La compositrice Anne-Sophie Versnaeyen raconte sa collaboration avec Nicolas Bedos sur la musique de "La Belle Epoque"
Anne-Sophie Versnaeyen cosigne avec Nicolas Bedos la musique de son film "La Bellle Epoque" : une association rare dont la compositrice nous dévoile les secrets.
Anne-Sophie Versnaeyen cosigne avec Nicolas Bedos, qui aime à pianoter, la musique de son film La Belle Epoque : une collaboration rare dont la compositrice nous dévoile les secrets. Auteure de plusieurs musiques de films, elle a notamment participé au documentaire Chambord, sorti en octobre. Elle nous parle de cette association avec Bedos autour d'une bande originale aux accents de comédie et teintée de nostalgie, et de la singularité de la composition pour l’image.
Vous signez avec Nicolas Bedos la musique de son film La Belle époque, quelle a été la part de l’une et la part de l’autre dans l’écriture ?
Nicolas avait écrit un thème au piano correspondant au sentiment qu’il voulait transmettre dans son film. Comme une grille. Elle est devenue un leitmotiv avec des arrangements extrêmement différents, selon les scènes. L’orchestration et les arrangements sont la porte par laquelle je suis entrée dans la musique et la raison pour laquelle Nicolas a fait appel à moi. Il ne voulait pas de violons ni de musique surlignée. Même s’il reste un quatuor à cordes, nous avons choisi des bois, un cor anglais, une formation réduite, pas question de faire appel à un orchestre symphonique.
Ensuite la tonalité des scènes, comiques, sentimentales, dramatiques, orientaient le rythme, le traitement, jusqu’à l’écriture d’une sorte de tango. Il y a beaucoup de changement de ton entre les scènes du film, et nous avons utilisé la musique pour faire des ponts entre elles.
Comment s’est déroulée cette collaboration ?
Nicolas sait très bien ce qu’il veut, il est très enthousiaste dans sa vision. Comme il est perfectionniste et tient à réaliser ses objectifs, il transmet à son équipe l’envie de se surpasser, de donner le meilleur de soi-même, pour le rejoindre. Il communique son niveau d’exigence. Il emmène tout le monde. Il a un regard sur tout, ses décors, ses costumes, ses lumières. Il ne prend pas quelqu’un avec lui parce qu’on lui aurait recommandé, il voudra voir son travail, rencontrer la personne. Il a ses références, sa cinéphilie, c’est un amoureux du cinéma indépendant américain, c’est là que sont ses références.
Revenons à la musique, quelle a été votre ligne directrice ?
J’ai choisi de me baser sur deux clarinettes basses et un basson qui font plein de petits ostinato (figure musicale répétitives), des petites phrases rythmiques. Le film passe parfois d’une scène de dispute par exemple à la comédie, même à l’intérieur d’une même scène, ça peut être tendu et en même temps drôle, et comme on passe par plein de sentiments différents, la musique crée ce liant entre eux. Elle n’accompagne pas l’image, elle y participe en émotion et au rythme du film.
Pourquoi Nicolas Bedos vous a choisie ?
On se connaît bien. Je l’ai rencontré sur son premier film (Mr. Mme Adelman), sur lequel il ne voulait d’abord utiliser que des musiques préexistantes. Mais il s’est rendu compte au montage qu’il y avait peut-être besoin d’une écriture, ou que les musiques choisies appartenaient à un autre film, donc, ça ne marchait pas..Il m’a rappelée en 2017 quand il présentait la cérémonie des Molière car il voulait une musique en ouverture lors d’un sketch de 6-7 minutes. Il est donc revenu vers moi, car on se connaissait déjà, il savait comment je fonctionnais.
Quelles sont vos références en musiques de films ?
J’ai vraiment commencé avec John Williams et ses thèmes majestieux, à l'orchestration impressionnante. Des musiques écrites sur mesure pour le film, avec des thèmes emblématiques comme pour Star Wars, Indiana Jones, Les Dents de la mer... des B. O. très fortes. En plus, ce sont des musiques qui relèvent du classique symphonique, et ayant une formation d’alto j’y suis particulièrement sensible. Et ce sont des morceaux que je jouais avec l’orchestre dans lequel je travaillais. C’est quelque chose de fort d’interpréter cette musique, de très puissant.
Pensez-vous qu’une B. O. est aussi faite pour être écoutée indépendamment du film ?
Pour revenir à La Belle Epoque, il y a des morceaux que j’ai écrits toute seule et d’autres à quatre mains, à partir du thème principal. Puis il y a d’autres musiques qui reposent sur un autre univers sonore, avec des instruments plus modernes, de la batterie, moins classique. Il y a aussi les musiques conçues pour les soirées de reconstitution d’époques au cœur du film, qui font appel à des morceaux ou des chansons préexistantes, des années 70 ou autres. Elles sont dans l’album.
Ce que j’apprécie c’est que l'album est construit en respectant l’ordre chronologique du film, ce qui n’est pas souvent le cas pour les bandes originales. A l’oreille, ça fait sens que cela soit dans cet ordre-là. Il y a aussi un morceau que j’ai écrit uniquement après la lecture du scénario, et Nicolas a voulu l’intégrer. C’est la scène de la fin quand Doria (Tillier) regarde les dessins.
Quelle est votre formation musicale ?
Classique, j’ai commencé avec l’alto à six ans, puis j’ai étudié l’histoire de la musique, l’écriture, l’analyse au Conservatoire, puis j’ai passé un concours au Conservatoire de musique et de danse de Paris en suivant un cursus sur les métiers du son qui mélange des aspects plus techniques, comme le mixage, la prise de son, la conception artistique. J’ai aussi suivi des cours d’orchestration, d’écriture…
Comment en êtes-vous venue à la musique de films ?
Avec ce bagage classique, j’ai orchestré pour des compositeurs. Puis je suis intervenue sur l’orchestration et les arrangements dans le style de Jerry Goldsmith (La Planète des singes, Alien, Gremlins) que voulait un réalisateur. Ce qui m’a apportée beaucoup d’expérience, en travaillant avec un grand orchestre. Comme celle de savoir recruter les bons instrumentistes. On a des musiciens merveilleux en France, qu’on ne trouve pas dans les formations des pays de l’Est ou en Belgique, sans les dénigrer, mais nous avons des bois et des violons ici que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Même si Londres reste le top.
Vous êtes compositrice de musique de film, il n’y en a pas beaucoup. Les deux derniers Prix de la Sacem de la musique de films ont été décernés à des compositrices, dont Anne Dudley pour Elle de Paul Verhoeven. Confirmez-vous la présence grandissante des femmes dans cet univers à dominante masculine ?
Je ne me suis jamais posée cette question du genre, je n’avais même pas remarqué ce que vous dites. En fait, depuis la présentation du film à Cannes, je me suis un peu penchée sur le sujet, et c’est vrai que c’est un domaine d’activité où il y a peu de femmes. Jusque récemment, je ne savais pas si je devais dire : je suis compositeur ou compositrice. Comme si je n’avais jamais entendu ce mot "compositrice". Il y en a toujours eu, mais en raison des sociétés dans lesquelles elles vivaient, tout était réservé aux hommes, et notamment les activités créatrices.
Je suis évidemment heureuse d’observer que de plus en plus de femmes sont représentées et reconnues. J’ai appris d’ailleurs qu’il y avait un petit groupe de femme musiciennes-images qui s’était formé sur Facebook. Cela fait également plaisir de voir que des femmes dirigent un orchestre, et de la même façon de voir des compositrices, donc, de musiques de films. Et surtout de voir la qualité de leur travail.
Mais s’il y a beaucoup de femmes instrumentistes dans les orchestres, c’est une autre chose de leur confier des compositions ou la direction d’une formation, car ce sont des postes à responsabilité. Cela reste rare, mais le changement est en marche.
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