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Ladj Ly porte la voix des banlieues aux César

Ladj Ly a commencé comme documentariste en filmant les émeutes de 2005 en bas de chez lui à Clichy-Montfermeil. A 37 ans, il se voit nommé deux fois en compétition vendredi aux César. Il y a d’abord le documentaire "A voix haute", consacré à des étudiants rêvant d'être sacrés meilleur orateur du 93, qu'il a coréalisé. Et, surtout, son premier court-métrage de fiction, "Les Misérables".
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Ladj Ly 
 (ERIC FEFERBERG / AFP)

Première caméra

Ce premier court métrage raconte l’histoire d’une bavure policière. "Dans les quartiers, les misérables ce sont aussi bien les habitants que les policiers", affirme Ladj Ly. Le titre fait aussi référence au roman de Victor Hugo, qui se déroule en partie à Montfermeil : "Mômes, on visitait la maison des Thénardier et on allait à la fontaine où Cosette puisait l'eau. La misère sociale est toujours la même".

L'histoire du film - un policier qui débarque de Poitiers et se fait déniaiser par des collègues de la BAC à l'allure et aux méthodes de voyous, avant de déraper sous l'œil d'une caméra - fait écho à celle du réalisateur.
Après un BEP électrotechnique avorté - "on était voués à être de la main d'œuvre, à prendre la relève de nos parents", dit ce fils d'un éboueur et d'une mère au foyer maliens -, il trouve son salut en achetant sa première caméra. Et en intégrant le collectif "Kourtrajmé", fondé par une poignée d'amis d'enfance (Kim Chapiron, Romain Gavras...) qui rêvent de faire des films après la brèche ouverte par "La Haine" de Mathieu Kassovitz, en 1995.

Copwatch

Avec sa gueule d'acteur, Ladj Ly s'essaie aussi au jeu au côté de Vincent Cassel, dans "Sheitan". Mais son "truc" c'est de filmer. "C'est quelqu'un qui parle peu mais ressent énormément", "un personnage mystérieux", dit son ami, le street artist JR.

Pendant un an, après les violences déclenchées par la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, dans un transformateur électrique à Clichy-sous-Bois, Ladj Ly scrute son quartier ("365 jours à Clichy-Montfermeil"). Et, avant de devenir un documentariste aguerri ("365 jours au Mali", "Chroniques de Clichy-Montfermeil" avec JR...), il pratique aussi le "Copwatch", qui consiste à filmer les interpellations.
Un jour, il transmet à la presse une de ses vidéos. Les policiers seront condamnés. "En 2008, je filmais une bavure. Dix ans plus tard, je réalise un film sur une bavure qui sort quelques jours avant l'affaire Théo ! Difficile de se dire que les choses ont changé".

A cet égard, une des répliques de son court-métrage donne le vertige. Alors qu'il malmène un ado, un policier lui lance : "Je fais ce que je veux, c'est l'état d'urgence. Si j'ai envie de te mettre un doigt dans le cul, je le fais".

A ses yeux, "la seule chose qui s'est passée en banlieue en 40 ans, c'est le plan Borloo" de rénovation urbaine. "Parmi mes copains d'ici, aucun n'a le bac. Ceux de Paris l'ont tous : comment expliquer ça ?".

Le maire PS de Clichy, Olivier Klein, salue un parcours "exemplaire et remarquable" et dit vouloir "s'impliquer" dans le projet d'école de cinéma que le réalisateur ambitionne de créer dans son quartier.

Car, dans le septième art, le "fossé" Paris-banlieue est lui aussi toujours là, déplore Ly. "Le cinéma français reste réservé à une élite, il n'y a aucune diversité. Ça me gêne un peu quand je vois les autres parler de la banlieue parce qu'on a aussi des choses à dire : qu'ils nous ouvrent les portes, le CNC, les financiers !"

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