La préhistoire du cinéma : Robertson ressuscité
L’acteur principal de ce retour sur la préhistoire du cinéma n’est autre qu’Etienne Gaspard Robert, dit Robertson (1763-1837), auquel prête sa voix le comédien Grégory Gadebois pour commenter cette histoire peu connue et passionnante. Elle débute avec les lanternes magiques qui connurent leur âge d’or au XVIIIe siècle. Elle se poursuit avec des instruments d’optique aux noms plus barbares les uns que les autres : phénakistiscope, praxinoscope, zoopraxiscope, kinétoscope et autre zootrop, nom que repris Francis Ford Coppola pour baptiser son studio de production.
Le tombeau de Robertson
Oublié, peu connu, sinon ignoré, Robertson (1763-1837), fut une star en son temps. Il se disait physicien, inventeur - il déposa une foule de brevets. Pionnier du vol libre, il fit nombre d’expériences en aérostat à travers toute l’Europe jusqu’en Russie, devant toutes les têtes couronnées. Mais Robertson était surtout connu pour ses spectacles de fantasmagorie (ou phantasmagorie), ancêtre du spectacle cinématographique. Une figure iconoclaste au parcours des plus romanesques, sans qui, certainement, le cinéma ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui.
Ainsi, si George Méliès est considéré à juste titre comme l’inventeur du spectacle cinématographique, Robertson est sans aucun doute son précurseur et une source d'inspiration primordiale.
Belge d’origine, Robertson s’est attaché très tôt à la France, où il a vécu la majorité de sa vie quand il ne parcourait pas l’Europe. Son tombeau au cimetière du Père Lachaise, à Paris, est flanqué d’un bas relief allégorique qui évoque une de ses séances macabres. Des spectres sur la gauche font face à une foule rassemblée sur la droite, avec entre les deux groupes un squelette planant de l’un vers l’autre, muni d’une longue trompette. L’autre façade du catafalque, entouré de têtes de mort de chouettes, représente un de ses vols en ballon. Une curiosité : le tombeau est un des plus imposants et spectaculaires du célèbre cimetière.
Un endroit tout choisi, alors que Robertson se révèle par ailleurs un des pionniers de la publicité, multipliant les affiches et annonces qu'il rédige et illustre, étant peintre, dessinateur, peignant les vues sur verre pour ses projections. Concepteur du spectacle, exécutant, Robertson rejoint Méliès comme seul maître à bord d'un spectacle total, collectif fondé sur la projection.
Robertson fantasmagore
Les fantasmagories de Robertson sont très évocatrices du romantisme noir qui naît à son époque sous la plume d’un Horace Walpole ("Le Château d’Otrante") et d’une Ann Radcliff ("L’Italien ou le confessionnal des pénitents noirs"), H.G. Lewis ("Le Moine"), Mary Shelley ("Frankenstein"), Maturin ("Melmoth ou l’homme errant"), Hoffmann ("Les Elixirs du diable")...
Dans ses fantasmagories, Robertson élabore un spectacle qui annonce les effets spéciaux cinématographiques à venir. Etonnant de voir cet ancien séminariste, devenir le plus grand invocateur de spectres sous le Directoire, puis le Consulat, dans les sous-sols de l’ancien couvent des Ursulines, près de la place Vendôme, à Paris, où accouraient les foules en mal de frissons, alors que l’on sortait à peine de la Terreur.
Robertson utilise deux lanternes magiques, ancêtres de nos, désormais obsolètes, projecteurs de diapositives et de films. La première lanterne projetait sur scène le décor : une ruine, un cimetière, un intérieur gothique... Sous la scène, une deuxième lanterne éclairait un comédien vêtu d’un linceul qui gesticulait et se reflétait sur un miroir sans teint orienté à 45 degrés devant la scène, indécelable par le public.
La fumée des bougies répartîtes dans la salle tendue de noir favorisait l’effet. L’acteur sous la scène apparaissait dessus avec une apparence diaphane et jouait avec l’acteur/magicien pour simuler une apparition fantomatique.
L’effet est parfait. Les suiveurs de Robertson, John Henry Pepper et Henry Dirks perfectionneront le procédé dans les années 1860, allant jusqu’à utiliser trois lanternes. Elles seront bientôt équipées de deux ou trois objectifs.
Robertson faisait intervenir des acteurs dans le public. Des brûles parfums répandaient une odeur de mysticisme dans un décor suggestif. Des "feux follets" voletaient au-dessus des têtes... Tous ses procédés seront exposés lors d’un procès au cours duquel Robertson devra dévoiler ses trucs, tant le public prêtait foi à son art de l’illusion, croyant qu’il invoquait dans la salle des spectres de l’au-delà.
Robertson au cinéma
Un film tel que "L’illusionniste" (2007, Neil Burger, avec Edward Norton, Paul Giamatti et Jessica Biel) se réfère à Robertson sans le citer. "Le Prestige" (2006, de Christopher Nolan, avec Hugh Jackman, Christian Bale, Michael Caine et David Bowie) également. Robert-Houdin, inventeur de la prédigistiditation moderne au milieu du siècle, leur est par ailleurs commun
"L’illusionniste" fait mention du procès que subit Robertson. Les troubles engendrées par des présences supposées spectrales, sont également évoquées dans "Le Prestige", dans les doubles du magicien qui surgissent dans la salle de spectacle et les rues, après son escamotage sur scène. "Entretien avec un vampire" (1994, Neil Jordan, avec Tom Cruise, Brad Pitt et Kirsten Dunst) évoque les spectacles macabres parisiens dans son Théâtre des Vampires du XIXe siècle.
C’est dire si l’influence de Robertson, qui traversa tout le XIXe siècle, est grande. Jusque dans les années 1940-60 où sévirent aux Etats-Unis les Spook Shows, composés d’attractions scéniques macabres, suivies de projections de films du même cru, souvent pour les recycler.
Les films de William Castel (qu’évoque Joe Dante dans son "Panic sur Florida Beach") sont également un prolongement de ses inventions spectrales. Réalisateur et producteur de films fantastiques à deux sous dans les années 50-60, il pourvoyait un panel de salles, lors de la distribution de ses films, de gimmick : décharges électriques diffusées dans les sièges ("The Tingler"), squelette déambulant dans les rangs ("The House on Haunting Hill"), vol de spectres fluorescents dans la salle ("13 Gosts")...
Paris fut depuis la fin du XVIIIe siècle la proie des spectres et des succubes dans les pièces et spectacles qui y sont donnés. Le Grand Guignol en sera la prolongation jusqu’aux années soixante, en reposant sur d’autres procédés, à l'origine du gore au cinéma. Entre-temps, le cinéma s'est toujours fait "fantastique". Le genre entretient des rapports privilégiés depuis ses origines (Méliès, l'expressionnisme...) Aujourd'hui, 'Twillight" réactualise à destination de nouvelles générations les vampires et loups-garous du moyen-age, comme si lecinéma revisitait constamment les danses macabres du XIIIe siècle, que Robertson mettait en scène cinq siècles plus tard, pour les catapulter jusqu'à nos jours...
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