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L’exposition "Top secret" de la Cinémathèque lève le voile sur les espions au cinéma

Les espions du 7e art se sont donné rendez-vous à la Cinémathèque française dans une formidable exposition, au croisement du mythe et de la réalité.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'affiche de l'exposition "Top secret" à la cinémathèque française (21/10/2022 - 21/05/2023) (DR)

Après les romans et le théâtre, les espions se sont exportés dès le muet au cinéma sans jamais le quitter. Tout un monde, où James Bond serait roi, Mata-Hari reine et OSS 117 leur improbable rejeton. On les retrouve, et bien d’autres, dans une exposition spectaculaire à la Cinémathèque française jusqu’au 21 mai 2023. 

Un genre contemporain

Si les espions existent depuis l’Antiquité, ils se sont considérablement multipliés à partir de la Première Guerre mondiale. Attachée à valoriser les parallèles entre la réalité et les fantasmes qu’ils suscitent, l'exposition de la Cinémathèque mélange histoire, cinéma et géopolitique. Le film d'espionnage se conjugue au présent, plus qu’au passé. La plupart des films se consacrent à des espions ou à des contextes qui leur sont peu ou prou contemporains. C’est 1914 qui donne le "la", raison pour laquelle les salles racontent aussi une histoire de l’espionnage.

Films, technologie et documents jalonnent le parcours dans un constant dialogue entre cinéma et réalité. Le genre se prête à être exposé grâce aux nombreux objets qui le nourrissent. Les gadgets de James Bond en sont l’exacerbation, mais tout le monde connaît le fatal parapluie bulgare, les microfilms et autres photo-cravates.  Dans l’exposition, les outils d’espionnage réels voisinent avec les inventions les plus farfelus.

Bleu profond

Les splendides dessins exposés de Ken Adams pour les décors de quatre James Bond se révèlent iconiques de la franchise. Le mythique pistolet d’or de Scaramanga, les costumes de Daniel Craig et d’Eva Green dans Casino Royale (2006) côtoient un pardessus gris réversible en un imperméable vert, et de véritables mallettes d'espion précèdent une salle consacrée au KGB et à la Stasi. La Guerre froide terminée, l’espionnage s’oriente vers le Proche-Orient, après un détour par l'affaire du Watergate. De nombreux écrans, plusieurs de belle taille, diffusent documents et extraits en boucle, le tout au milieu d’une profusion d’affiches et de photos choisies. Deux courts-métrages sont par ailleurs remarquables : The Plot de Namanja Nikolic et Where the City Can’t See de Liam Young.

Salle de l'exposition "Top secret" à la Cinémathèque française (21/10/2022 - 21/05/2023). (JACKY BORNET)

La scénographie baigne l’exposition dans une aura bleutée traversée de silhouettes iconiques : Musidora, Greta Garbo, Ingrid Bergmann, Sean Connery... A ce titre la parité règne dans le renseignement, où espionnes et espions sont égaux en nombre et célébrités. Plus dans la fiction que dans le réel pour les hommes, alors que les noms de vraies espionnes sont mieux connus du public, au point d'engendrer des biopics. Dans l’exposition, James Bond rencontre Mata-Hari.

Histoires

Cousin du polar, le film d’espionnage s’est distingué dès Méliès (Exécution d’un espion, 1897), et plus particulièrement au sortir de la Première Guerre mondiale, dans Docteur Mabuse, le démon (1922), Docteur Mabuse, le joueur (1922) de Fritz Lang, avec deux suites et d’autres succédanés. Si Mabuse n’est pas stricto sensu une franchise d’espionnage, le mégalomane hypnotiseur manipule aussi la société allemande avec des appareils de surveillance qui relèvent du renseignement. Mabuse est aussi l'ancêtre du Spectre, des James Bond. Le même Fritz Lang réalisera Les Espions (1928), plus fidèles aux préceptes du genre. Une fois aux Etats-Unis, le réalisateur allemand sera fécond en films d'espionnage. La Grande guerre propage l'image de l’espion dans les mentalités comme héros patriotique de l’ombre, ou traître indicible. Obligé de feindre, il doit charmer ses adversaires pour en tirer des secrets. Du charme à la séduction il n’y a qu’un pas que franchira le cinéma en érotisant considérablement le genre, même si les parties de lit font partie du job dans le réel....

Gerda Maurus et Rudolf Klein-Rogge dans "Les Espions" de Fritz Lang, 1928, Photographie de Horst von Harbou, Stiftung Deutsche Kinematek. (Collection la Cinémathèque française, Paris - DR)

Qu'ils soient incarnés par Sean Connery ou par Mel Gibson, ou qu’elles soient historiques ou James Bond Girls, espions et espionnes de cinéma sont en majorité fantaisistes. Plus d’un fleuron échappe cependant à ce registre, avec une approche plus réaliste, comme chez Fritz Lang (Les Espions, Chasse à l’homme), Alfred Hitchcock (Les 39 marches, L’Homme qui en savait trop (deux versions), Les Enchaînés), Carol Reed (Le Troisième homme) ou J. L. Mankiewicz (L’Affaire Cicéron, Le Limier), tous des classiques.

Le bal des espions

Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, sont les plus gros pourvoyeurs du genre. Une de ses caractéristiques est l’actualité des films avec l’histoire contemporaine : Première Guerre mondiale (Mata Hari, 1927, et 1931, Marthe Richard au service de la France, 1937), Guerre froide (Le Troisième homme, 1949, James Bond, 1962), le Proche-Orient (Carlos, 2010, Argo, 2012, Zero Dark Thirty, 2012).

La France est féconde en films d’espionnage, avec l’affaire Dreyfus au premier chef. Méliès, dreyfusard convaincu, l’adapte dès 1899, au moment du procès en révision du condamné à Rennes. En 2019, Roman Polanski en parlait encore dans J’accuse. L’espionnage, sujet peu prolixe après la Seconde Guerre mondiale, mais constant en France, remonte en cote dans les années 60, avec les OSS 117 d’André Hunebelle, puis plus sérieusement dans Le Serpent (1972) d’Henri Verneuil, et surtout Le Dossier 51 (1978) de Michel Deville, passage au scalpel des méthodes employées par les services secrets français pour déstabiliser un diplomate : grand film. Plus récemment, Arnaud Despleschin (La Sentinelle, 1992), Eric Rochant (Les Patriotes, 1993) et Olivier Assayas (Carlos, 2010), se sont prêtés à l’espionnage, pour le cinéma et la télévision en renouvelant le genre.

La parodie s’est évidemment invitée au bal des espions avec Notre homme Flint (1966), sur le modèle de Bond, tout comme Austin Powers (1997), puis OSS 117 (2006). La parodie sacralise le genre, car elle n’est possible qu’au moment où la majorité du public en connaît les codes. Le succès de la série Le Bureau des légendes, la pérennité de l’espionnage au cinéma (les franchises James Bond, Mission impossible, Jason Bourne, les films Imitation Game, Le pont des espions), démontrent la puissance du genre au cinéma. Mélange de mystère et de glamour, propice au suspense et à l’action, ancré dans l’actualité, l’espionnage à l’écran a encore de beaux jours devant lui. Top secret à la Cinémathèque en expose ses plus beaux atours.

Le catalogue : les dossiers secrets de la Cinémathèque

Top secret - Cinéma et espionnage, le catalogue de l’exposition conçu sous la direction d’Alexandra Midal et Matthieu Orléan, rassemble toute l’iconographie et les objets présentés dans une approche originale.

Première de couverture du catalogue de l'exposition "Top secret" à la Cinémathèque française (21 octobre 2022 - 21 mai 2023). (LA CINEMATHETQUE / FLAMMARION)

Composé d’une succession de dossiers - de James Bond à Zero Dark Thirty, le catalogue égraine des sujets emblématiques comme Cuba ou la machine Enigma, le cas X27, Fritz Lang, Alfred Hitchcock, Salon Kitty, Mata Hari, la téléphotographie… Rare livre consacré à l’espionnage au cinéma, l’image y est foisonnante et le texte de nombreux contributeurs érudit, comme on peut s’y attendre de la part de la Cinémathèque.

Cerise sur le gâteau : trois entretiens inédits avec Arnaud Despleschin, Eric Rochant et Olivier Assayas sont consacrés à leur renouvellement du genre. Léa Seydoux est également invitée comme James Bond girl française apparaissant dans les deux derniers films avec Daniel Craig. De la belle ouvrage.

Top secret
21 octobre 2022 – 21 mai 2023 (sauf mardi)
Cinémathèque française
51 Rue de Bercy, 75012 Paris
Téléphone : 01 71 19 33 33

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