Cet article date de plus d'un an.

Karim Leklou à propos de son rôle dans "Vincent doit mourir" : "J'aimais beaucoup cette histoire d'amour dans un monde brutal"

En une décennie, Karim Leklou s'est offert des rôles d'une incroyable diversité. Le comédien est aujourd'hui à l'affiche d'un film atypique, "Vincent doit mourir", qui interroge sur la violence dans nos sociétés. Rencontre avec le sémillant acteur à l'occasion de la sortie de son film le 15 novembre.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
Le comédien Karim Leklou pose le 6 novembre 2023 au restaurant Les Mah-Boules, à Paris, lors de la journée de promotion organisée pour la sortie du fim de Stéphan Castang, "Vincent doit mourir". (FG / FRANCEINFO)

Dans Vincent doit mourir, le dernier film de Stéphan Castang, le héros est un personnage traqué et Karim Leklou lui donne chair. Sans qu'il sache bien pourquoi, cet homme est, du jour au lendemain, agressé à plusieurs reprises et sans raison par des gens qui tentent de le tuer. Alors qu'il cherche à comprendre ce qu'il lui arrive, il tombe sur Margaux, interprétée par la magnifique Vimala Pons. Sa quête devient alors double. Amour et violence sont invités à cohabiter. Entretien avec Karim Leklou.

Franceinfo Culture : Quand vous recevez un scénario dont les premières pages indiquent que votre personnage est tabassé une fois, deux fois, victime d'une violence a priori gratuite, par quoi est-on finalement attiré ?

Karim Leklou : J'aimais l'idée que toutes les dimensions de la violence soient filmées, et surtout le regard quasi politique porté sur cette violence nulle, absurde. Le film pose la question de savoir s’il y a une justification à la violence. C'est un autre débat et je ne le maîtrise pas. Mais, au vu l'histoire de l'humanité, je ne suis pas persuadé que ça règle quoi que ce soit. J'aimais bien justement que l'aspect un peu sale de la violence, son absurdité soient montrés dans cet objet cinématographique. Et tout cela était au service d’une histoire d’amour. C'est ma première comédie romantique (sourire), un peu brutal, soit, dans un monde brutal, soit. J'aimais beaucoup cette histoire d'amour, l'idée que deux êtres solitaires essaient de se réconforter. Elle me paraissait plus réaliste que celles que je vois habituellement au cinéma. Mais ici, c'est un amour angoissant d’angoissés. En outre, depuis Le Monde est à toi, je n'avais pas fait un film qui mélangeait autant les genres et qui soit aussi original.

Paradoxalement, dans cette histoire de violence, le déclic pour vous a été l'amour ?

Ça me faisait beaucoup penser à un film de Wim Wenders, Paris Texas. Ce n'est pas le même genre, mais l'histoire d'amour est essentielle dans ce film. Vincent est un personnage déclassé, qui grâce à cette violence dont il est l'objet, va regarder des gens qu'il ne regarderait pas. Il va rencontrer quelqu'un, qui ne l'aurait pas regardé non plus. On assiste à la façon dont deux êtres, qui ne vont pas très bien, peuvent avoir cette capacité à traverser le monde ensemble. C'est l'histoire d'amour que j'ai vue en premier. J'aimais qu'elle prenne place dans ce climat ultra-violent, qui peut nous rappeler notre société. En même temps, c'est un leurre de se dire que c'est une violence actuelle parce que l'histoire de l'homme est ultra-violente depuis des siècles. Ce qui est terrible, c'est plutôt la manière dont on justifie la violence de nos jours.

Le film prend véritablement le contre-pied puisque la violence, du moins celle dont est victime le héros, n'est absolument pas justifiée a priori...

La question du pourquoi devient très vite caduque. Le personnage, qui est pris à la gorge, pense surtout à la manière dont il va survivre. J'aime aussi cet aspect du film.

Votre personnage est perdu, choqué, mais à la fois très résilient. Il y a une bonhomie, qui résonne dans son physique, dans la façon dont il gère ces agressions déstabilisantes. Comment l'expliquez-vous ?

Il se dit que personne ne va le croire. On le voit dans la scène du commissariat (Vincent est avec son agresseur et un policier les interroge sur l'agression, NDLR). Je trouvais intéressant que la réplique, inventée par Emmanuel Vérité, fasse dire au bourreau qu'il ne porterait pas plainte. Cela m'a renvoyé au harcèlement scolaire dont on parle en ce moment : c'est complètement dingue, jusqu'ici, c'est le harcelé qui devait partir, pas le harceleur. De même, pendant très longtemps en France – je crois jusque dans les années 1970/1980 –, quand une femme allait porter plainte pour viol, il y avait des choses extrêmement bizarres dans la façon dont les plaintes étaient traitées et dans la manière dont l'institution réagissait. À travers tous ces mécanismes, on s'attaque aussi à tout ce qu'il se passe dans notre pays. Il y a une résonance avec l'actualité parce que le film évoque aussi une violence politique.

La question de la violence dans nos sociétés vous interpellait-elle déjà ou jouer dans ce film a été un catalyseur ?

Encore une fois, la violence est là depuis des siècles. C'est un acte politique de la filmer ainsi, de parler de toutes les violences, y compris de celles qui sont taboues comme la violence faite aux enfants. Le film évoque la violence faite aux femmes, en entreprise... Parfois, le rôle de la fiction est d'être transgressif, d'oser le tabou dans une forme qui permet le second degré, l'humour, et qui donne par conséquent le recul nécessaire au récit, histoire de se dire que l'on n’est pas sur une chaîne d'info.

Pensez-vous que les médias participent à instaurer un climat de violence ?

Parfois, certains. Pas tous, en la relayant sans cesse. Il faut quelque chose de l'ordre de la décence et du recul, c'est de l'information. Et d'informer sans parti pris, d'apporter juste de l'information et pas de l'opinion.

Deux guerres sont en cours, la violence ambiante génère-t-elle chez vous du stress ? Vous vous sentez agressé dans votre quotidien ?

Bien sûr que c'est inquiétant. J'aime bien que les gens compétents parlent. Mais, comme tout le monde, j'ai envie de paix. Cela peut paraître basique comme notion, mais j'espère, qu'un jour, nous aurons des hommes politiques qui défendront la paix. Je trouve toujours très dangereux de faire de la politique nationale avec de la politique internationale. Bien sûr, la marche du monde ne laisse pas indifférent. Tout cela est d'ailleurs assez contradictoire avec tout le progrès technologique que l'on a fait. On va devenir de plus en plus c*** et c'est ce qui fait flipper.

Pour ma part, j'ai conscience, tous les jours, de la chance que j'ai, d'être né en France où j'ai bénéficié d'amour, d'un système scolaire et si je suis acteur, c'est grâce à une politique culturelle mise en œuvre dans ce pays. J'estime qu'on a beaucoup de chance de naître déjà sur un territoire de paix quand on voit la réalité des enfants à travers le monde.

Stéphan Castang et le scénariste Mathieu Naert disent que votre physique de "monsieur tout le monde" était une matrice parfaite pour votre personnage du fait de la bonhomie que nous évoquions. Quel rapport avez-vous avec votre corps ?

Quand je joue, je pense juste à mon personnage. Je fais avec le poids du moment ou le poids que me réclame le personnage. Je n'ai pas de regard sur moi-même. Je vais très peu au combo, voire jamais. Je ne regarde l'image que si un réalisateur me le demande pour comprendre quelque chose sur le plan technique. Je laisse la caméra travailler. Sur un plateau, je me préoccupe peu de la façon dont je suis filmé. Je fais entièrement confiance au réalisateur et au chef opérateur pour rentrer dans leurs grammaires respectives. 

Alors cette scène, où vous vous battez dans une matière que les spectateurs auront l'occasion de découvrir, elle n'a pas été trop éprouvante ?

Stéphan Castang nous a fait une petite surprise. Nous devions jouer sur des tapis et on s'attendait à un petit ruisseau, pas à un lac. C'est comme dans des sables mouvants, vous vous enfoncez et vous avez beaucoup de mal à bouger puisque vous faites quatre fois votre poids et je ne suis pas un poids plume (rires). C'était une scène hyper dure physiquement, mais je salue toute la densité de Guillaume Bursztyn, qui a joué avec moi. Il est ultra-généreux, ultra-fort et je me suis beaucoup accroché à sa densité de jeu pour cette scène.

Votre partenaire à l'écran est incarnée par Vimala Pons avec laquelle vous êtes parfois menotté, les spectateurs découvriront également pourquoi. On peut dire que vous vivez un amour sous contrainte...

Complètement. C'était une métaphore du couple, de comment s'attacher l'un à l'autre (rires) et là, c'était un attachement de situation. Il n'y a jamais eu de gag, c'est la situation qui donnait le ton. Ce qui était beau, c'est que Stéphan n'avait pas une approche psychologisante. Avec Vimala, nous avions juste travaillé les cascades pour ces scènes. Toute cette maladresse, cette tendresse est un peu née sur le plateau et c'était chouette.

"Pour la France", "Goutte d'or", "Temps mort" et maintenant "Vincent doit mourir", ce sont cette année des films très différents les uns des autres. En une décennie, vous avez exploré tous les genres ou presque au cinéma. C'est important pour vous d'être aussi éclectique ?

La beauté de ce métier, c'est de voyager. Ce qui m'intéresse, c'est le voyage intérieur, extérieur, l'idée de ne pas se répéter et surtout d'apprendre des autres. Avec Pour la France, j'ai découvert Taïwan, une partie du monde que je ne connaissais pas. J'ai travaillé avec des acteurs qui venaient d'univers différents. Je ne crois pas aux familles de cinéma, je crois que ce métier rend curieux et gourmand. Comme je suis quelqu'un de gourmand, j'ai toujours envie d'aller vers des espaces différents. C'est un métier de découverte et je mesure ma chance. Quand j'ai joué avec l'un des plus grands acteurs de théâtre qui est François Chattot, qui incarne mon père dans ce film, j'ai été halluciné par sa gourmandise de jeu à cet âge-là. C'était magique. Quand j'ai vu une grande star comme Vincent Cassel dans Le Monde est à toi, je me souviens de leur gourmandise à lui et à Isabelle Adjani. Au mot "action", ils devenaient des enfants ou des ados et c'était beau à voir. C'est un métier assez jouissif à faire.

Qu'avez-vous encore envie de faire au cinéma ?

Plus j'avance, plus je me dis qu'il faut se laisser surprendre. Récemment, j'ai travaillé avec les frères Larrieu sur un film, Le Roman de Jim. Je ne pensais pas que j'étais un acteur des frères Larrieu. J'ai adoré travailler avec eux. Il faut aller vers des choses et des gens différents. Cela fait grandir la personne que vous êtes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.