La réalisatrice de "La Belle Saison" répond au maire FN qui a fait retirer les affiches de son film
Catherine Corsini a écrit à Philippe de Beauregard, le maire de Camaret-sur-Aigues (Vaucluse), qui juge certaines scènes du film "choquantes".
"A vous en croire, on devrait rhabiller les statues de nues, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir", écrit Catherine Corsini. La réalisatrice du film La Belle Saison, qui raconte une histoire d'amour lesbienne, entame ainsi sa lettre ouverte au maire FN de Camaret-sur-Aigues (Vaucluse), Philippe de Beauregard, qui a fait retirer les affiches de son film dans sa ville. Dans ce message, publié sur le site de la Société des réalisateurs de films, dont elle est co-présidente, Catherine Corsini dénonce "un acte autoritaire, intolérable", alors que la Commission de classification des œuvres cinématographiques a jugé le long-métrage adapté à tout public.
"J'ai vu le film, (qui) est émaillé de scènes érotiques en gros plan, je n'ai pas voulu en faire la promotion avec les moyens municipaux", justifie Philippe de Beauregard. "J'ai utilisé ma liberté d'expression pour avertir les parents qu'à mon sens ce n'est pas un film pour les enfants", ajoute-t-il. "L'histoire aurait concerné un couple d'hétérosexuels, j'aurais eu la même réaction", assure le maire frontiste. Si les affiches et informations du film ont été retirées de l'affichage municipal et du site internet de la mairie, l'élu affirme ne pas intervenir dans la programmation.
"Censure" et "haine du corps"
Le film raconte l'histoire d'amour entre une Parisienne (Cécile de France) et une jeune agricultrice (Izïa Higelin), sur fond de création du Mouvement de libération des femmes, dans les années 1970. Dans sa réponse, Catherine Corsini rappelle l'exemple des affiches de L'Inconnu du lac, montrant notamment des hommes (dessinés) s'embrasser, qui avaient été retirées des communes de Versailles (Yvelines) et de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). "Votre censure s’inscrit dans une lignée qu’on connaît bien, (...) celle qui, sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps", dénonce-t-elle.
Voici, en intégralité, la lettre de la réalisatrice, Catherine Corsini :
« Cachez ce sein que je ne saurais voir » (Molière)
A vous en croire, Monsieur Philippe de Beauregard, on devrait rhabiller les statues de nues, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir et de tous les peintres qui ont su croquer la nudité avec réalisme. Nous devrions aussi interdire les musées à la jeunesse, fermer les salles qui montrent des corps de femmes entre elles, nus, alanguis, accouplés dans des poses suggestives. Pourtant, la nudité dans l’art est apparue dès les premiers dessins de l'époque préhistorique. La nudité féminine était là, bien avant l'apparition de la religion chrétienne, symbole de fertilité, d'érotisme, et symbole de la famille.
Ce qu'on voit dans La Belle Saison, c'est la nudité des corps, dans leur liberté, dans leur beauté et dans leur insouciance face au désir, ce sont les visages, les rires, les sourires de deux femmes qui évoquent l'appétit de la vie. Est-ce cela qui vous choque ? Est-ce la caméra qui découvre les poils pubiens d'une actrice, en gros plan comme un tableau, qui vous trouble, ou est-ce de voir deux femmes s’aimer ?
Ce procès d'intention pourrait faire sourire, tant ni le film en salles depuis des semaines, ni l'affiche placardée dans toute la France n'ont suscité de polémique. Mais vous n'en êtes pas resté aux mots et vous avez fait retirer l'affiche de votre mairie et de votre site internet, ce qui constitue un acte autoritaire, intolérable. On se demande qui est le pervers dans l'accusation que vous portez au film. Monsieur, votre censure s’inscrit dans une lignée qu’on connaît bien, c’est celle qui, il y a quelques mois, voulait faire interdire l’affiche de L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, celle qui, sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps.
Mais souvenons-nous que c’est cette censure qui s'est attaquée aux poèmes de Baudelaire, pour qu’on ne l’entende jamais parler dans Lesbos de 'baisers chauds comme les soleils', de 'baisers qui sont comme les cascades orageux et secrets, fourmillants et profonds', des 'filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses'. Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre pour chanter le secret de ses vierges en fleurs'.
Catherine Corsini
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