: Interview Danielle Thiéry : le jury "Spécial police" du Festival de Beaune, c'est elle !
Double actualité pour celle qui fut première commissaire divisionnaire femme de France, Danielle Thiéry, puisqu’elle publie son nouveau roman policier, "Féroce" (Flammarion) et qu’elle est pour la dixième fois consécutive présidente du jury "Spécial police" du festival du film international du film policier de Beaune. Nous l’avons rencontrée : elle nous explique l’origine de ce prix unique au monde, et la passion qu’elle voue au genre.
L’histoire d’un prix
Culturebox : Le prix Spécial Police de Beaune est une des grandes originalités du festival. Comment est né ce prix ?Danielle Thiéry : Ce prix est né de mes contacts avec les policiers qui assistaient à des projections qui avaient alors lieu à Cognac avant d’arriver à Beaune. Ils étaient toujours un peu irrités par l'image que les films policiers renvoyaient au public, notamment sur le plan du réalisme des procédures et de leur métier en général. Et pour cause : ce qui correspond à la transcription d’un travail de policier relèverait du documentaire, alors qu’un film de fiction n’a pas pour vocation de nous raconter la vraie vie des policiers ou des enquêteurs en général.
C’est venu comme cela. Les organisateurs du festival se sont dits, suite à ces observations, qu’ils pourraient organiser un jury composé de professionnels, avec un regard différent sur les films. Mais c’est sûr qu’au fil des années, on se dit qu’il vaudrait aussi d’avoir un jury composé de voyous, parce que l’on a parfois à traiter de films où les personnages principaux sont plutôt les voyous ou les gangsters, plus que le policiers...
Culturebox : Sur quels critères sont choisis les membres du jury, puisqu’ils changent tous les ans ?
Danielle Thiéry : Je suis présidente de ce jury depuis dix ans, et je compose ce jury, ce qui est une spécificité, puisque les autres jurys sont désignés par les organisateurs, sauf le mien. Car le monde policier est à part dans le cinéma. Concernant mes critères, je connais bien cet univers professionnel, mais il faut avant tout des personnes qui communiquent, qui aiment le cinéma, il faut aussi, là selon les critères du festival, un intervenant étranger, puisque le festival est international. Plus généralement je fais appel à mes réseaux, car la police a ses réseaux. Puis mes choix s’effectuent en fonction de l’actualité et des adaptations de la police à cette actualité, sociétale ou autre. Je fais mes choix en décembre et fin janvier, c’est bouclé. Le plus difficile est de s’assurer qu’au moment du festival ils seront libres, car l’important est qu’ils soient en exercice au moment de leur nomination, et selon les événements ils peuvent être rattrapés par leur activité.
Le polar et sa féminisation
Culturebox : Première femme commissaire divisionnaire nommée en France, vous avez déclaré sur France Inter que vous voudriez être présidente de ce jury à vie. Vous êtes également auteure de polars, on sent chez vous une véritable passion tant pour la profession que pour les fictions qu’elle vous inspire. Quel est votre regard sur le genre ?Danielle Thiéry : Au cinéma, je pense qu’il y a une perte d’intérêt pour le genre depuis que la télévision s’en est emparée. Ce qui s’est encore amplifié avec l’arrivée du numérique qui multiplie les séries. Le cinéma souffre beaucoup de cela, en France notamment. On a beaucoup de mal à sortir de cela, car les gens ont l’impression qu’on leur propose la même chose au cinéma qu’à la télévision, voire meilleur à domicile, puisque ces séries ou téléfilms sont parfois très réussi(e)s.
J’ai moi-même créé la série "Quai numéro 1", puis écrit des scénarios, puis donné de la matière pour leur écriture, alors que j’étais encore en activité, étant à la retraite et numéraire aujourd’hui. C'était compliqué d’être sur les deux activités à la fois à l’époque, ce n'était d’ailleurs pas très bien vu, il faut dire. Mon rôle était un peu limité, ne pouvant pas être flic et auteure sur le sujet, surtout au début. Et puis j’ai pu contribuer à d’autres séries, comme conseillère, lectrice de scénarios, contributrice à la création de certaines séries, comme beaucoup d’autres comme moi. On voit tout de suite dans une série policière s’il y a un flic dedans ou pas. Car on détecte des âneries parfois énormes, ce qui n’est pas le cas si un policier a contribué au script.
Culturebox : Ne trouvez-vous pas que le genre policier s’est féminisé, notamment à la télévision ?
Danielle Thiéry : Cela est dû à l’évolution sociale. Dans les années 60, un cinéaste qui mettait une femme flic à la tête d’une brigade n’était pas crédible, ou alors était révolutionnaire. On ne peut pas demander à un auteur d’être précurseur à ce point-là. C’était, du coup, ne plus être réaliste. Quand j’étais jeune officier de police à mes débuts, les hommes portaient encore l'imperméable et le chapeau, et il y avait encore une ou deux Traction (voiture Citroën des années 40) par-ci, par-là. Donc on était pile dans les films de Melleville, dans ce cinéma-là. Il n’y avait pas de femmes dans les films, parce qu’elles n’étaient pas dans la police.
Mais à partir du moment où elles y sont apparues, il est logique qu’elles aient leur place dans les films au sein de la profession. Mais cela a pris un bon bout de temps. Car elles apparaissent à l’écran avec la série que j’ai créée, "Quai numéro 1", quand un producteur s’est aperçu que les femmes dans les services de police ne servaient pas qu’à apporter le café ou les sandwichs. La première à apparaître fut Julie Lescaud, une vingtaine d’années après l’apparition des premières femmes flics. Ça a pris du temps. Mais après, ça a proliféré, car les producteurs, les réalisateurs, en se documentant se sont aperçus que c’était une réalité. Quand Maïwenn réalise "Polisse", elle s’est énormément documentée sur la brigade des mineurs, un secteur où il y a plus de femmes que d’hommes. C’est donc logique qu’on les retrouve dans des fictions par souci de réalisme.
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