la loi ?", confie-t-il.
Nawal subit des pressions de toutes parts. Elle risque de perdre son logement et la garde de sa fille. Son beau-frère veut récupérer le pick-up de son mari et la moitié de l’appartement. Haithan Omari incarne parfaitement les contradictions de son personnage, Rufqi, qui voit dans la mort de son frère un moyen d’améliorer sa situation familiale précaire. Pour lui, il est de son bon droit de revendiquer cet argent, car il a la loi et la morale pour lui.
Le réalisateur montre très bien l’instrumentalisation de la religion à des fins personnelles. Nawal, incarnée magistralement par une Mouna Hawa combative, à la fois fragile et déterminée, se meut dans un monde d’hommes. Elle se bat avec ses propres moyens, sans attendre une aide qui ne viendrait jamais. Elle se bat aussi pour que sa fille ne subisse pas le même calvaire. La scène dans laquelle elle ose enfin réagir face à un homme qui la harcèle quotidiennement dans la rue avec toujours la même phrase – "J’aimerais être ton sac" – est libératrice.
Inchallah un fils est un premier film de rage et d’espoir, Amjad Al Rasheed un réalisateur surdoué et Mouna Hawa une actrice éblouissante.
La fiche
Réalisateur : Amjad Al Rasheed
Langues : arabe sous-titré en français
Scénario : Amjad Al Rasheed et Rula Nasser
Distribution : Mouna Hawa, Seleena Rababah, Haitham Omari
Durée : 1h53
Sortie en salles : 6 mars 2024
Synopsis : Jordanie, de nos jours. Après la mort soudaine de son mari, Nawal, 30 ans, doit se battre pour sa part d’héritage afin de sauver sa fille et sa maison, dans une société où avoir un fils changerait la donne.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.