"J’aime emmener le spectateur dans un horizon complexe, torturé", explique Justine Triet, réalisatrice d'"Anatomie d'une chute", Palme d'or à Cannes
Un homme est retrouvé mort au pied de son chalet : sa femme est accusée du meurtre, leur fils se retrouve au coeur du procès. Voici le synopsis d’Anatomie d’une chute(Nouvelle fenêtre). Avant sa sortie mercredi 23 août, Justine Triet se prête à une nouvelle session de promotion pour la presse et la télévision. La réalisatrice palmée reçoit l'équipe de France Télévisions sans chaussures, ses pieds devant rester hors-champ de cette interview également filmée. Une légèreté qui tranche avec la maîtrise parfaite de son propos autour du film policier où l'on fait l'autopsie d’une histoire d’amour.
Franceinfo Culture : "Anatomie d’une chute" est à la fois un film policier, un film de procès et un drame familial. Quel en est le thème central ?
Justine Triet : C’est avant tout un film sur un couple. Le procès est un prétexte pour en disséquer plusieurs aspects : les plus solaires mais aussi les plus sombres. Ce n’est pas un film pessimiste sur le couple. Ses protagonistes se parlent, ils essaient de se comprendre, ce n’est pas le cas quand il n’y a plus d’amour. C’est certes un regard un peu acerbe. La vie à deux, avoir des enfants, c’est compliqué. Mais je crois en l’amour et au désir, et je ne dis pas que tout ça est dégueulasse. J’aime emmener le spectateur dans un horizon complexe, torturé, où l’on plonge dans le fond des sujets. Le cinéma est le lieu des choses qu’on ne peut pas résumer à un tweet.
Au cours du procès, les audiences prennent souvent une tonalité misogyne à l’encontre de Sandra, l’accusée. Faut-il y voir un plaidoyer féministe ?
Le film est féministe parce que je suis une femme, que j’écris des récits sur des femmes et que je suis féministe. Il l’est aussi en ce que Sandra, son personnage principal, est en maîtrise de sa vie. Elle réussit plutôt bien en tant qu’écrivaine et ne demande pas l’autorisation d’exister à son mari. Et comme on manque de preuves pour l’accuser, on observe son mode de vie. Le judiciaire est un lieu qui pose de la morale sur les êtres humains. Quand il manque un élément ou une preuve dans le cadre d’un procès, c’est donc la façon de vivre des gens qu’on y juge. Je montre aussi cette dérive, qui a cours envers cette femme à qui on reproche d’être un peu trop libre.
Est-ce donc aussi une critique du système judiciaire ?
Quand j’étais plus jeune, je pensais, naïvement, que la vérité jaillissait au cours des procès. Puis en assistant à des audiences, j’ai réalisé que c’était rarement le cas. C’est plutôt un lieu de narration et de récit, où autrui s’empare de nos vies et les transforme.
Tout le temps du procès repose sur la performance des acteurs. Comment les avez-vous choisis ?
J’ai proposé le rôle à Swann Arlaud [qui joue l’avocat de la défense] sans faire d’essai. Il y apporte une androgynie, une fragilité, à l’encontre de l’archétype de l’avocat viril, qu’on voit souvent au cinéma. A l’inverse, Antoine Reinartz [qui interprète l’avocat de la partie adverse], incarne le méchant, qui va aller torturer mon héroïne, sans jamais lâcher sa proie. Lors des essais, il ajoutait en même temps de l’humour à son personnage et ça a été une évidence.
Et il y a Sandra Hüller, qui porte le même nom que son personnage et dont le jeu fait douter jusqu’au bout.
J’ai écrit ce rôle pour elle : Sandra est l’actrice la plus insaisissable que je connaisse, et je ne sais pas qui, à part elle, aurait pu donner cette dimension au rôle. Le doute fait partie de tout le film. Pour qu’il tienne et qu’on ne s’ennuie pas, il faut qu’on se demande constamment : est-elle coupable ? A-t-elle pu le faire ? Sandra amène quelque chose de duplice, à la fois doux et froid, parfait pour cela.
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