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La trilogie du "Seigneur des anneaux" d'Howard Shore en ciné-concert

La trilogie "Le Seigneur des anneaux" de Peter Jackson a déjà été donnée en ciné-concert lors de représentations distantes de plusieurs mois pour chaque film. Cette fois-ci la totalité est interprétée par le Star Pop Orchestra avec chœurs au Palais des Congrès de Paris. Une performance pour l’orchestre, et le public avec dix heures de spectacle. Dernier volet ce dimanche avec "Le Retour du roi".
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
"Le Seigneur des anneaux" en ciné-concert  au Palais des Congès de Paris, octobre 2016: l'affiche
 (Gérard Drouot Production)

Les ciné-concerts et interprétations de musiques de films avec orchestre connaissent un succès croissant en France, avec un public enthousiaste et fidèle qui fait à chaque fois salle comble. Aujourd’hui, c’est un "monstre" qui s’invite, avec la trilogie du "Seigneur des anneaux", sur la musique d’Howard Shore, dont les compositions pour le premier volet "La Communauté de l’anneau" et le troisième volet, "Le Retour du roi", lui valurent l’Oscar en 2002 et 2004.

"La Communauté de l’anneau" (le 14 à 19h30), "Les Deux tours" (le 15 à 19h30) et "Le Retour du roi" (le 16 à 15h30). 

Avant Peter Jackson

Réputé inadaptable, "Le Seigneur des anneaux" de J. R. R. Tolkien débarque sur les écrans en 2001, avec le premier pan de la trilogie "La Communauté de l’anneau". Le film fait l’effet d’une bombe, avec un enthousiasme critique et public rares. Il relance les ventes du roman (édité chez Christian Bourgois et Pocket), tout en engendrant un véritable phénomène, popularisant l’heroic fantasy (aujourd’hui réduit au simple terme de fantasy), en littérature, bande-dessinée, cinéma et télévision. Sans lui, pas de "Game of Thrones", "Le Trône de fer", la célèbre série HBO qui bat tous les records d’audience et de budget de la télévision.
Avant Peter Jackson, bien des cinéastes se sont cassés les dents sur le projet. Ralph Bakshi tente de réaliser un diptyque en animation mais n’en sortira que la première partie en 1978. Sa version, maladroite, se solde par un four qui l’empêchera de tourner la suite. Un téléfilm d’animation musical américano-japonais, adapté de "Bilbo le Hobbit" - roman qui précède " Le Seigneur des anneaux" -, signé Jules Bass et Arthur Rankin Jr., sera diffusé sur la chaîne NBC en 1977. Certaines voix sont assurées par John Huston, Otto Preminger et Richard Boone.

John Boorman ("Délivrance") a longtemps rêvé d’une telle adaptation. Le budget pharaonique et les techniques d’effets spéciaux de l’époque, l’en empêchent. Raison pour laquelle il réalisera " Excalibur" (1981), adapté d’un autre grand texte, les légendes arthuriennes, dans la version qu’en donna Malcom Malory en 1485, "La Morte Arthur". L’ancêtre de l’heroic fantasy, en somme.

Peter Jackson  en Terre du Milieu

Pour s’attaquer au "Seigneur des anneaux", Peter Jackson commence par le nerf de la guerre : le scénario. Comment ramasser dans un script une telle œuvre majeure de la littérature du XXe siècle, qui compte 1200 pages écrites sur une durée de 14 ans ? Publiée en 1954, elle inspira ces lignes au London Sunday Times : "désormais le monde sera réparti entre "ceux qui ont lu ‘Le Seigneur des anneaux’ et ceux qui vont le lire". L’écriture du film prendra trois ans, avant de s’attaquer au tournage. Le résultat est à la hauteur des espérances. L’on ne pouvait rêver meilleure transposition, fidèle à l’univers imaginaire de la Terre du Milieu, aux personnages (qui sont légion), et à la complexe progression du récit.
"Le Seigneur des anneaux", éd. du centenaire de JRR Tolkien (Christian Bourgois)
 (Christian Bourgois)
Le script sera finalement signé par deux collaborateurs fidèles de Peter Jackson, Frances Walsh (son épouse), Stephen Sainclair (collaborateur depuis son premier film, "Bad Taste"), rejoints par Philippa Boyen, directrice de la guilde néozélandaise des auteurs et lectrice assidue de Tolkien depuis ses 11 ans. A l’écrit doit être associé le visuel si important dans l’adaptation d’une œuvre phare de l’imaginaire. Jackson sait de quoi il parle ; il embauche les deux meilleurs illustrateurs de Tolkien, Alan Lee (dont l’œuvre orne l’édition du centenaire de l’auteur, chez Bourgois), et John Howe, autre enlumineur de l’œuvre. On relèvera également de nombreuses références au peintre-illustrateur américain Maxwell Parrish, très populaire dans les années 20, collaborateur de "Life". Mais il fait également appel aux peintres victoriens Arthur Crane ("Les Chevaux de Neptune", Edward Burne-Jones ("L’Escalier d’or"), Arthut Hughes ("La Dame de Shalott"), John Everett Millais ("Miranda")....
"Le Seigneur des anneaux" : affiche française de la trilogie
 (Metropolitan Filmesport)
Le casting est tiré sur le volet. Ian Holmes est Bilbo Sacquet ; Ian McKelen, Gandalf ; Christopher Lee, Saroumane ; Cate Blanchett, Galadriel ; Liv Tyler, Arwen ; et Hugo Weavin, Elrond. Aux côtés de ces vétérans ou jeunes stars tout juste promues, de nouveaux venus, ou presque, seront promis à un bel avenir : Viggo Mortensen est l’Aragorn idéal, Orlando Bloom est définitivement Legolas, Sean Bean incarne la toute-puissance de Boromir et Elijah Wood, la candeur courageuse de Frodon. Tous verront leur carrière décoller grâce au "Seigneur".

La magie de la Terre du Milieu

Comme tous ses films, Peter Jackson a réalisé la trilogie de l'anneau dans sa Nouvelle-Zélande natale. Les lieux de tournage offrent toute la diversité des paysages décrits par Tolkien et donne lieu aujourd’hui à The Lord of the Ring Tours, fleuron du tourisme local.

Quand il met en route le projet, Jackson tient à tourner de front les trois épisodes en même temps, ce qui réduit considérablement les coûts de production, mais réclame une logistique dantesque. Une première, le seul précédent étant "Superman II" (1980) et "III" (1983) réalisés par Richard Lester. Le Néo-Zélandais relèvera le défi en deux ans. Les films regorgent de contraintes majeures : tournage en pleine nature sauvage - des plaines verdoyantes aux montagnes neigeuses, en passant par les forêts profondes, lacs et rivières à perte de vue ; les scènes de combats à l’épée et de foule sont légion ; la production réclame la confection d’une armurerie gigantesque, d’innombrables costumes, et l’omniprésence d’effets spéciaux de toutes sortes, fondus à la présence des acteurs et aux prises de vues réelles...
Sans le numérique, pas de "Seigneur des anneaux" au cinéma. "Jurassic Park" (1993) de Steven Spielberg a montré la voie sept ans auparavant. Le film est comme la démonstration de la performance des images de synthèse, en faisant revivre les dinosaures à l’écran. Une luxueuse "bande-démo" de ce qu’il est désormais possible de projeter en salle. C’est-à-dire tout ce qui est imaginable. Plus de limites.
Un exemple pris dans "Le Seigneur des anneaux" : les Hobbits sont de taille nettement plus petite que les hommes, mais leurs acteurs sont de taille standard ; pour respecter constamment la différence d’échelle dans chaque plan, l’ordinateur fut mis à contribution afin de corriger et respecter les proportions. Un autre : un logiciel fut spécialement créé pour les mouvements de foules dans le prologue de "La Communauté", où les armées de Sauron combattent celle de la Terre du Milieu. Il consistait à faire mouvoir chaque minuscule personnage virtuel figurant un soldat de façon à ce qu’il insuffle un mouvement indépendant à celui qui le jouxte, comme dans une foule réelle. Quant aux personnages de Gollum et de Silvebarbe (un arbre qui parle et se déplace), les Trolls, Oliphants et autres dragons, ils consistent en un mélange d’images de synthèse et d’animatronique (poupées grandeur nature manipulées par câbles), ce qui donne le meilleur réalisme au montage, notamment pour les plans rapprochés.
Quinze ans après sa sortie, au rythme d’un film par an, "Le Seigneur des anneaux" n’a rien perdu de sa magie, ni de sa superbe. On y retrouve tous les thèmes chers à Tolkien au moment où il écrit, comme parabole de la Seconde Guerre Mondiale (le parallèle Sauron-nazisme/Saroumane-Hitler), avec son message écologique et méfiant envers l’industrialisation à outrance (de la mort comme des techniques), et son idéalisation mesurée de la solidarité entre les peuples. Distribué dans 10.000 salles dans le monde en décembre 2001, "La Communauté de l’anneau" a, à lui seul, engrangé 850.000 millions de dollars avant la sortie des "Deux tours" un an plus tard. Le coût de réalisation pour les trois films est estimé à quelque 400 millions de dollars. Dans les deux cas, les chiffres sont astronomiques.

Howard Shore, barde de la Terre du Milieu

La musique et le chant tiennent une grande part dans l’œuvre originale de Tolkien. Le linguiste - spécialiste des langues celtes et nordiques -, mythologue et romancier britannique, a ponctué "Le Seigneur des anneaux" de poèmes qui transcrivent des chants elfiques. Une langue très musicale, créée par l’auteur et minutieusement réinventé pour l’écran.

Cette présence elfique se retrouve dans la bande originale du "Seigneur des anneaux" d’Howard Shore lors des nombreux chœurs qui ponctuent une partition symphonique épique, richement orchestrée, pouvant réclamer jusqu’à 200 musiciens et choristes. Cette ampleur n’est pas coutumière du compositeur, plus enclins à des ambiances intimistes, mais toujours symphoniques, rarement électroniques ("Vidéodrome")..
Peu friand des thèmes déclinés sur l’ensemble de ses partitions, il déroge à la règle pour cette fresque colossale. Ainsi le mystique "The Prophecy " ouvre la trilogie en introduisant, seulement en final, le thème de la quête qui reviendra régulièrement pour constituer le discret, mais prégnant, leitmotiv du film. "Concerning Hobbits" est plus folklorique, avec flûte, violon et accordéon, pour qualifier les valeurs rurales de la Comté et de ses habitants Hobbits. Il revient quand ces protagonistes dominent l’action, ou que la province est évoquée. Mais curieusement, aucun thème ne consacre tel ou tel personnage, alors que c’est une constance de la musique de film. Si l’on capte bien un thème de l’anneau, plein de mystère et de mysticisme, ou celui d’Isengard, résidence du félon Saroumane, évocatrice d’infernales forges guerrières, ils s'insèrent dans des compositions diverses lièes à l'action. Shore écrit plus une suite, qu’une succession de parties. Il renvoie à la forme littéraire du récit, souffle porteur du "Seigneur des anneaux ".
Cette participation aux films de Peter Jackson est un épiphénomène dans la filmographie du compositeur, tout en restant fidèle à son approche globale de la musique de film. Elle tranche dans sa dimension épique et l’ampleur de son orchestration, par rapport à ses autres partitions, mais perdure dans la complexité conceptuelle, en privilégiant plus les atmosphères que l’harmonie.

Focus sur Howard Shore

Né en 1946 à Toronto, au Canada, Howard Leslie Shore est formé à la musique par le compositeur et conducteur d’orchestre de renommée mondiale John A. Bavicchi, au Berklee College of Music de Boston à partir de 1969. Parallèlement à son enseignement, le musicien est saxophoniste. Ami de Lorne Michael, producteur, scénariste et acteur, également de Toronto, Shore participe avec trois autres amis à la création de la célèbre émission de divertissement américaine Saturday Night Live. Il assumera sur cinq saisons de 1975 à 1980 le rôle de directeur musical de l’émission.

Shore compose la chanson du générique, pour laquelle il interprète la partition de saxophone. Mais sa fonction principale consiste à assurer chaque semaine la création de numéros musicaux très différents, ce qui va le préparer à la diversification de styles que réclame la musique de films, selon les genres visités et les émotions évoquées.

Le compositeur Howard Shore avec son "Vision Award Nascens" reçu au festival de Locarno, le 11 août 2016
 (Alexandra Wey/AP/SIPA)

La rencontre avec le réalisateur, compatriote, également de Toronto, David Cronenberg, est déterminante. Il compose la partition de son premier film commercial (après sa phase expérimentale), "The Parasite Murder" (ou "Shiver", "Frissons" en français) en 1975. C’est le début d’une collaboration qui ne fléchira jamais sur tous les films du réalisateur jusqu’à aujourd’hui, sauf  "Dead Zone" (1983) dont la partition est de Michael Kamen.

Shore développe pour Cronenberg  un style qui perdurera, dominé par des couleurs atonales et dissonantes, génératrices d’atmosphères, dans la continuité d’un Jerry Goldsmith. Il n’en compose pas moins de très beaux thèmes, dès sa deuxième partition pour le cinéaste, "Rage"(1976), dédié à Rose, jouée par Marilyn Chambers. Films fantastiques, les longs métrages de David Cronenberg sont travaillés par la tristesse de ses personnages touchés par un drame qui les bouleverse physiquement, avec des conséquences psychologiques perturbantes, jusqu'au tragique. Howard Shore capte et traduit cette constance, où se mêlent science-fiction horrifique et drame humain ("Chromosome 3", "Scanner", "Vidéodrome").

"La Mouche" (1987), toujours sur ce même paradigme, prodigue une nouvelle dimension au cinéaste pour lequel s’ouvrent les portes d’Hollywood, comme pour Howard Shore qui signe une de ses meilleures partitions. "Le Festin nu" (1991) ressort du lot. Saxophoniste, Shore fait appel au grand jazzman Ornette Coleman pour les chorus de sax qui parcourent les compositions, donnant une couleur peu usitée jusqu’alors à ses musiques. Teintée de free jazz, elles renvoient à Williams Burroughs (auteur du roman adapté), tout comme à la Beat Generation (Jack Kerouac, Alan Ginsberg), que le film évoque. S’y ajoutent des notes orientales, une partie du film se déroulant à Tanger. Toujours imprégnée de tristesse alanguie et tragique, cette sensation se retrouve dans "Crash" (1996), adapté du roman non moins expérimental de J. G. Ballard, avec ses notes cristallines sur des napes de cordes fiévreuses.

Howard Shore compose pour d’autres cinéastes et non des moindres : Jonathan Demme pour "Le Silence des agneaux"(1991) et "Philadelphia" (1993) ; Tim Burton pour "Ed Wood" (1994), aux notes cubaines ; Martin Scorsese pour "After Hours" (1985),  "Gangs of New York" (2002), "Aviator" (2005), "Les Infiltrés" (2006), "Hugo Cabret " (2011), "Le Loup de Wall Street " (2013) ; Barbet Schroeder pour "J. F partagerait appartement" (1992) ; Arnaud Despleschin pour "Esther Khan" (2000), "Jimmy P." (2013) ; David Fincher pour   "Se7en " (1995), "The Game " (1997), "Panic Room " (2002)… Sa filmographie est nourrie de quelque 60 longs métrages à ce jour, sans compter ses œuvres de concertistes. Il a aujourd'hui sa place auprès de ses contemporains les plus grands, John Williams, Danny Elfman ou Lalo Schifrin, qui sera à Paris en novembre à la Cinémathèque.

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