Jacques Tati et le rugby : quand le réalisateur de "Jour de Fête" se nourrissait de l'ambiance du monde de l'ovale
Le réalisateur de "Jour de Fête" et de "Mon Oncle" a pratiqué le rugby dans sa jeunesse. Un sport qui aura une influence déterminante sur son parcours.
Avant de devenir le réalisateur que l'on connaît, Jacques Tati a trouvé dans le rugby qu'il a pratiqué au Racing Club de France une famille, une école, une scène pour ses premières improvisations. L'état d'esprit du monde de l'ovale a façonné le grand Jacques.
Franchement, on savait Jacques Tati capable de bien se tenir sur un vélo. Il l'avait largement prouvé dans Jour de Fête. Mais Jacques Tati rugbyman et passionné de ballon ovale, cet aspect de la vie du cinéaste n'est pas forcément connu.
Une photo un peu jaunie est là pour en témoigner. Philippe Gigot, responsable du catalogue Jacques Tati - Les Films de Mon Oncle, la sort délicatement d'un tiroir d'archives où elle est conservée précieusement. Et pour cause : "c'est à ma connaissance la seule photo de Tati portant le maillot du Racing", explique Philippe Gigot qui exhibe en souriant la preuve que le cinéaste "a bien payé ses cotisations 1930, 1931 et 1932 de membre du club".
Déjà facétieux
Le rugby, celui qui était encore Jacques Tatischeff l'a découvert quelques années plus tôt en Angleterre lors d'un séjour linguistique. Quand il s'engage au Racing, sa grande taille le prédispose à jouer seconde ligne. Mais ce qui marque alors son passage, c'est son esprit facétieux. Pour un match, il fait entrer ses équipiers à 11 sur le terrain avec un ballon de foot, étant lui-même habillé en gardien de but. L'arbitre y perd son latin, les spectateurs sont déroutés et l'équipe adverse perturbée perdra le match.
L'économiste Alfred Sauvy, qui était le capitaine de l'équipe B du Racing Club de France dans les années 30, évoquait, cinquante ans plus tard, les sorties nocturnes d'après match.
On faisait le théâtre dans la rue. Jacques Tatischeff était déjà drôle et amusant. On peut dire que les spectateurs ne verront jamais tout ce qu'il a pu imaginer en improvisant.
Alfred Sauvy
Entre rugby et théâtre
Ces sorties nocturnes, plus communément appelées troisième mi-temps en rugby, donnent lieu, dans le café Le Bon Rock, à des fêtes joyeuses et animées comme le raconte Marc Dondey, auteur d'une biographie de Jacques Tati : "Un soir Jacques Tatischeff s'est mis à faire des improvisations pour mimer ce qui s'était passé l'après-midi avec un talent extraordinaire. Puis il a enrichi ça petit à petit. Il a trouvé là ce que personne d'autre ne faisait."
Ces improvisations, Tatischeff les fait avec ses coéquipiers, ce qui ressemble un peu à une troupe de théâtre. Il y a des rugbymen qui écrivent des choses avec lui et jouent avec lui.
C'est à la fois son école, sa famille, sa troupe. C'est le terreau à partir duquel il va faire pousser son talent. C'est un peu tout ça le rugby pour Tati
Marc DondeyAuteur d'une biographie de Jacques Tati
Les revues du Racing
Devant le succès que rencontrent ces improvisations de troisième mi-temps, l'équipe Sauvy décide de monter des spectacles intitulés les Revues du Racing. Elles seront jouées de 1930 à 1934. C'est à ce moment-là que Tati s'affirme comme artiste. "C'est le moteur qui lui a permis d'échapper au destin tout tracé d'encadrement d'art comme papa et grand-papa" analyse Stéphane Goudet, maître de conférences en histoire du cinéma.
Ces moments de rire et de convivialité vont marquer Jacques Tati et laisser une trace dans son oeuvre car le temps du match et le temps de la fête, en cas de victoire, symbolisent la notion d'unité qui lui est chère.
Cette idée d'abattement des frontières entre les classes sociales, Tati va très clairement l'importer dans son oeuvre.
Stéphane Goudetmaître de conférences en histoire du cinéma
Pour autant, Jacques Tati n'a jamais filmé le rugby. Il en avait l'idée. En témoigne le scénario d'un court-métrage, retrouvé dans les archives, qu'il prévoyait de réaliser. il s'intitulait Rugby.
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